A 31 ans, Mickael Delage est un rouage essentiel dans le dispositif autour d’Arnaud Démare. De lanceur attitré, il est devenu le capitaine de route auprès de ceux qui préparent le sprint et il y prend du plaisir. Revenu d’une terrible chute dans le final de la Hamburg Cyclassic en août dernier, Mika a pris conscience de la chance qui est la sienne de vivre de sa passion et s’est remis en cause. Il serait surprenant que le printemps à venir ne soit pas aussi le sien !
Mickael, comment te sens-tu avant Paris-Nice, le premier grand rendez-vous de l’équipe FDJ cette saison ?
J’ai été un peu embêté avec mon épaule blessée la saison dernière. La douleur s’est réveillée et c’est pour ça que je n’ai pas fait les deux classiques en Belgique, le Circuit Het Nieuwsblad et le Kuurne-Bruxelles-Kuurne. Je n’ai rien dit au Portugal pendant le Tour d’Algarve, je ne voulais pas me plaindre mais les courses pavées, ce n’était pas envisageable. C’est neurologique, s’agissant des nerfs du cou reliés à l’épaule. Ça va mieux mais c’était stupide puisque c’est arrivé en portant une bonbonne d’eau de 5 litres. Pas de souci, je suis opérationnel pour Paris-Nice.
« Je me suis demandé si je serais capable de refaire du vélo »
Rappelle-nous comment tu t’étais blessé à l’épaule ?
Fin août, en chutant à 400 mètres de la ligne d’arrivée. On s’était perdu avec Arnaud et je me laissais rétrograder pour le retrouver. Je l’ai vu revenir sur moi, j’ai voulu faire mon effort mais c’est tombé devant moi, deux places devant moi. Je n’ai pas eu le temps de freiner. J’ai heurté les barrières et je suis passé par-dessus, retombant sur un arceau en fer pris dans le béton. C’est ce qui m’a cassé. J’ai eu des côtes fracturées, un pneumothorax avec la plèvre percée, un mollet déchiré avec écrasement. C’est la douleur au plexus qui m’a le plus embêté.
Combien de temps t’a-t-il fallu pour vivre normalement ?
J’ai passé quatorze jours à l’hôpital. Quatre à Hambourg, six à Libourne près de chez moi. Puis je suis resté un mois en fauteuil roulant. Le mollet me faisait vraiment souffrir. Il était déchiré en largeur et longueur et puisque je ne marchais pas, j’ai fait une phlébite. Je suis parti début octobre en rééducation à Capbreton. J’y suis resté presque un mois. Un kiné s’est occupé de moi, le matin et le soir et j’avais un préparateur physique, Sébastien Pérez, qui m’a bien aidé, notamment à mettre le pied par terre. Quand je suis arrivé là-bas, je me mettais seulement sur la pointe des pieds.
As-tu connu des périodes de doute ?
Au début, en restant toute la journée dans ce fauteuil, je me suis demandé si je serais capable de refaire du vélo. J’avais très mal. Quand je me suis réveillé à l’hôpital de Hambourg, la première chose que j’ai demandé à Martial a été ‘’comment va ma jambe ?’’. Avant d’être endormi, c’était comme une crampe dans toute la jambe et en continu. J’ai repris le vélo le 2 novembre et je peux dire que je suis reparti de zéro complet puisque j’étais resté plus de deux mois sans rien faire. Ça n’a pas été facile, j’avais de l’appréhension mais avec le recul, je me suis dit que c’était une bonne chose parce que j’ai fait une bonne coupure. Et je me suis dit aussi que la plus belle chose au monde est de faire ce qu’on aime. Dans le vélo, il y a de bonnes choses et puis de mauvaises avec les chutes mais on ne pense alors qu’à revenir. C’est la preuve qu’on aime ça.
Tu avais déjà connu un gros pépin par le passé ?
Oui, quand j’étais chez Lotto, j’ai bandonné dans la deuxième étape du Tour de France après être tombé. J’avais heurté une glissière avec le visage. Je m’étais cassé la pommette et la mâchoire mais j’avais moins souffert qu’après ma chute à Hambourg.
Arnaud Démare dit que tu t’es beaucoup remis en cause après cet accident ?
L’avantage d’être allé me faire soigner à Capbreton c’est que j’ai vu des mecs d’autres sports. En renforcement musculaire, j’étais un des plus mauvais. Je ne travaillais pas assez. Il y avait des filles bien meilleures que moi en gainage. Certes, c’était des sportives de haut niveau mais je me suis posé des questions. Je n’arrivais pas à faire un quart de ce qu’elles faisaient. J’étais bouleversé. Je me suis dit ‘’allez, je m’y mets’’.
« Cette année, et même si j’ai connu de bonnes années à la FDJ, c’est un très bon groupe »
Ta place dans l’équipe a un peu changé. Tu étais le lanceur d’Arnaud, tu es le capitaine de route auprès de lui et de tes équipiers ?
Ma place dans l’équipe, je l’avais mais je suis plus ouvert. Je suis aussi moins borné qu’avant. Pendant ma rééducation, j’ai rencontré beaucoup de sportifs, des gens bien avec qui je suis resté en contact. C’était bien d’entendre leur histoire, de savoir à quel point ils galèrent. Nous, quand on se plaint c’est souvent au sujet des vêtements et des vélos mais on a beaucoup plus d’avantages qu’eux. Dans le ski, ils n’ont pas grand-chose. Il y avait un footballeur américain, professionnel de son sport et qui doit travailler à côté. Nous, on est payé pour faire ce qu’on aime. Si on déchire un maillot ou on casse le vélo, c’est changé tout de suite…
Mickaël Delage et Arnaud Démare lors de l’Etoile de Bessèges 2017 (Arnaud remporte 2 étapes)
Tu apprécies ce nouveau rôle consistant à dicter la manœuvre dans les derniers kilomètres ?
J’arrive à relativiser et il faut admettre que les autres progressent. Marc Sarreau est plus un sprinteur que je ne le suis, il a plus de giclette pour faire ce job. Je me dis que c’est bien d’être là, c’est un travail intéressant surtout et je suis dans l’action à la fin. Ce que je dois faire est moins dur que de lancer. Ce n’est pas plus facile dans le placement mais physiquement oui, ça l’est.
Que penses-tu du nouveau lanceur, Jacopo Guarnieri ?
Cette année, on n’a pas encore fait des sprints où on lance fort mais il a quand même bien aidé Kristoff par le passé, je sais ce qu’il peut faire. Dans Paris-Nice il va le montrer. Par le passé, on a été confronté aux moments où on était deux ou trois pour nous débrouiller. Dans l’Etoile de Bessèges, en février, ce n’était pas un grand niveau mais face à Katusha ce n’est jamais simple. Dans le sprint, on était 7 FDJ et souvent 5 à 6 coureurs dans le dernier kilomètre. Au Tour d’Algarve, on s’est loupé le premier jour mais c’est utile aussi de se louper. Ce n’est pas mal de faire le rappel de notre job, de bien définir ce que chacun doit faire.
> Entretien avec Jacopo Guarnieri: « La FDJ est exemplaire »
Arnaud Démare, après une de ses victoires à Bessèges, disait se sentir plus sprinteur cette année ?
Le fait qu’il y ait eu ce recrutement autour de lui, ça le gratifie et c’est une motivation supplémentaire pour lui. Après, on ne le changera pas, c’est un sprinteur propre, pas un kamikaze. Dans Paris-Nic, il y a trois étapes sûres pour les sprinteurs, même s’il y a des bordures, ce qui ne nous handicapera pas. Ce serait bien de conclure dès le premier jour.
C’est une saison importante pour Arnaud ?
Oui. Il arrive à l’âge où ce serait bien d’enchainer les résultats dans les Flandriennes. En fait, c’est une année importante pour lui mais pour les équipiers aussi. Nous aussi, nous devons aller plus loin dans les classiques, être là quand ça se joue. Ça fait deux ans qu’on n’est pas au top. C’est vrai, Arnaud a fini 2e de Gand-Wevelgem en 2014 et il a quand même déjà gagné Milan-San Remo mais il a eu sa part de malchance dans les Flandres pendant deux ans, une crevaison au mauvais moment, une grosse gamelle en 2016 qui l’a bien sonné. Je sais quand même qu’un groupe bien soudé à côté du vélo est plus efficace sur le vélo. Cette année, et même si j’ai connu de bonnes années à la FDJ, c’est un très bon groupe. Il n’y a pas de tension, on rigole bien, chacun a du respect pour l’autre.
C’est déjà ta treizième année professionnelle, tu conseilles les jeunes aussi ?
Les jeunes ont leurs idées. Il faut dire que maintenant ils sont vraiment bien suivis par les entraîneurs perso et par les directeurs sportifs référents. Notre équipe est toujours plus structurée et ils savent où ils mettent les pieds.
Mickaël Delage lors des Championnats de France 2016
Pour finir, quand aurons-nous un Mickael Delage vainqueur ?
Cette année, puisque je fais tout le programme d’Arnaud, ce sera un peu compliqué. Mais une course comme le Tro Bro Leon, j’aimerais bien. C’est une bonne motivation pour moi. Dans toutes les classiques ce sera tout pour Arnaud mais là, ce ne sera pas tout pour lui je pense. Et comme il est reconnaissant, s’il on travaille bien dans les classiques, il n’est pas borné et saura faire plaisir à ses équipiers.
Par Gilles Le Roc’h
Aucun commentaire