Les pavés sont de retour ce week-end avec la traditionnelle et tant attendue ouverture du calendrier belge. Pour la deuxième année consécutive, Kevin Geniets en sera, mais avant de lancer sa troisième saison au sein de la WorldTeam, le Luxembourgeois de 24 ans a pris le temps de faire un point sur son début de carrière, et de revenir longuement sur sa volonté de se spécialiser dans les Classiques. Entretien.
Kevin, comment s’est déroulée ton intersaison ?
Très bien. En décembre, j’ai rejoint l’équipe à Fréjus pour les entretiens et j’en ai profité pour rester un peu plus longtemps. On a fait une petite colocation pendant une semaine avec Stefan [Küng], Tobias [Ludvigsson] et Fabian [Lienhard]. Début janvier, je suis reparti en stage personnel avec Olivier Le Gac vers Calpe, simplement pour rouler. J’ai fait un gros bloc d’endurance sur dix jours là-bas, je suis rentré une semaine à la maison puis j’ai pris la direction de la Sierra Nevada pour un stage en altitude. J’ai retrouvé Stefan et Fabian, avec Matteo [Badilatti] cette fois. Initialement, il était prévu qu’on ne reste que quinze jours mais on a appris l’annulation du Tour d’Algarve pendant le stage. Du coup, on a décidé de le rallonger et nous sommes finalement restés vingt jours.
« Forcément de l’excitation »
Était-ce ton premier stage en altitude ?
Tout à fait, c’était quelque chose de nouveau pour moi. Je voulais m’y essayer. J’en avais discuté avec Julien [Pinot, son entraîneur ndlr] l’année dernière mais on avait convenu qu’il était encore un peu tôt, alors on avait remis ça à cette année. Les premiers jours, on sent que le corps galère un peu. Il est en stress permanent pour s’adapter. Au début, les sensations ne sont pas forcément top mais on voit ensuite que le corps s’acclimate. Au final, tout s’est bien passé. On a d’abord fait une petite semaine d’adaptation puis deux bonnes semaines de travail. On a fait beaucoup d’endurance dans un premier temps, puis on a ajouté quelques exercices, d’intensités ou de chrono. Ce qui est bien en Sierra Nevada, c’est qu’il y a beaucoup de plat. C’est idéal pour faire de gros entraînements. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les rouleurs et coureurs de Classiques choisissent souvent cet endroit. En tout cas, mon corps a plutôt bien réagi, je suis content. J’ai pu bien m’entraîner, et même si je ne vois pas encore les effets concrets, je constate que ça répond bien. C’est bon signe.
L’annulation du Tour d’Algarve a-t-elle été un petit coup dur ?
C’était vraiment décevant dans la mesure où c’est une super course pour reprendre. Il fait beau et le parcours est top. On aurait eu le temps de se remettre dedans tranquillement afin d’être prêts pour l’Omloop Het Nieuwsblad. Ceci étant dit, on est vite passés à autre chose. On s’est rapidement adaptés en allongeant le stage et on s’est remis dans une dynamique positive.
Quel sentiment prédomine à quelques jours du week-end d’ouverture ?
Il y a un peu de tout. De l’excitation, forcément. Je regarde les courses qui passent en ce moment à la télé, et ça donne forcément envie de reprendre. On a réalisé un bon bloc d’entraînement et on veut maintenant montrer qu’on a bien fait les choses. Il y a aussi de l’appréhension, car on ne sait pas comment ça va répondre. Ça reste une course de reprise. Parfois ça se passe super bien, d’autres fois non, quand bien même ça va bien à l’entraînement. Ça fait aussi quelque mois que nous n’avons pas frotté. Or, c’est quelque chose de très important sur ces courses-là. Cela dit, ça revient vite, il n’y a pas d’excuses. Peut-être que le fait de ne pas avoir encore couru sera pénalisant pour la première course de la saison, car il nous faut du rythme, mais ça n’aura aucune influence sur tout le bloc des Classiques et des objectifs qui suivront. Personnellement, la forme est assez bonne, les chiffres sont plutôt encourageants et j’aurai déjà le couteau entre les dents samedi. Je sais aussi où je mets les pieds pour avoir fait l’ouverture l’année dernière.
« C’est important de savoir où tu veux aller »
Justement, que retiens-tu de ta saison 2020 ?
Ce qui me fait plaisir, c’est de voir que j’ai progressé. J’ai senti que j’arrivais bien à encaisser les efforts. Par exemple, j’avais bien récupéré pour le championnat du Luxembourg du chrono, qui se déroulait au lendemain de la fin du Tour de Wallonie, puis pour la course en ligne deux jours plus tard. J’ai senti que le moteur avait grossi, ce qui est une vraie source de motivation. Puis, je retiens forcément mon titre de champion national, qui est aussi ma première victoire chez les pros.
À quel point ce titre a-t-il été important dans ta progression ?
Quand tu passes chez les pros, tu ne penses pas forcément à la victoire tout de suite. Tu veux d’abord prendre de l’expérience, progresser, prendre de la caisse. Ce n’est qu’ensuite, tout doucement, que tu te rapproches de la victoire, ou de belles places. C’est plus ou moins le chemin que j’ai suivi. Même si ce n’était pas une course « normale », avec l’ensemble des équipes, rien que de lever les bras donne confiance dans ta possibilité de le faire à nouveau. J’ai aussi la chance de porter les couleurs de mon pays. Habitant en France, et étant parfois vu comme Français, c’est d’ailleurs une grande fierté de montrer mon maillot ici (sourires). De cette manière, j’ai aussi toujours un peu de Luxembourg avec moi.
L’an passé, tu as également intégré le groupe des Classiques…
Avec Julien et l’équipe, l’objectif est de voir jusqu’où je peux aller sur ces courses-là. C’est un grand objectif, pas seulement cette année, mais sur le long terme. On veut vraiment se spécialiser. On avait remarqué que sur des épreuves comme le BinckBank Tour, ça se passait plutôt bien pour moi. Ça se rapprochait de mon style, de par le placement et les efforts courts et répétés. Je voulais vraiment définir un domaine vers lequel m’orienter et travailler. Je pense aussi que c’est important du point de vue de la motivation de savoir où tu veux aller. Avec l’équipe, on sait exactement où l’on va. J’ai déjà beaucoup appris l’an passé en faisant les Classiques pour la première fois, et je veux continuer à travailler dans cette perspective.
« Je veux rester polyvalent »
As-tu toujours eu cette fibre « Classiques » ?
Etant Luxembourgeois, j’ai beaucoup couru en Belgique plus jeune. J’ai un peu cette culture-là, cette habitude des routes étroites. Déjà chez les Espoirs, le Tour des Flandres était chaque année un grand objectif pour moi. J’ai même fini deux fois dans le top 10. Je prenais beaucoup de plaisir sur ces courses et je savais qu’elles pouvaient me convenir. On en a très vite parlé avec Julien à mon passage chez les grands. Au début, on fait les « Coupes de France », on voit un peu de tout, mais si tu souhaites aller plus loin dans ta carrière, il faut aussi te fixer un objectif lointain. C’est ce qu’on a fait.
Aujourd’hui, penses-tu avoir bien cerné ton profil ?
Plutôt, et mes deux premières années m’ont beaucoup servi de ce point de vue. On a constaté que je pouvais grimper, mais pas assez bien pour faire vraiment de grandes choses. Je sais rouler, mais je ne suis pas non plus un pur rouleur. Reste donc ce domaine des courses pour puncheurs, qui correspond à mes qualités. Les Classiques représentent un objectif sur le long terme mais beaucoup d’autres courses m’attirent. Par exemple, les courses par étapes d’une semaine, où je peux avoir la possibilité de jouer le général si je ne perds pas trop de temps sur le chrono. Plus globalement, toutes les courses sont bonnes à prendre. J’aime aussi être là pour aider, avoir un rôle de super équipier. Je veux rester polyvalent tout en mettant l’accent sur les Classiques. Pour le moment, il s’agit des Flandriennes, mais j’aimerais aussi essayer une ou deux Ardennaises à l’avenir.
Dans quels domaines dois-tu encore progresser ?
Les valeurs PMA (Puissance Maximale Aérobie) et les efforts lactiques. C’est ce que je fais beaucoup à l’entraînement. Julien me fait aussi beaucoup travailler les sprints. Je ne suis pas un sprinteur, mais ça reste très important d’avoir une petite pointe de vitesse quand tu arrives pour une victoire ou pour une place dans un petit groupe. Je bosse aussi beaucoup le chrono, surtout depuis que je suis arrivé dans l’équipe. On a vu de grands progrès. Pour le moment, j’arrive à réaliser des top-30 en WorldTour et je continue de travailler pour faire encore mieux. Ça viendra avec le temps. En tout cas, je ne compte pas le laisser de côté.
« On n’a pas le droit de se relâcher »
Qui dit Classiques dit aussi placement.
C’est quelque chose qui me plait. Beaucoup de coureurs détestent ça ou en ont peur. Pour eux, c’est l’horreur. Pas pour moi. Peut-être aussi car ça m’a plutôt réussi jusque là. Le placement sur ces courses-là, c’est 50% du boulot. C’est un domaine dans lequel je me débrouille bien. Le fait d’être grand, un peu plus imposant, ça aide aussi. Cela étant dit, je reste assez affûté et j’essaie doucement de prendre de la masse. Tous les ans, je gagne un ou deux kilos de muscle. Je pèse maintenant 3-4 kilos de plus que lorsque je suis passé pro.
Sur les Classiques, un groupe s’est créé l’an passé autour de Stefan.
C’est une volonté de l’équipe et je trouve que c’est une excellente chose. En plus, on s’entend super bien. On s’est déjà retrouvés à Fréjus de manière plus perso. Non seulement l’équipe a la volonté de bâtir un groupe, mais nous avons nous aussi vraiment envie d’agir en équipe. On est complètement raccord. Évidemment, avoir un groupe hyper compétitif et rodé, ça ne se fait pas comme ça, du jour au lendemain, mais ça va venir avec le temps.
Quel genre de leader Stefan est-il ?
Stefan est un leader qui travaille très très dur, ce qui te motive aussi à travailler très dur. Le cauchemar pour nous, c’est qu’il se retrouve tout seul dans le final d’une course pendant que nous l’attendons au bus. C’est aussi pour cette raison qu’on travaille dur : pour être là pour lui. On sait que lui n’aura aucun reproche à se faire. Alors nous non plus, nous ne voulons pas avoir de reproches à nous faire. On sait qu’il est très exigeant avec lui-même, donc on n’a pas le droit de se relâcher. Personnellement, j’apprends beaucoup avec lui. Stefan a beaucoup d’expérience et il nous la partage. C’est quelque chose de très important dans les Classiques, car il faut savoir où se placer, quand se relâcher. C’est très technique. Ça vient avec le temps et je commence à bien assimiler ces facteurs-là.
« Il y a toujours un nouveau palier à franchir »
Quel rôle espères-tu occuper sur les Classiques ?
J’aimerais être dans le final des courses, même si ce n’est pas pour aller décrocher la gagne. Ne serait-ce que pour l’expérience. Cela m’est arrivé plusieurs fois l’an passé avec Stefan et ce sont des moments vraiment ‘’kiffants’’. Je veux les retrouver, et c’est une énorme source de motivation au quotidien. Je veux être dans ce groupe de 20-30 mecs qui se joue la victoire. Je veux même y figurer plusieurs fois et montrer qu’on peut compter sur moi. C’est aussi un atout d’avoir plusieurs cartes dans le final. C’est notre objectif à tous d’être dans ce petit groupe-là, et c’est pour ça qu’on travaille.
En dehors des Classiques, t’es-tu fixé d’autres objectifs ?
En milieu de saison, je ferai plusieurs manches de Coupe de France et le but ultime est de gagner une course. Je sais que si j’ai la forme, je peux jouer la gagne. J’aurai sans doute quelques opportunités, et j’en ai d’ailleurs toujours eues. Même en tant que néo-pro, l’équipe m’avait fait confiance à quelques reprises.
Qu’attends-tu de ta troisième saison au sein de l’équipe ?
Ce pourrait être ma première saison complète après deux premières années particulières. En tout cas, pour moi, le plus important est toujours de continuer à progresser. Si tu progresses, les résultats viendront naturellement. J’espère aussi faire mon premier Grand Tour. C’était prévu l’an passé, mais avec la refonte du calendrier il a fallu faire un choix avec les Classiques. J’espère que cette année sera la bonne. Je pense qu’un Grand Tour me permettra aussi de passer un cap, notamment pour les Classiques de l’année prochaine. J’ai déjà tenté un nouveau truc avec l’altitude en début d’année. Le prochain sur la liste, c’est un Grand Tour. C’est aussi plaisant de voir qu’il y a toujours un nouveau palier à franchir, de nouvelles perspectives, qui permettent de s’améliorer et de faire quelque chose d’autre.
Tu as été le premier coureur Conti à intégrer la WorldTeam en 2019. Vous êtes six aujourd’hui. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Je trouve ça quand même très impressionnant quand on pense que la Conti s’est créée il y a seulement deux ans. Ce n’est pas si vieux. Doucement, on voit que nous, coureurs de la Conti, arrivons à trouver notre chemin et notre place dans la WorldTeam. C’est une petite fierté d’avoir ouvert le bal. De plus en plus, les soigneurs, mécanos ou entraîneurs de la Conti viennent parfois se greffer à la WorldTeam, et ça fait plaisir de les revoir également. On voit que tout le monde évolue. L’an passé, on a aussi fait les entretiens à Besançon et on j’ai eu l’impression de revenir à la maison. Beaucoup disent que l’équipe est une famille mais ça se vérifie de plus en plus. D’ailleurs, la Conti et la WorldTeam ne sont pas deux équipes différentes, mais une seule et même équipe.
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