En ce mois de mai, nombre de coureurs professionnels jusque là confinés chez eux ont pu, ou vont pouvoir, retrouver leurs routes d’entraînement. Ce sera notamment le cas des Français à compter de ce lundi 11 après deux – longs – mois sur home trainer. Durant ce laps de temps, d’autres ont profité de règles plus souples dans leur pays respectif pour continuer à rouler en extérieur. Au sein de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ, cela a particulièrement concerné le contingent suisse et Ramon Sinkeldam, mais aussi Tobias Ludvigsson, Ignatas Konovalovas et Kevin Geniets, auprès de qui nous sommes allés prendre la température à quelques jours du retour « général » sur la route.
En Lituanie, comme au Luxembourg et en Suède, la pratique du cyclisme en extérieur n’a jamais été remise en question par la pandémie du Covid-19 ces dernières semaines. Mais Ignatas Konovalovas, à peine revenu de son séjour prolongé aux Emirats Arabes Unis, n’a pu immédiatement jouir de cette régulation plus flexible. Après dix jours de confinement dans une chambre d’hôtel d’Abu Dhabi, il dût en respecter quinze supplémentaires, chez lui, avec sa femme et son petit garçon de retour d’Espagne. « Une quarantaine était imposée quand on revenait de l’étranger, explique-t-il. Qui plus est, sachant que l’on a ressenti quelques symptômes avec ma femme, on nous a demandé de rester chez nous par mesure de précaution. En fin de compte, j’ai démarré cette période comme mes collègues français et je peux donc les comprendre. J’ai vécu cette situation d’enfermement, avec ma femme et le petit qui ne comprenait pourquoi pas on ne pouvait pas sortir. J’ai donc moi aussi fait du home trainer, même je n’étais pas inquiet car je savais que ça ne durerait que deux semaines ». Kevin Geniets lui aussi a passé quinze jours confiné, pour la simple et bonne raison qu’il vit habituellement dans l’Hexagone. « C’était un peu compliqué et j’avais la possibilité de rentrer au Luxembourg, alors c’est ce que j’ai fait, confie le jeune homme. Il y a aussi un confinement en place ici, mais nous n’avons pas besoin d’autorisation pour sortir. C’est au fond comme la vie en France, à l’exception près que j’ai eu le droit de faire du vélo. Ce qui a certes bien changé ma vie ».
« C’est dur de trouver la motivation pour sortir », Ignatas Konovalovas
Dans sa Suède natale, Tobias Ludvigsson n’a pour sa part d’aucune façon connu le confinement. « Notre pays a adopté une démarche un peu différente des autres, dit-il. Les écoles ont fermé mais les gens peuvent continuer d’aller au travail, au restaurant, dans la limite de rassemblements de 50 personnes ». En soi, peu de changements de manière générale, et quasiment aucun pour ce qui concerne son activité de cycliste. « Beaucoup profitent de cette période pour faire du sport car nous avons le droit d’aller dehors, et je n’étais même pas obligé d’aller rouler seul. On pouvait sortir en petits groupes sans problèmes, mais je n’en avais personnellement pas envie », complète-t-il. Pour ce qui est de la compagnie, Ignatas et Kevin ont plus ou moins fait une croix dessus. « On avait le droit de faire du sport mais seulement de manière individuelle », précise le Luxembourgeois. « Chez nous, ce n’est pas aussi strict qu’en France, note le Lituanien. Nous avons le droit de sortir, mais seulement accompagné d’une personne quand c’est en dehors du cadre familial ». Nul des trois n’a en revanche été exposé à des restrictions de périmètre, comme celle des cent kilomètres qui s’appliquera aux Français dans quelques jours. « J’aurais pu faire le Tour de Lituanie si je l’avais voulu », plaisante d’ailleurs ‘’Kono’’.
La liberté de circulation en vigueur sur son territoire le lui aurait permis, mais là n’était pas la priorité du coureur balte à la sortie de sa ‘’quatorzaine’’. « Dans cette période, quand on n’a aucune idée sur la reprise des courses, c’est dur de trouver la motivation pour sortir, de se dire qu’on va faire tant de kilomètres, qu’on va faire des efforts particuliers », confie Ignatas. Cette absence d’objectifs à court et moyen termes a également quelque peu affecté Tobias, qui confesse de ne « pas toujours avoir eu le moral », ainsi que Kevin, qui attendait impatiemment ses premières Flandriennes : « J’y pensais depuis des mois, c’était donc un peu compliqué au tout début de prendre du recul et de la distance avec tout ce qu’il se passe, mais j’y suis parvenu. Aujourd’hui, je me sens à l’aise dans la situation actuelle ». Dans cette perspective de remonter la pente, se vider l’esprit et recouvrer un moral positif, tous ont alors opté pour la même solution. Celle également recommandée par l’équipe et les entraîneurs, à savoir : rouler par simple et pur plaisir.
« L’idée était plutôt de s’entretenir que de véritablement s’entraîner », Kevin Geniets
« De toute façon, j’aime m’entraîner pour simplement me sentir en bonne santé et en forme physique, clame notre Suédois. D’une certaine manière, c’est en fait assez agréable de sortir s’entraîner sans vrai objectif ou finalité, et simplement rouler autant qu’on le souhaite. En plus de ça, la météo a été très bonne. J’en ai également profité pour faire du VTT. C’est ce par quoi j’ai commencé et c’était sympa d’y revenir. C’est agréable d’être en forêt, de profiter de la nature, de travailler sur d’autres choses comme la technique et de faire quelque chose de différent de d’habitude ». Pour « s’aérer l’esprit », Konovalovas a de son côté dégainé le gravel bike. « C’est ch*** de rouler en Lituanie, il y a beaucoup de vent, c’est plat, c’est long, il n’y pas beaucoup de virages et de petits villages, énumère-t-il. En revanche, une fois qu’on va sur les chemins, dans les forêts et dans les champs, c’est magnifique, on profite davantage ». N’ayant fait le voyage qu’avec son vélo de route, Geniets s’est lui contenté du bitume, mais là aussi avec un vrai accent mis sur la notion de bien-être. « On n’a aucune pression en ce moment, et ça change beaucoup de choses, reprend-il. On va s’entraîner la tête libre sans se dire ‘’il faut que je fasse ça’’. C’est un tout autre état d’esprit, dont j’ai pleinement profité. J’ai fait de jolis tours dans la nature et j’ai vraiment profité de cette manière de faire du vélo ». Dans ce moment si singulier, les entraîneurs ont d’ailleurs accordé une certaine souplesse, bienvenue, à leurs protégés.
« Quand on a parlé au tout début, mon coach Anthony Bouillod a accepté de me laisser un peu de liberté, explique Kono. Je lui ai expliqué mon état d’esprit, que je voulais rouler selon mes sensations et mon envie. C’est un peu comme pendant la trêve hivernale quand je demande 2-3 semaines sans programme pour remettre la machine en marche. La différence, c’est que c’est un peu plus long aujourd’hui ». Ce n’est pas pour autant que le Lituanien de 34 ans a compté ses efforts, cumulant parfois 30 heures de vélo par semaine, tout en renforçant son dos à coups d’exercices et de gainage. « Jusque là, l’objectif était juste de maintenir la forme, pas d’être en grande forme », résume-t-il parfaitement. Supervisés par Julien Pinot, Tobias Ludvigsson et Kevin Geniets ont également pu tourner les jambes sans surveiller leur capteur. « Julien m’a donné des lignes directrices que j’ai assez bien suivies, confirme le Scandinave. Je n’en ai pas fait beaucoup plus ou beaucoup moins, j’ai juste continué à rouler pour rester en condition, à raison de 24 heures par semaine en moyenne. Je n’en ai pas trop fait comme certains, qui se sont entraînés comme des malades ; un Norvégien a fait 1000 kilomètres d’une traite et je ne comprends pas trop l’intérêt. Personnellement, j’ai fait six heures une seule fois. Maintenant c’est quatre heures maximum ». « Je n’ai pas trop fait de volume et d’intensité, mais je me suis bien entretenu et j’ai travaillé la force, précise pour sa part le coureur du Grand Duché. L’idée était plutôt de s’entretenir que de véritablement s’entraîner. Avec Julien, on a quand même regardé ce qu’on pouvait améliorer pendant le confinement et on a décidé de s’axer sur la force. Je l’ai travaillé par la musculation, le gainage et sur le vélo, mais je n’ai vraiment pas voulu abuser. Après avoir bien parlé avec Julien, on a décidé de faire les choses plutôt tranquillement ».
« Pour les coureurs confinés, le retour sur la route doit s’apparenter à Noël », Tobias Ludvigsson
Bien qu’à l’air libre, aucun des coureurs ‘non-confinés’ n’a donc eu pour consigne ou volonté de progresser, de monter en puissance ou de travailler plus que de raison lors des deux derniers mois. La priorité, comme pour leurs collègues sur home-trainer, étant de « ne pas brûler des cartouches au niveau psychologique », souligne Konovalovas. L’éventuelle avance grignotée sur les coureurs confinés apparaît donc toute relative. « Je pense qu’il s’agit plus d’un avantage mental que physique, continue le Lituanien. Psychologiquement, le dernier mois et demi a été plus simple pour moi, mais physiquement, je ne pense pas que je tirerai profit de cette situation-là au mois d’août. Au fond, ils n’ont pas perdu la condition. On fait certes moins d’heures sur home trainer, mais c’est plus intensif et ça suffit à se maintenir en forme. Il reste trois mois avant les premières courses et tout le monde sera sorti depuis bien longtemps. Dans 2-3 semaines, on sera tous sur un pied d’égalité ». Kevin Geniets ne nourrit pas plus d’inquiétudes pour ses compères : « On aura un peu plus d’acquis les premiers jours, mais sur la durée, ça ne change rien. Les premières courses sont encore loin, il y a encore le temps de travailler. Il y a éventuellement un risque pour ceux qui ont vraiment fait beaucoup de home trainer. Ils se sont peut-être cramés. Mais pour ceux qui ont fait ça normalement, ils auront autant la forme que moi lorsque les courses reprendront ».
« Trois mois c’est largement suffisant pour revenir en forme et réaliser une belle préparation, approuve Tobias Ludvigsson. J’ai profité de ma liberté de sortir mais ça ne m’avantagera pas au bout du compte. Personnellement, je ne sais pas du tout comment j’aurais réagi si j’avais été en confinement total comme une grande partie de mes coéquipiers. Je dois dire que je suis impressionné par la manière dont ils ont géré la chose et sont restés dignes et exemplaires. Pour eux, le retour sur la route la semaine prochaine doit certainement s’apparenter à Noël ». Pour avoir ne serait-ce que temporairement goûté à cette situation, Geniets en a la certitude. « Après mes deux semaines sur home trainer en France, sans sortir du tout, je pense que j’ai su davantage apprécié la chance d’être dehors, comparé à d’autres. Pour moi, ça avait encore plus de valeur ». Il n’est dès lors pas bien compliqué d’imaginer le ressenti après deux mois de privation. Ce retour à l’air libre des coureurs latins, notamment, coïncide d’ailleurs avec la sortie du calendrier révisé de l’UCI WorldTour, amorçant le retour à la compétition pour début août avec les Strade Bianche, Milan-Sanremo ou encore le Critérium du Dauphiné et le Tour de Pologne. Cette hypothèse, qu’il faut encore certainement prendre avec des pincettes, s’accompagne malgré tout d’une remobilisation psychologique et bientôt physique pour des athlètes de haut-niveau en manque de challenges.
« S’il fallait remettre en marche après-demain, je n’y suis pas prêt », Ignatas Konovalovas
« Au début, quand tu sors pour prendre du plaisir, tu prends du plaisir. Mais au bout de quelques semaines, ça devient presque difficile de sortir juste pour ça, parce que tu commences à te dire qu’il est peut-être temps de remettre en route, de s’entraîner comme il faut, même si tu sais que ce n’est pas encore l’heure, analyse Ignatas. Mais au moment où on se parle, je sens que ce jour approche, que je vais bientôt avoir besoin de demander à Anthony un programme plus sérieux ». « Maintenant que nous avons un calendrier, c’est plus facile de se motiver pour aller rouler dehors, valide Tobias. Mentalement, je me sens prêt et j’ai hâte de reprendre un entraînement plus rigoureux et précis. Julien a d’ailleurs actualisé mon programme pour les deux prochaines semaines et cela inclut un peu plus de travail spécifique et intensif. Pour autant, il reste encore du temps avant août et il n’y a pas nécessité de se mettre la pression ou de se stresser ». Prudent quant aux récentes annonces, Geniets s’efforce à rester concentré sur son sujet et à ne pas se poser trop de questions. « Je pense que ces prochaines semaines, il va surtout être question de se refaire une base, de reprendre ses habitudes et faire un bon travail d’endurance, ajoute-t-il. Dans quelques semaines on parlera du spécifique, mais avant ça, il va encore s’écouler un peu de temps ». Sur la même tonalité, le mot de la fin revient finalement à ‘’Kono’’ : « Si on me disait qu’il fallait remettre en marche après-demain et enchaîner – ‘’bam, bam bam’’ -, je n’y suis pas prêt. Si on me dit en revanche qu’on reprend dans 10-15 jours par paliers, là je serai au rendez-vous mentalement. Mais ce n’est pas pour demain. Pour le moment, comme on dit en Lituanie, il faut encore bien tenir le cheval par les rênes ».
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