« Si on ne cherche pas à innover, on recule »
À l’aube de la saison 2022, l’Équipe cycliste Groupama-FDJ va opérer une certaine restructuration autour de son Pôle Performance. De nouveaux postes, de nouvelles missions, de nouveaux collaborateurs ; le champ d’action des équipes de Fred Grappe s’élargit encore. Le directeur du pôle et les principaux concernés reviennent en détail sur ces aménagements loin d’être anodins.
Le pôle performance, qu’est-ce que c’est ? « Il comprend évidemment le volet lié au suivi de l’entraînement des coureurs, avec l’ensemble des entraîneurs, au nombre de cinq la saison passée, introduit Fred Grappe. Nous sommes aussi très étroitement liés à la Conti, en raison notamment de notre présence commune à Besançon. Le pôle est également doté d’un département en Recherche et Développement qui a un vrai poids au sein de l’équipe. De là, notre objectif premier est de faire en sorte qu’au départ des compétitions, les directeurs sportifs aient la matière pour bien travailler. Cette matière, ce sont des coureurs bien entraînés et du matériel performant ».
Julien Pinot, un nouveau rôle pour davantage de transversalité
« La saison prochaine, notre volonté est de mettre encore plus d’huile dans les rouages, enchaîne Fred. Julien Pinot entraînera moins de coureurs et assumera une mission de ‘’support performance’’ ». « On peut aussi appeler ça coordinateur de la performance, reprend Julien. L’idée est d’être un relais sur le terrain et de veiller à la bonne application des processus liés à l’optimisation de la performance, que cela concerne le matériel, la nutrition etc… Le but est qu’il n’y ait pas de différences entre certains fronts et que le fonctionnement de l’équipe sur les courses ne dépende pas des personnes qui s’y trouvent. Le management de l’équipe était jusque-là plutôt vertical, mais plus l’équipe grandit, plus il y a nécessité d’un management plus horizontal et donc de relais inter-pôles ». « Depuis plusieurs années, on essaie de mettre en place des méthodologies de performance, expose Fred. Mais par moments, elles pouvaient avoir tendance à s’évaporer sur le terrain. Les nouvelles missions de Julien doivent nous permettre d’avoir encore plus de maîtrise. L’idée est d’être plus efficace et d’avoir un contrôle sur certaines méthodologies décidées par les pôles. Le but pour Julien sera d’apporter ces processus et de vérifier leur mise en œuvre, en bout de chaîne. Par moments, cela pourra toucher deux ou trois pôles différents ».
« Je fête mon dixième anniversaire dans l’équipe, rappelle Julien. Cela faisait environ deux ans que j’avais envie d’évoluer un peu dans mes missions et mes responsabilités. Je reste entraîneur dans l’équipe, mais je passe de dix à six coureurs dans un premier temps. À l’heure d’aujourd’hui, je ne me vois pas arrêter complètement d’entraîner. Je le fais depuis quinze ans mais j’aime encore ça, j’aime cette relation entraîneur-entraîné. Ça n’a pas été simple de me séparer de certains coureurs, mais cela fait partie de l’évolution de mon métier et du sport de haut-niveau. Et puis je ne pars pas de l’équipe ! Maintenant, j’ai aussi envie de m’orienter de plus en plus vers des notions de management de groupe. Je me suis d’ailleurs inscrit à une formation en management du sport, que j’ai débutée en septembre. Je veux aider au fonctionnement général de l’équipe et faire le lien entre ce qu’il se passe sur le terrain et les directeurs de pôles. Nous entraîneurs faisions déjà un peu de coordination par rapport aux mécanos, aux assistants, aux aspects logistiques, mais ce n’était pas suffisamment clair. Aujourd’hui, la mission l’est, et elle inclut une notion de management. Elle est nouvelle mais on a tout l’hiver pour l’expliquer, la faire comprendre et mettre en place des choses pour que ce soit concret ».
Un contingent d’entraîneurs remanié et élargi
« Étant donné que Julien entraînera moins de coureurs, un petit jeu de chaises musicales va avoir lieu, explique Fred. La première évolution est que Nicolas Boisson entraînera à la fois dans la Conti et dans la WorldTour l’année prochaine. Dès l’instant où nous le faisons glisser vers la WorldTour, il libère le suivi de plusieurs coureurs de la Conti, ce qui nous a donc amené à engager un sixième entraîneur au sein de l’équipe. Il s’agit de Maxime Latourte, qui vient se greffer à Joseph Berlin-Sémon auprès des jeunes ». « J’ai déjà travaillé avec l’équipe WorldTour, rappelle pour sa part Nicolas. Pendant deux ans, j’étais en charge des coureurs du cycle formation. Puis, j’ai travaillé pendant un an à la création de la Conti, dont j’en ai été l’entraîneur ces trois dernières années. J’étais seul en année une, et depuis maintenant deux ans, on se partageait les coureurs avec Joseph. Au mois d’août, Fred m’a demandé si je me sentais prêt à rejoindre la WorldTour. Je lui ai dit oui, mais ça n’a pas été si évident. J’adore travailler avec les jeunes, j’ai toujours fait ça. Nous voulons d’ailleurs laisser la transition s’opérer tranquillement. En 2022, j’entraînerai encore deux coureurs à la Conti, et j’en aurai cinq dans la WorldTour. Le métier n’est pas différent, mais l’accompagnement l’est. Quand un coureur arrive dans la Conti, on lui dit ce qu’il faut faire à l’entraînement de A à Z. Ils quittent aussi la maison, il faut leur apprendre des choses annexes. Avec les coureurs de la WorldTour, nous sommes davantage des accompagnateurs et des guides ».
« Quand on a créé l’équipe Conti, on s’est toujours dit que l’important était de former des coureurs et prendre les meilleurs, mais aussi de prendre du personnel jeune et motivé et de progressivement les faire monter dans la WorldTour, insiste Fred. Quel intérêt a-t-on à aller chercher un entraîneur extérieur si nous avons la ressource en interne ? Qui plus est, nos entraîneurs travaillent ensemble, se connaissent bien, ça évite donc des ruptures ». « La passerelle existe pour tout le monde, renchérit Nicolas. Cette année, Axel Beaugendre passe assistant à temps plein dans la WorldTour, tout comme Thibaut Dagnicourt en tant que mécanicien. Il existe une réelle connexion Conti-WorldTour. L’an prochain, l’une de mes tâches sera d’ailleurs de faire le lien entre les deux équipes, que ce soit au niveau de l’entraînement et des directeurs sportifs pour les potentielles montées/descentes. Je n’irai plus sur les compétitions avec la Conti, et ça va un peu me manquer, mais je continuerai de voir les jeunes quasiment tous les jours. Je serai encore avec eux lors des entraînements et des stages ». « Nicolas sera une courroie de transmission intéressante entre les deux équipes, assure Fred. Quant à Maxime Latourte, qui arrive pour pallier le glissement de Nicolas, il s’inscrit parfaitement dans le modèle d’équipe que nous avons mis en place. Il se trouve que je l’ai eu comme étudiant à la Fac de Sport de Besançon ».
« Je suis passé par le Master à Besançon comme la plupart des entraîneurs de l’équipe, raconte le nouveau venu. J’ai d’abord travaillé avec le Pôle France et Espoirs VTT à Besançon. J’étais censé continuer dans cette branche mais le Covid-19 a changé les plans. Je me suis réorienté sur la route et j’ai eu une opportunité avec l’équipe Delko début 2021. La conjoncture économique de l’équipe a fait que le projet s’est avéré plus court que prévu, et dans l’été, les contacts se sont noués avec Fred ». « J’avais suivi le parcours de Maxime une fois qu’il avait quitté l’Université, enchaîne le directeur de la performance. Il a beaucoup œuvré dans le VTT, c’est son sport premier. De par son expérience chez Delko, il connaissait aussi déjà l’entraînement avec des coureurs professionnels sur route, ce qui était un point important. Une autre donnée nous a rapprochés : il est l’entraîneur de Romain Grégoire. Ça a tissé des liens. On a discuté, et de fil en aiguille, j’ai vu que sa philosophie de travail collait bien avec la nôtre ». « Je voulais être prudent, insiste également Maxime, et ne pas être recruté car étant l’entraîneur de Romain. Pour autant, cela fait logiquement partie des éléments qui ont accéléré les discussions et ouvert les portes de mon retour à la ‘’maison’’, à Besançon ».
« J’ai été pendant dix ans à Besançon avant de partir, précise-t-il. Anthony Bouillod a été l’un des tuteurs de mon mémoire, Fred était prof à la Fac, je connaissais aussi Joseph et Nicolas. Je ne suis pas complètement en terrain inconnu, même si l’organisation interne est elle toute nouvelle. J’ai pu voir ce qu’était une équipe pro de l’intérieur avec Delko, mais la structure Groupama-FDJ est un vrai cran au-dessus en termes d’organisation, ne serait-ce que parce qu’il y a plus de monde, plus de moyens et des missions plus claires pour chacun. Je reviens d’ailleurs dans un rôle qui me convient plus, celui de former des jeunes coureurs. Dans ma précédente équipe, je me suis retrouvé à entraîner des coureurs pour la plupart plus vieux que moi. Il pouvait être délicat d’affirmer des choix face à des mecs plus expérimentés, et parfois des champions. Arriver dans l’équipe Conti avec une optique de formation, ça rentre plus dans mes habitudes. C’est un retour aux sources et c’est là où je me sens le plus à l’aise : avec les jeunes. Fred tient aussi à ce que je prenne en charge une partie de la préparation physique. Dans ma méthodologie, j’ai tendance à inciter à la pratique d’autres sports comme la course à pied, le ski ou même la natation. Je vais essayer de garder cette approche pluridisciplinaire car c’est aussi un axe que Fred souhaite exploiter ».
La « data science » au service de l’équipe
« Avec quarante-et-un coureurs au total en 2022, les entraîneurs auront pratiquement autant de coureurs que la saison passée, mais leur charge de travail sera néanmoins diminuée, assure Fred Grappe. Pour faire en sorte qu’ils soient plus efficaces, nous avons en effet récemment recruté un « data scientist ». Le but est que les entraîneurs gardent le même nombre de coureurs mais qu’ils dégagent plus de temps pour d’autres actions. On avait identifié cet axe de progression il y a deux ans. Partant de ce diagnostic, nous nous sommes rapprochés d’Olivier Mazenot ». « Je suis originellement professeur agrégé de mathématiques, indique l’intéressé. J’ai ensuite souhaité me reconvertir et j’ai donc effectué une formation pour devenir data scientist il y a un an et demi. Ça se rapproche du métier d’ingénieur informaticien, car on fait énormément de programmation, mais ça repose tout de même sur une grosse base de maths. J’avais rencontré Fred il y a 3-4 ans, le courant était plutôt bien passé et quand je l’ai contacté en janvier, je pense que l’idée lui trottait déjà dans la tête depuis un moment. C’est un métier qui devient incontournable. Il y a de la data partout, y compris dans le sport. Et dans le vélo, on ne manque pas de données. J’ai commencé à travailler avec l’équipe au mois de mars. J’ai réalisé deux missions, mon travail s’est avéré utile, et je suis désormais salarié ».
« Jusque-là, l’entraîneur perdait beaucoup de temps à traiter les data de manière statistique, détaille Fred. Il faut savoir que les athlètes téléchargent tous les jours leurs données sur la plateforme de l’équipe. La mission première du data scientist sera de travailler en soutien des entraîneurs en traitant de manière plus automatique et plus rapidement certaines demandes. Certaines analyses de courses qui pouvaient prendre 15/20 minutes seront désormais faites instantanément. Ce temps qu’ils passaient à traiter les data, ils l’auront désormais pour d’autres actions auprès de leurs coureurs. C’est un gain de temps, mais surtout une manière de travailler plus efficace ». « Très concrètement, le but est de simplifier la vie des entraîneurs afin qu’ils puissent se concentrer sur le cœur de leur métier, soutient Olivier. Le mot clé est automatisation. La grosse mission de ma première année est la création d’outils pour les entraîneurs. Par outils, j’entends des programmes, sous la forme de logiciels ou d’applications, pour traiter les fichiers d’entraînements. Ensuite, pour que le traitement soit efficace, on ne peut pas utiliser n’importe quel algorithme, et c’est là où les mathématiques entrent surtout en ligne de compte. À l’arrivée, je crée des programmes complètement nouveaux selon les demandes des entraîneurs ».
« Olivier aura aussi d’autres missions, notamment pour le pôle médical, qui a aussi besoin de traiter de la data et constituer une base de données centralisée, ainsi que pour le pôle administratif en ce qui concerne la logistique. Il aura des missions transversales, agrémente Fred. Sa troisième mission, en fil rouge mais néanmoins importante, concernera l’intelligence artificielle. On souhaiterait faire parler toutes les data qu’on a recueillies dans notre plateforme depuis dix ans. Pour les mettre en valeur, nous avons besoin de l’intelligence artificielle ». « Quand on est data scientist, notre rôle est aussi de modéliser, complète Olivier. En l’occurrence, on souhaite modéliser la performance, pour essayer de mieux l’appréhender et d’apporter des éléments de compréhension. Pour être concrets, nous allons par exemple étudier l’influence des facteurs environnementaux sur la performance (météo, altitude), essayer de comprendre de quelle manière varie l’état de forme d’un coureur pendant l’année. L’idée est de mieux comprendre les clés de la performance. Mon métier est non seulement de traiter toutes ces données, mais aussi de faire en sorte que ce soit visuel et lisible pour chacun ».
Une évolution perpétuelle
« Tu ne peux pas faire de la performance si tu n’es pas dans l’innovation, tranche Fred. Ma mission essentielle dans le pôle performance, c’est qu’il y ait du mouvement. On fait bouger les lignes et on fait en sorte que les personnes au sein du pôle sentent que l’évolution les concerne. Mon rôle est de faire en sorte que le pôle ne se sclérose pas mais qu’il soit innovant, au service de l’équipe ». « On n’a guère le choix, abonde Julien. Si on ne cherche pas à innover, se développer et avancer, on recule dans le sport de haut-niveau. On voit aussi avec les équipes concurrentes que tout se structure de plus en plus. Le niveau requis est de plus en plus élevé ». « Si je regarde en arrière, l’évolution est extraordinaire, ponctue Fred. Je ne sais même pas si on aurait pu imaginer ça il y a quinze ans. Le cyclisme a connu une évolution exponentielle. Aujourd’hui, je pense qu’on a bien jeté les bases et il nous faut désormais de plus en plus structurer. Dans le même temps, mon rôle est de me projeter. La performance est faite et bien faite dans beaucoup d’équipes désormais. Il nous faut donc appuyer sur les bons boutons ».
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