Un an après son splendide Tour de France ponctué par une quatrième place finale, David Gaudu s’apprête à retrouver la Grande Boucle ce week-end. Il l’aborde avec sérénité et une ambition intacte malgré un Critérium du Dauphiné poussif et quelques mois agités hors du vélo. Dans cet entretien, il en profite pour creuser ces différents points, rappeler certaines évidences et se projeter sur son objectif majeur de la saison.
David, deux jours après le titre de Valentin, l’euphorie est-elle retombée ?
Pas vraiment, non (sourires). Je suis vraiment fier de lui. Surtout, c’est un mec qui le mérite après avoir tant donné pour les autres, notamment pour moi l’an passé sur le Tour, et après être passé si près sur de très grandes courses. On en parlait depuis un an, et il a été présent le jour J, ce qui n’est jamais simple. Pendant la course, il m’a rapidement dit qu’il avait des jambes de feu. À partir de là, j’ai fait tout ce que je pouvais pour l’aider. J’ai passé un dernier relais après notre attaque commune et je savais qu’il allait conclure. C’est un magnifique champion de France, et il va être intenable sur le Tour !
« C’était difficile à accepter, mais je n’ai rien voulu lâcher »
On t’avait personnellement quitté sur une performance mitigée lors du Critérium du Dauphiné avant de te retrouver à Cassel. Qu’as-tu fait entre-temps ?
Il est clair que le Dauphiné n’a pas été simple, que ce soit pour moi ou pour l’équipe en général. Ce qui était « rassurant », c’était de voir que Kevin et Valentin, qui étaient en stage avec moi, n’étaient pas non plus à leur niveau. Je me suis dit que je n’étais pas tout seul. À l’issue du Dauphiné, on est retourné en stage en altitude, à Tignes, où on a d’abord mis l’accent sur la récupération. C’était notre premier véritable repos depuis le début de notre stage à Ténérife. Ça a vraiment fait du bien. En plus, nos copines étaient là. On était six là-haut, on a pu faire quelques pique-niques, vivre notre vie et prendre un peu nos distances avec le monde du vélo pendant quelques jours. Être ensemble nous a aussi permis de ne pas cogiter sur nos performances du Dauphiné et de penser à autre chose. Derrière, on a repris l’entraînement tranquillement et sincèrement, je trouve que ça nous a fait du bien.
As-tu rapidement compris que le Critérium du Dauphiné allait s’avérer délicat pour toi ?
Les premières étapes étaient quand même difficiles, mais j’ai pu compter sur tout le reste de l’équipe pour me protéger au maximum. C’est pourquoi j’étais encore plus désolé envers eux, car ils avaient fait du super boulot. Malheureusement, je n’ai pas été à la hauteur quand les profils se sont durcis. Sur le contre-la-montre, j’avais de bonnes sensations au début puis ça m’a lâché d’un coup. On a pensé à un coup de chaud, mais on a ensuite vu que je n’étais pas dans le match sur les étapes suivantes. C’était difficile à accepter, mais je n’ai rien voulu lâcher. Je me suis toujours accroché autant que je le pouvais. Sur certaines étapes, j’aurais très bien pu finir tranquille en pensant au lendemain, mais je voulais vraiment ne rien lâcher pour l’équipe. C’était important de le faire pour eux, car ils me donnent énormément de leur confiance. Sur les étapes de plat, ils donnent tout pour moi, je suis constamment dans leurs roues, donc je n’ai pas le droit de tout envoyer balader. Ils ont su me soutenir dans les moments les plus difficiles, donc j’ai voulu m’accrocher, même si j’ai vu que j’étais à la limite dans la montagne. Une fois qu’on a dit tout ça, je relativise en me disant que je n’étais pas forcément plus fort sur le Dauphiné l’an passé. J’avais réussi à gagner une étape, mais la charge était répartie différemment. L’équipe, les entraîneurs, le pôle performance ont aussi bien analysé ce qu’il s’est passé en stage, sur le Dauphiné. Ils nous ont aussi remotivés immédiatement. J’ai confiance dans ce qu’ils ont pu me dire. J’ai déjà pu montrer ce week-end que j’étais en forme et que j’avais bien récupéré.
« Ce n’est pas parce qu’on a pris une claque qu’il faut rester par terre »
L’épisode du Dauphiné a-t-il altéré ta confiance ?
L’équipe, en tout cas, a su avoir les bons mots au bon moment. Elle a continué à nous faire confiance et à nous rassurer. Je pense que c’était le plus important. En tant que sportifs de haut-niveau, on a aussi un peu d’orgueil, donc prendre une petite claque (voire une grosse) de temps en temps, ça permet aussi de se remettre en question. Parfois, ce n’est pas plus mal avant un grand objectif. C’est ce qu’on a su faire après le Dauphiné. Quand on passe à côté, ça impacte forcément un petit peu la confiance du moment, mais derrière, il faut savoir relativiser et repartir du bon pied. Ce n’est pas parce qu’on a pris une claque, pour reprendre la métaphore, qu’il faut rester par terre. Il faut toujours se relever : prendre une claque, se remettre en question et repartir. Quand on est repartis au travail, on avait peut-être encore plus d’envie, et je pense que c’est de bon augure avant le Tour. Dans ces moments-là, on essaie aussi de s’accrocher à des performances passées. On fait le point, on se demande « ok, il reste combien de temps avant le jour J ? ». On essaie de prendre du recul en se disant que le Dauphiné reste le Dauphiné, et que le Markstein est quasiment six semaines plus tard. On se dit que tout peut changer, mais ça nous met aussi un coup de pied au cul et ce sont des choses qui, personnellement, me font du bien.
Sportivement et extra-sportivement, ton approche du Tour aurait néanmoins pu être plus fluide…
Je pense que ce n’est pas la pire année. L’an passé, je m’étais blessé sur Paris-Nice et je ne m’étais remis que sur le stage de mai. J’avais dû refaire toutes les bases et ça avait été très compliqué. Puis, au moment où je pensais être revenu au niveau sur le Dauphiné, je me suis repris un coup de bâton lors de la dernière étape. L’approche physique a été plus délicate l’an passé. En revanche, il y a eu cette année beaucoup de tumultes sur les réseaux sociaux. Les personnes n’ont parfois pas compris ce que je voulais dire, en particulier quand j’ai voulu garder mon opinion concernant la sélection de Thibaut pour le Tour. En plus, j’avais déjà dit en mai que j’avais très envie que Thibaut soit là. Je voulais qu’on arrête de me poser la question, car ce n’est pas moi qui fais l’équipe. J’avais envie de couper court à tout ça. Malheureusement, ça a été interprété de la mauvaise manière par certaines personnes et ça m’a mis pas mal de monde à dos. Ça n’a pas été simple à gérer car j’ai reçu beaucoup d’insultes. Le bon point est que ça s’est vraiment calmé, et je veux aussi remercier les gens qui ont su faire preuve de retenue. Ça m’a permis de passer une semaine un peu plus cool après le Dauphiné. Dans mon approche, c’est finalement la seule chose qui diffère vraiment de l’an passé.
« On ne peut pas être aimé de tout le monde »
Ressens-tu seulement aujourd’hui tout le poids de ta quatrième place sur le Tour 2022 ?
Il y a de ça, mais je pense qu’il y a aussi plus d’attentes après ce que j’ai réalisé sur Paris-Nice. On avait déjà commencé à me titiller quand il a été annoncé que j’étais leader sur le Tour l’an passé. Je sais que beaucoup de personnes ne croyaient pas en moi. Quand on termine ensuite quatrième du Tour et deuxième de Paris-Nice quelques mois plus tard, je pense qu’on suscite beaucoup d’attentes. Les gens sont déçus quand je rate le Dauphiné, mais je suis le premier déçu. D’ailleurs, j’ai envie de dire que les critiques sur mon niveau physique du Dauphiné sont totalement justifiées. Je n’en veux à personne. Je n’étais pas au niveau, point barre. Maintenant, il faudra montrer à ces mêmes personnes que je serai bien là sur le Tour. Ça reste le plus important. Tu as beau réaliser un super Paris-Nice, un super Tour du Pays Basque, si tu te rates sur le Tour, tu as raté toute ta saison. Je l’ai encore plus réalisé l’an passé. Après ma quatrième place sur le Tour, les gens m’ont dit que j’avais fait une super saison. Or, pour moi, il n’y a pas eu grand-chose à part le Tour. L’année dernière, j’ai vraiment compris ce que le Tour pouvait apporter à un coureur, dans un sens comme dans l’autre. Je sais que si je me rate sur le Tour, mon Paris-Nice sera complètement effacé alors que c’est l’une des plus belles performances de ma carrière. Quoi qu’il en soit, le meilleur moyen de répondre aux critiques, c’est sur le vélo et à la pédale.
Comment as-tu vécu ce gain de notoriété, et de critiques l’accompagnant ?
Je sais que sur les réseaux sociaux, comme partout ailleurs, on ne peut pas être aimé de tout le monde. Ce n’est d’ailleurs pas mon but. Je n’ai pas l’ambition de devenir une star, et d’ailleurs je déteste ce mot. Mon but n’est pas d’avoir une notoriété et d’avoir un million de followers. Quand je fais des trucs sur Twitch par exemple, c’est pour m’évader, et à partir du moment où je m’éclate dans ce que je fais et que les gens aiment ça, ça me suffit. Il y aura malheureusement toujours des mécontents, qu’on fasse une chose dans un sens ou dans l’autre. Mais je pense qu’il y a beaucoup plus de personnes bienveillantes qui me suivent et qui sont les premières déçues quand je ne réussis pas quelque chose. Au final, c’est aussi ce qui est triste : décevoir les gens. Comme dans la vie en général.
« Thibaut m’a tout appris dans le vélo […] C’est un ami avant tout »
As-tu la sensation d’avoir été pointé du doigt comme le « vilain petit canard » ?
En janvier, je n’y suis pas pour rien… Et je le prends totalement pour moi. Lorsque les choses sont justifiées, j’accepte d’être pris pour cible. Il y a des choses que j’ai faites ou dites dont j’assume totalement les conséquences, car je sais en être à l’origine. En revanche, quand c’est injustifié ou incompris, ça m’embête bien plus car je passe pour quelqu’un d’hautain et d’égoïste, et je ne pense pas être comme ça. Certaines choses se sont malheureusement créées et développées sur des incompréhensions. C’est ce qui m’a le plus ennuyé, pour être honnête. C’est ce que j’ai eu le plus de mal à accepter. Malheureusement, je ne vais pas changer l’avis de tout le monde à mon égard, je ne peux pas répondre à tout le monde non plus.
Comment réagis-tu quand tu te retrouves cité dans des polémiques dans la presse, sur les réseaux sociaux ?
Sur des choses infondées, ça fait ch*er, surtout quand on parle de Thibaut. Thibaut est quelqu’un pour qui j’ai toujours tout donné. Quand je suis arrivé dans l’équipe, c’était lui le leader, et il m’a tout appris dans le vélo. Il a certainement encore des choses à m’apprendre. Quand tu vois des titres de presse, de vidéos, où on nous oppose, ça me dégoûte. Je considère Thibaut comme un ami avant tout, je l’adore. J’ai toujours tout donné pour lui, et je sais qu’il est à l’inverse capable de tout donner pour moi. Franchement, ça me met la boule au ventre quand je lis ça. On se dit qu’on est perçu comme ça alors que c’est infondé. Ça m’a vraiment surpris que les gens aient pu croire que je ne voulais pas de lui. Si on ne s’entendait pas, je ne sais pas si on aurait pu donner autant l’un pour l’autre. Thibaut est quelqu’un que je respecte énormément. Parfois, j’ai quelques-unes de ses mimiques qui ressortent, tout simplement parce que je regardais tout ce qu’il faisait quand il était leader. Thibaut, c’est un palmarès aussi long que large, donc on a forcément envie d’apprendre de lui. J’en rigole, mais on me dit parfois : « on dirait que tu fais du Thibaut ». Je réponds que c’est normal, que j’ai été à l’école Thibaut Pinot (rires).
« La vérité du mois de juin n’est pas celle du mois de juillet »
Malgré les péripéties récentes, l’objectif du Tour demeure inchangé ?
Oui, il reste inchangé. Je reprends l’exemple de l’an passé où j’étais loin de mes espérances sur le Dauphiné et où je vais chercher une quatrième place sur le Tour. Physiquement, je m’accroche aussi au fait que j’ai su être à un excellent niveau sur Paris-Nice et que j’ai aussi réussi à aller chercher un top-5 sur le Tour du Pays Basque malgré des sensations mitigées. Et puis, je n’ai vraiment que le Tour en tête. Ça fait deux mois que je n’ai que ça à l’esprit. Je n’ai qu’une envie : qu’il démarre, d’y aller, et d’être déjà dans la dernière bosse de la première étape pour voir où est mon niveau. Je pense que la vérité du mois de juin n’est pas celle du mois de juillet. On est des compétiteurs, on veut toujours progresser donc on ira sur le Tour de France pour jouer le podium. C’est l’objectif que je me fixe, et je suis prêt à ne rien lâcher pour l’atteindre. L’équipe continue à me faire confiance, Marc m’a toujours soutenu, et si je n’y crois pas, les coureurs qui rouleront pour moi tous les jours ne vont pas y croire non plus.
Le groupe s’inscrit dans la continuité de l’an passé. Ça apaise ou ça ajoute de la pression ?
Endosser le rôle de leader sur le Tour de France, ce sont forcément d’énormes responsabilités, mais on a aussi la chance d’avoir Thibaut pour son dernier Tour. Il sort d’un grand Giro et sera libéré. Il a tout connu sur le Tour et c’est un allié de choix. De manière générale, c’est un groupe qui a du vécu. On a passé des journées difficiles sur le Tour l’an passé, on a continué à travailler cette année, et on a aussi je pense pris de l’expérience. C’est un groupe qui a envie de travailler ensemble. On a hâte d’avancer ensemble et de faire de belles choses ensemble. J’ai confiance dans chacun de mes équipiers et je suis prêt à donner tout ce que j’ai dans les tripes pour réussir le plus beau Tour possible.
4 commentaires
NICOLAS Rémy
Le 3 juillet 2023 à 19:14
Quel gros cœur , si beau ! ému et déçu par les méchancetés imbéciles de certains , j’affirme : j’admire David Gaudu , le breton . Nous persévérons tous à te suivre , bretons et toutes et tous ceux qui ont pour image la sincérité , le courage, la volonté de faire mieux , d’ être soi , de grimper vers le bonheur, de descendre dans la sérénité . Oui ! allez y , vas y , ce sera toujours magnifique !!!
Grosjean
Le 28 juin 2023 à 18:32
Bravo David pour ce que tu fais . Merci pour tes éclaircissements sur ta préparation et tes sentiments vis-à-vis de Thibault . Personnellement je n’ai jamais douté je suis un grand supporter de Thibault est toujours très déçu qu’il n’est jamais pu gagner un tour qui le méritait j’y crois encore mais il y a 3 ans à peu près que je te suis et je sais que ton tour viendra c’est peut-être même cette année tu as tapé Pogacar chez les amateurs je ne vois pas pourquoi tu ne le ferais pas chez les professionnels et puis peut-être que la patrouille anti dopage passera par là attention les bruits commencent à courir sur son compte .
Surtout ne vous laissez pas marcher sur les pieds .
Groupama vous êtes une super équipe et garder confiance en vous jusqu’au bout.
Allez David et prends soin de toi
Le vacon Alain
Le 28 juin 2023 à 16:53
Aller roule et gagne ce tour
Chaudet
Le 28 juin 2023 à 13:35
Magnifique ! Bon tour à toi David et à l’ensemble du staff et de l’équipe.
Vous avez tous pour faire un bon tour et jouer un top 5 voir mieux.
A bonjour de la Mayenne 🙂