L’espace de quelques instants, ce samedi, sur Milan-San Remo, Romain Grégoire s’est invité à la table des tous grands. Lorsque Tadej Pogacar a fait exploser la course dans la Cipressa, le jeune puncheur de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ a en effet été l’un des trois seuls coureurs à pouvoir répondre. Malheureusement, l’aventure n’a pas duré pour le Bisontin, finalement repris par un petit peloton avant le Poggio. Il n’a alors pu conclure sa prestation lors du large sprint pour la quatrième place (30e) mais a assurément pris rendez-vous pour les années futures.
Jour de Monument, et jour de printemps ! C’est tout du moins la promesse généralement associée à Milan-San Remo. Pourtant, c’est sous la pluie et par des températures relativement fraîches que les coureurs ont pris le départ de la « Primavera » 116ème du nom peu après 10 heures ce samedi. À l’instar de l’an passé, tout commençait à Pavie, et comme l’an passé, le kilométrage total n’atteignait donc pas tout à fait la mythique barre de trois-cents. Précisément, 289 kilomètres de course figuraient au programme, auxquels il convenait d’ajouter près de quatre bornes de « fictif ». L’essentiel du tracé demeurait inchangé, avec une explosion attendue dans l’ultime heure de course, mais c’est comme de coutume une échappée qui a ouvert la route durant la majeure partie de la journée. Alessandro Verre, Mathis Le Berre, Martin Marcellusi, Filippo Turconi, Tommaso Nencini, Mark Stewart, Baptiste Veistroffer et Kristian Sbaragli ont ainsi évolué avec une marge de quatre minutes d’avance pendant plusieurs heures, alors que les coureurs ont enfin aperçu les premiers rayons de soleil à leur arrivée sur le bord de mer ligure, après le passage du Passo del Turchino. Ce n’est toutefois qu’à l’entrée dans les soixante-dix derniers kilomètres que la tension s’est réellement accrue, avec une bataille de placement constante à l’approche des « Capi ». Ces derniers n’ont pas provoqué de profonds dégâts au sein du peloton, et la grande explication attendue sur les pentes de la Cipressa s’est donc profilée.
« Je ne me suis pas posé de question », Romain Grégoire
La Groupama-FDJ s’est alors efforcée de maintenir son leader Romain Grégoire à l’avant, et elle l’a réalisé non sans une certaine réussite. « Le plan était que Clément et Lewis soient dans les meilleures dispositions pour pouvoir faire ce travail pour Romain, exposait Philippe Mauduit. Du coup, les copains en amont ont bien fait le boulot. Sven a d’abord fait une grosse première partie de course, en replaçant les gars dans le Turchino pour aborder la descente en tête et ne pas se mettre en difficulté. Il s’est remis en route un peu plus tard avec Thibaud pour passer les premiers Capi puis Lewis et Clément sont entrés en action. Ça a super bien marché et c’est une belle satisfaction car on a vu aujourd’hui que c’était un Milan-San Remo de haute facture ». À vingt-sept bornes du but, le Franc-Comtois était donc l’un des dix premiers à entrer dans l’avant-dernière difficulté du jour. « Ils ont fait le boulot qu’il fallait, j’étais au bon endroit au bon moment », affirmait l’intéressé. Et il valait mieux y être, puisque les coéquipiers de Tadej Pogacar ont immédiatement imprimé un train d’enfer. « Je ne savais pas s’il allait dégainer dans la Cipressa, mais je savais que ça allait rouler très fort du bas jusqu’en haut », poursuivait Romain. Le peloton s’est étiré de toute sa longueur, des cassures n’ont pas manqué d’intervenir, mais le jeune Bisontin restait vigilant dans les toutes premières positions.
À trois bornes du sommet, un énième coup de butoir a fait exploser quelques coureurs qui le précédait, il s’est empressé de combler le trou, et deux-cents mètres plus loin, Tadej Pogacar en personne a porté le coup de fusil ultime. Seuls trois hommes ont réussi à encaisser le choc : Mathieu van der Poel, Filippo Ganna, et… Romain Grégoire. Le Français est parvenu à s’agripper pendant quelques hectomètres, mais le prolongement de l’effort lui a finalement été fatal, et le trio s’est envolé sans lui. « Je ne me suis pas posé de questions et j’y suis allé quand ça a accéléré vraiment très fort, disait-il. Malheureusement, les jambes n’ont pas suivi. On dit que lorsqu’on s’approche un peu trop près du soleil, on se brûle. Je crois que c’est ce qui m’est arrivé aujourd’hui ». « Il fallait avoir des tripes pour boucher les trous et revenir dans la roue de Ganna, quand on sait que Ganna était lui-même dans la roue de Van der Poel et Pogacar, lançait Philippe. Au-delà des qualités physiques, cela démontre un mental et l’envie d’aller gagner des grandes choses ». Romain Grégoire est resté intercalé jusqu’au sommet de la Cipressa, puis a été repris par un très maigre peloton, au sein duquel Quentin Pacher a fait son retour dans la transition vers le Poggio. En tête de course, personne n’a pu se détacher dans l’ultime bosse du parcours, et pas plus dans le peloton une petite minute plus loin. « Tous les coureurs qui restaient dans ce groupe étaient à bloc et personne n’était en capacité d’attaquer », relatait Philippe Mauduit.
« On sait que Romain ne va pas s’en contenter », Philippe Mauduit
Sur la Via Roma, Mathieu van der Poel a réglé un trio pour la victoire tandis qu’un sprint d’une quarantaine d’unités a décidé des places d’honneur. Quentin Pacher (29e) et Romain Grégoire (30e) n’ont pas trouvé l’ouverture. « Je n’ai pas de regrets quant au fait d’avoir essayé de suivre, car j’ai coincé à la jambe, mais c’est une nouvelle déception de repartir sans résultat alors que je me sentais bien, confiait Romain. Je pense que je ne suis pas récompensé aujourd’hui ». « Romain et Quentin étaient frustrés car ils se sont un peu loupés dans l’approche du sprint, mais tout ce qui avait été fait en amont avait été bien réalisé, concluait Philippe. Je suis vexé pour les garçons qu’il n’y ait pas le résultat au final car ils le méritaient. On va garder tout le positif. C’est déjà une grande satisfaction d’avoir vu l’équipe à ce niveau, d’avoir réussi à tenir le plan qu’on s’était fixé, et de voir Romain en capacité de jouer avec les meilleurs. Évidemment qu’on a de quoi être déçus si on regarde le résultat, mais j’ai envie de retenir le travail, l’engagement et malgré tout la performance de Romain. Il ne fait aucun doute qu’il finira par y arriver. Il ne faut pas oublier que les trois premiers ont tous un peu plus de bouteille que lui. Ce qu’il a réalisé aujourd’hui est chouette. Il ne faut pas se contenter de ça, mais on le connaît suffisamment pour savoir qu’il ne va pas s’en contenter, et ça nous laisse augurer de belles courses dans les semaines à venir ».