Au gré d’une restructuration de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ cet hiver, le pôle performance a disparu en tant que tel. Pour autant, désormais directeur de la performance et de l’innovation, Fred Grappe assure que la vision et la philosophie demeurent au sein de la structure, et prennent même plus de place encore. Entretien.
Fred, l’équipe s’est restructurée cet hiver, notamment du point de vue de la performance. Peux-tu nous dire comment ?
J’avais depuis plusieurs mois évoqué le fait de « dissoudre » le pôle performance, ce qui allait dans le sens de la restructuration de l’équipe. Je ne voyais plus l’intérêt d’enfermer la performance dans un pôle. Ça s’est très bien passé pendant plusieurs années, mais je me suis rendu compte que ça n’était plus très logique, car la performance est globalisée sur l’équipe tout entière. Le pôle performance n’existe plus, mais je reste responsable de la performance, auquel on a ajouté l’innovation. Surtout, je prends plus de hauteur. J’ai aussi souhaité qu’il y ait un responsable des entraîneurs, Julien [Pinot], et je pourrai m’appuyer sur lui. Je m’appuierai aussi sur le responsable du sport, Philippe [Mauduit], sur Jacky [Maillot] concernant la santé, sur la recherche et le développement, sur le data scientist, sur la communication, etc. Je suis beaucoup plus libre désormais, car je ne suis plus responsable des entraîneurs, et ça me laisse plus de marge, plus d’ouverture.
« Je suis relié à tout le monde, en fonction des projets »
Qu’est-ce qui va changer dans le processus de travail ?
On a tout ouvert ! En tant que directeur de la performance et de l’innovation, je peux travailler directement avec les responsables de chaque département, et même avec les coureurs sur certains projets. Je suis relié à tout le monde, en fonction des projets. Le but est de mener à bien des projets de développement et de performance qui touchent l’ensemble de l’équipe, du matériel aux hommes. Je vais consacrer beaucoup plus de temps et serai beaucoup plus efficace pour gérer des missions de performance au sein de l’équipe, sachant que j’ai les mains relativement libres. Mon rôle sera de présenter des projets à mes collègues, de les construire, de les discuter, de les valider, puis de les mettre en place. Car tout seul, je ne sais rien faire. Je ne suis efficace sur un projet que si j’ai de la ressource, que je vais trouver auprès de mes collègues, et ça peut toucher beaucoup de monde. L’autre point très important, c’est l’extérieur. Je passe beaucoup de temps à étudier ce qui se passe en dehors de l’équipe. Si tu passes ton temps le nez dans le moteur, tu ne peux pas faire la performance. C’est fondamental. Je le faisais déjà, mais je le ferai encore plus. Cela passe par associer des experts extérieurs et observer ce qu’il se passe dans les autres équipes, et surtout dans les autres sports. C’est comme ça que je perçois la performance. Chez les entraîneurs, rien ne change, si ce n’est que Julien, qui sera responsable du groupe d’entraîneurs, aura plus de temps que je n’en avais jusque-là. La mission est plus resserrée et ce sera plus efficace.
Quelles seront tes missions principales dorénavant ?
J’ai déjà lancé des programmes. On est dedans, on est en train de les monter et de les produire. L’un des gros axes de travail en 2024 touche beaucoup de monde : les coureurs en premier lieu, mais aussi les entraîneurs, les directeurs sportifs et le staff en général. Il s’agit d’un programme qui vise à tirer les coureurs vers le haut : si on veut les rendre meilleurs demain, il faut les challenger. Ils ont besoin de ça. Ça parait simple dit comme ça, mais on est en train de travailler là-dessus et quelque chose va se mettre en place. Un athlète de haut niveau a besoin d’être mis à l’épreuve. C’est déjà plus ou moins fait, mais pour les rendre encore meilleurs, on peut être encore plus efficace concernant les attentes qu’on a envers eux. Cela découle d’un travail entre entraîneurs et directeurs sportifs pour exploiter le maximum du potentiel physique de nos athlètes. L’autre programme est plutôt lié au Tour de France, qui est évidemment une course très importante pour nous. Nous allons lancer un programme assez novateur. À côté de cela, il demeure évidemment très important pour nous de continuer à travailler et développer le matériel.
« Toutes les expertises mises bout à bout font une grosse expertise »
L’évolution de ton poste accouche-t-elle d’une volonté d’accentuer encore davantage la R&D dans l’équipe ?
Cela veut surtout dire qu’on a compris, mais on le sait à vrai dire depuis un moment, qu’implémenter de la performance et de l’innovation sur l’ensemble de l’équipe est une dimension importante qui continuera de se développer sur les prochaines années. On aurait très bien pu prendre des chemins un peu différents lors de la restructuration, mais il est clair qu’il est aujourd’hui important d’avoir cette vision. De ce point de vue, on va encore davantage s’appuyer sur la R&D et le Data Scientist. Ce sont des secteurs aujourd’hui indispensables. Il faudra encore aller plus loin sur la data. On est un sport hyper connecté, on a beaucoup de données, et quand tu les fais parler, tu fais progresser ton modèle de performance. Je vais continuer de collaborer avec eux, sans doute plus, mais cela se fera aussi en fonction des projets. C’est la nature des projets et des missions qui déterminera les gens impliqués dans tel ou tel programme. De toute façon, tous les secteurs seront à un moment donné impliqués.
L’intelligence artificielle est-elle l’une des pistes de réflexion ?
On y rentre petit à petit, forcément. Ceci étant dit, on peut mettre beaucoup de choses dans l’IA. Il faut être très prudent. Produire des modèles d’IA, on peut le faire, mais aussi faut-il qu’il y ait du sens à cela. Depuis qu’Olivier Mazenot est arrivé, il fait parler la data, ce qui vient en aide aux entraîneurs, mais aussi aux directeurs sportifs. On inonde progressivement l’équipe avec la data pour mieux comprendre notre système de fonctionnement et l’évolution de notre sport. C’est la même chose pour l’ingénierie. On est peut-être l’une des premières équipes à avoir recruté un ingénieur Je pense qu’on peut en être fier. Aujourd’hui, Victor Simonin travaille en parfaite adéquation avec les mécaniciens, avec Jérémy Roy, qui est également ingénieur, avec les entraîneurs, avec le data scientist, ou le sport scientist Victor Scholler. Ce qui est beau dans cette équipe, c’est qu’on arrive à relier les gens entre eux pour accumuler les savoirs. Toutes ces expertises mises bout à bout font une grosse expertise, et c’est ça la richesse de notre groupe.
« Il y a encore beaucoup de belles choses à faire »
Vois-tu encore de nombreux défis concernant la performance ?
Ma première vision est une vision à long terme. Si tu veux faire de la performance, elle est nécessaire. C’est aussi elle qui va te permettre de savoir ce que tu vas mettre en place à moyen et court termes. On fait forcément de la performance à court terme, car cela s’inscrit dans le suivi quotidien de l’équipe, mais elle est souvent issue d’une stratégie de plus longue haleine. Et puis, plus tu grattes, plus tu vois qu’il y a des choses à faire, et c’est ce qui est passionnant. Plus tu t’avances dans ces axes de performance, plus tu te sens petit, plus tu as l’impression de ne rien savoir. Il y a tellement de choses à faire que la difficulté est plutôt d’identifier quels sont les bons leviers, de les activer, et de les faire comprendre aux collègues. L’innovation et la recherche c’est bien, mais il ne faut pas faire n’importe quoi. Mon rôle est d’être le plus juste possible, de ne pas trop me tromper, en sachant que rien n’est jamais exact. Mais oui, il y a encore beaucoup de belles choses à faire.
La page de l’entraînement se tourne-t-elle pour toi ?
Absolument pas ! Je suis autant aiguisé qu’avant. Même si je n’entraîne plus, je m’intéresse toujours autant à l’entraînement. Tout simplement car c’est la base de tout. Si je ne m’intéresse pas à l’athlète et à ses réponses, comment puis-je faire de la performance ? Je reste un passionné de l’entraînement, j’ai toujours le nez dedans, je lis beaucoup, j’observe beaucoup, je m’intéresse également aux neurosciences, à la physiologie, à la bio-mécanique…. Ce n’est pas une page qui se tourne, c’est une évolution. Si j’étais encore entraîneur aujourd’hui, je n’apporterais rien à l’équipe, honnêtement. J’ai toujours voulu évoluer et faire évoluer l’équipe en fonction de mes capacités de travail et de mes connaissances. Marc [Madiot], David [Le Bourdiec], et mes collègues m’ont toujours poussé dans ce sens. Ce qui est frustrant, c’est de ne plus entraîner les athlètes, car cela comporte un aspect grisant. C’est certainement ma plus grosse frustration, mais j’ai appris à la dépasser. Ça me stimule aussi d’observer tout le travail des autres, des entraîneurs, les discussions, les réponses des coureurs en compétition. Tout cela constitue la base de mon travail pour pouvoir ensuite y ajouter de la performance. Si j’étais détaché de tout ça, je serais à l’ouest.
« Je sais que Julien va dynamiser le groupe des entraîneurs »
Comment vois-tu le pôle entraîneurs évoluer désormais ?
Je suis très à l’aise à ce sujet. On a eu des discussions avec Julien et c’est moi qui lui ai présenté le projet. Tout ça s’est fait de manière naturelle. Julien a été le deuxième entraîneur à intégrer l’équipe. Je le connais depuis très longtemps car je l’ai eu comme étudiant. Je connais ses compétences, je sais que c’est quelqu’un qui va dynamiser le groupe. En plus, il a des collègues que je connais très bien aussi, et que je sais être de très bons entraîneurs. Il n’y a pas de raisons que ça ne se passe pas bien. Je suis très confiant par rapport à ça. Je vais aussi pouvoir m’appuyer sur lui. Normalement, il y aura encore plus d’efficacité. Une fois que les systèmes ont vécu, il faut les faire évoluer. J’ai souhaité mettre en place ce modèle-là, qui allait très bien avec celui de l’évolution de l’équipe. C’est une suite logique dans toute société, surtout quand on fait de la performance. Il faut accepter que les lignes bougent et on est tous remplaçables. J’ai une grande fierté : celle de me dire que tous les gens que j’ai recrutés ont leur place dans l’équipe et que ça se passe très bien. Je pense qu’on est une équipe, en termes de structuration et de qualité d’expertise, dans le haut du panier au niveau international.
En 2021, tu disais que ton rôle était que le pôle performance « ne se sclérose pas ». Aujourd’hui, dirais-tu que ton rôle est que la performance ne se sclérose pas au sein de l’équipe au global ?
Complètement. Quand j’ai monté ce projet de pôle performance, il y a 7-8 ans, ça n’existait pas. On était bien obligé de partir sur un modèle de base, il était plutôt bon, ça s’est plutôt bien passé, et on a fait monter la performance en pression dans l’équipe sur plusieurs années. Mais encore une fois le sport évolue, cette équipe évolue. Il ne fallait pas que tout ça se cristallise, il fallait ouvrir. On passe sur un modèle évolutif. La performance va encore monter d’un cran en inondant toute l’équipe.
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