Pour une issue exceptionnelle, il fallait aussi des circonstances exceptionnelles. Au sens littéral du terme, elles étaient bien réunies ce samedi autour de Paris à l’occasion de la course en ligne des Jeux Olympiques 2024. En raison de quotas différents de l’accoutumée, seuls quatre-vingt-dix coureurs étaient présents sur la ligne de départ, et les nations les plus fournies, dont la France, ne disposaient que de quatre éléments. Le tout sur un parcours de 272 kilomètres cumulant près de 3000 mètres de dénivelé et un circuit final exigeant autour de la butte Montmartre. De fait, le contrôle de la course s’annonçait plus chaotique qu’en temps normal, mais c’est d’abord une échappée relativement inoffensive qui a animé une bonne partie de l’épreuve, lancée sur les coups de 11 heures. Ce n’est qu’à l’entrée dans les cent derniers kilomètres que la course de mouvements a véritablement débuté. Ben Healy et Alexey Lutsenko ont notamment pris un coup d’avance, rejoint et déposé les échappés matinaux, puis les contres n’ont cessé d’affluer. Stefan Küng s’est notamment fait remarquer dans les bosses de la vallée de Chevreuse, mais le contre le plus incisif s’est finalement dessiné à 60 bornes du terme.


Peu après l’entrée dans Paris, Valentin Madouas a réussi à trouver l’ouverture, avec son habituel coéquipier Stefan Küng mais aussi Fred Wright, Nils Politt et Michael Woods. « J’ai fait confiance à Thomas [Voeckler], confiait le Breton. À la fin du briefing hier, il m’a dit : « Val, essaie vraiment de prendre ce coup d’avance car je t’assure que ça peut aller vraiment très loin ». J’ai pensé à ça toute la course, mais je voulais attendre le bon moment. Je suis allé prendre un bidon à 80 kilomètres de l’arrivée et Thomas m’a dit que ça allait sortir sur le plat. J’ai mis une attaque et on est sortis comme ça. C’était parfait. À partir de là, il fallait juste que je gère ». Avant que le peloton ne réagisse, le contre a pu se doter d’une minute d’avance et se rapprocher à tout juste vingt secondes de l’homme de tête, Ben Healy. Dans la première ascension pavée de la butte Montmartre, les grandes manœuvres se sont initiées sous la houlette de Mathieu van der Poel, mais c’est finalement quelques minutes plus tard que le tournant de la course s’est opéré avec l’accélération tranchante de Remco Evenepoel, qui a revu le groupe de poursuivants en l’espace de quelques instants. « J’attendais le retour des champions, précisait Valentin. Quand Remco est revenu, il fallait juste s’accrocher dans sa roue le plus longtemps possible. Je savais que plus j’étais en mesure de l’accompagner loin, plus j’avais de chances de décrocher une médaille ».

Comme attendu, le Belge a souhaité faire le ménage dès l’avant-dernière ascension de la butte Montmartre, et seul Valentin Madouas a alors été capable de tenir sa roue jusqu’au sommet. Le Français a donc entamé la dernière boucle en tête avec le prodige flamand et avec une certaine marge sur le reste de la concurrence. L’écart a gonflé au-delà de la minute, mais avant-même la dernière montée vers la Basilique du Sacré-Cœur, Remco Evenepoel a profité du faux-plat de la Rue de Belleville pour faire le forcing et distancer l’habituel pensionnaire de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ. Dès lors isolé en contre, l’ancien champion de France s’est livré à un contre-la-montre d’une dizaine de kilomètres pour éviter le retour de poursuivants très menaçants. Au terme de l’ultime montée de la butte Montmartre, et poussé par une foule énorme et survoltée, il conservait trente secondes d’avance, qui n’étaient plus que vingt au moment de retrouver les six kilomètres de plat menant à la Tour Eiffel. En contre, Ben Healy, Matteo Jorgenson et Marco Haller ont tout fait pour se rapprocher, mais la présence d’un autre Français, Christophe Laporte, a également freiné leur poursuite. Alors, et tandis que Remco Evenepoel s’offrait un double sacre historique devant la Dame de Fer, Valentin Madouas a pu aborder le dernier kilomètre avec environ dix secondes d’avance. Largement suffisantes pour conclure une performance mémorable, et inoubliable.

Après un dernier virage sur la droite devant la Tour Eiffel, et au bout du Pont d’Iéna, le Breton de 28 ans, ancien champion de France, vainqueur de la Bretagne Classic, auteur d’un podium sur le Ronde, est donc venu garnir son C.V. d’une sublime médaille d’argent aux Jeux Olympiques. Un accomplissement sans nul autre équivalent. « Terminer deuxième, ici, à Paris, dans un cadre comme celui-ci, je n’ai pas les mots, confiait-il, naturellement ému. L’année a été difficile à titre personnel, et on a vécu un Tour compliqué. Cette médaille, c’est un soulagement et c’est juste incroyable. C’est un rêve, mais c’est aussi ce pour quoi je m’étais préparé. J’étais dans la forme de ma vie sur le Tour, mais ça ne s’est pas vu. Je savais que j’étais très fort mais je n’ai pas eu les opportunités aux bons moments. J’attendais que ça passe, j’espérais que ça tourne, ça n’a pas fonctionné, mais j’ai ensuite rebasculé en mode J.O. J’étais en confiance, et l’équipe m’a mis en confiance. Aujourd’hui, terminer deuxième et troisième avec mon pote (Christophe Laporte, ndlr), c’est magique. On va passer une soirée magnifique ». Un objectif de longue date, et un rêve encore plus profond ont aujourd’hui trouvé leur concrétisation.

Et Marc Madiot, au micro pour commenter la performance de son poulain, ne pouvait que partager ce grand moment de fête : « Une médaille d’argent avec Valentin, c’est quelque chose d’inattendu et d’inespéré. C’est fantastique ! En plus Stefan Küng est dans le coup derrière (7e, ndlr) ! Valentin n’a pas eu une année facile mais je savais qu’il avait les J.O. dans un coin de la tête. Ce sont les tripes qui ont parlé dans les dix derniers kilomètres. Il a mis tout ce qui lui restait dans le ventre et plus encore car il savait que c’était sans doute l’unique opportunité de sa vie de remporter une médaille olympique. C’est un moment énorme ». Que Valentin Madouas compte bien faire perdurer.