« J’ai trouvé la course pour laquelle je pédale chaque jour ». Ce sont les premiers mots sortis de la bouche de Clément Davy, en octobre dernier, au moment d’achever son premier Paris-Roubaix, dans des conditions dantesques. Tombé amoureux de la « Reine des Classiques », le jeune homme de 23 ans sera de nouveau de la partie ce dimanche, avec plus d’enthousiasme et d’envie que jamais.
Clément, Paris-Roubaix, c’est demain ! Depuis quand l’as-tu en tête ?
Honnêtement, à chaque fois que je franchis la ligne à Roubaix, je pense déjà à l’édition suivante. Quand j’arrive sur le vélodrome, j’ai déjà hâte d’être à la prochaine. La course de dimanche, plus précisément, j’y pense vraiment depuis un bon mois avec l’idée d’avoir une bonne condition et d’être prêt à la bataille. Je pense à la course, aux petits détails qui peuvent faire la différence, au niveau de l’alimentation, du sommeil. La semaine dernière, j’ai dû faire une séance de home trainer car il ne faisait pas beau chez moi. Pour me réimprégner de cette course, je me suis remis l’édition passée pour savoir ce qu’il avait pu me manquer, ce qu’il se passait réellement et connaître un peu mieux les secteurs, car je ne connais pas encore ceux de l’édition professionnelle par cœur. J’espère faire Paris-Roubaix encore plusieurs fois, et personnellement, ce sera un objectif chaque saison si j’ai l’occasion d’y participer et que ça colle à mon programme. J’ai à cœur que ce soit un rendez-vous tous les ans pour moi.
« Une sélection à une telle course se mérite ! »
Étais-tu un peu plus assuré d’en être cette année, justement ?
Un peu, mais personnellement, tant que ce n’est pas confirmé, je veux tout mettre en œuvre pour être certain d’y être. On est quand même vingt-huit coureurs dans l’équipe, et si tous ne veulent pas faire Paris-Roubaix, une sélection à une telle course se mérite ! Si une méforme arrive, on peut très vite ne plus être dans le bon bateau. Je suis donc resté concentré. Ce n’est pas parce qu’on a une place légèrement plus garantie qu’il faut s’arrêter de travailler sérieusement.
As-tu beaucoup repensé à ta première participation, en octobre dernier ?
Dans la semaine qui suit Roubaix, c’est clair qu’on se refait le scénario plusieurs fois. J’ai surtout remarqué que tous ceux qui avaient inscrit leur nom dans le top-10 étaient dans les quinze premières positions à chaque entrée de secteur. Il faut vraiment être placé à ces moments-là, et c’est ce que j’aimerais réussir à faire cette année. C’est la principale chose que j’ai apprise. C’est toujours plus facile à dire qu’à faire, il faut en être physiquement capable, mais c’est quelque chose sur lequel je veux insister. Sur le moment, j’avais noté que je devais à chaque fois revenir sur la route. Quand j’ai tout revisionné à la télé, j’ai vu qu’il y avait à chaque fois des cassures sur les secteurs. C’était toujours les mêmes devant, alors que nous, on devait fournir un effort pour revenir.
Tu as en revanche eu la confirmation que c’était une course pour toi…
C’est effectivement une course qui peut complètement convenir car il faut avoir un bon rapport poids/puissance sur le plat. Je ne sais pas jusqu’où je pourrai aller en termes de résultats et de capacités. Je suis encore en pleine progression, mais j’y vais avec le couteau entre les dents. Avec l’envie de bien faire, mais surtout l’envie de faire toujours mieux. De nature, je veux toujours plus et je ne me contente pas de ce que j’ai déjà réalisé.
« Il faut aller à l’encontre de ce que le cerveau commande »
Quels sont les zones de progrès que tu as identifiées ?
L’année dernière, j’ai bien remarqué qu’avec une saison WorldTour dans les jambes, le cap des 200 kilomètres était acquis. En revanche, une fois passé les 200 kilomètres, ça pouvait commencer à coincer. Je crois que j’ai été distancé à environ quarante kilomètres de l’arrivée, et j’espère aller bien plus loin cette année. Le fait d’avoir engrangé des kilomètres dans le peloton WorldTour m’aidera forcément. J’espère mieux digérer la distance, mais le placement peut aussi m’aider à mieux m’en accommoder en fournissant moins d’efforts. Aussi, à un moment donné, ce ne sont même pas les jambes qui m’ont fait perdre le contact. C’est surtout que les pavés me faisaient vraiment mal aux bras, et mes bras ne supportaient plus la force que je devais leur imposer pour tenir mon guidon. J’ai dû relâcher mon effort pour cette raison. J’ai cherché une solution à cela, et je crois surtout que le corps doit s’imprégner de cette douleur pour tenir le choc. Il faut aller à l’encontre de ce que le cerveau commande. C’est difficile, mais il faut bien y arriver pour faire un résultat.
Saurais-tu pointer du doigt ce qui te fait tant aimer cette course ?
C’est difficile à dire. Dès que je suis passé dans la catégorie Espoirs, j’ai vraiment eu à cœur d’y participer. Je l’ai disputée pour la première fois en Espoirs 2, et dès que je suis arrivé sur les pavés du Nord, j’ai énormément apprécié cet effort sur ce rude chemin qui tabasse. Cet Enfer du Nord qui fait l’histoire du vélo, on le ressent vraiment quand on y est. Et puis, à chaque fois que je regardais Paris-Roubaix à la télé, c’était quelque chose qui me donnait envie ; voir les gars pleins de poussière, de boue, aller au combat. On sait qu’il y a des endroits dangereux et à ne pas manquer sur Paris-Roubaix, plus encore que sur toutes les autres Classiques. On voit d’ailleurs à chaque édition à quel point l’entrée dans la Trouée d’Arenberg est spectaculaire. On arrive à une vitesse folle, et on passe subitement du bitume à une route dégommée où on essaie de trouver l’endroit adéquat où mettre la roue. On n’est sûr de rien. À tout moment, tout peut basculer dans un sens ou dans un autre.
Quel objectif pourrais-tu te fixer cette année ?
Je ne sais pas trop. J’arrive dans un groupe « Classiques » qui marche très fort, et on veut surtout rester sur cette dynamique. Personnellement, je n’ai pas eu la préparation que j’aurais souhaitée. Je suis tombé malade la semaine dernière et j’ai dû digérer ce petit virus. Avec l’équipe, on a pris la bonne décision de ne pas prendre le départ du Circuit de la Sarthe, au risque d’empirer l’état de mes bronches. Grâce au repos, j’ai vite pu me remettre en selle. Avant cela, la condition montait vraiment en pression, je me sentais bien, de course en course. Il y a juste eu ce petit hic la semaine dernière, mais ça peut aussi être un mal pour un bien. Peut-être que le corps avait besoin de récupérer, et je sens que Paris-Camembert m’a malgré tout fait du bien. Je suis dans le timing pour dimanche. J’attends les reconnaissances pour évaluer mes sensations sur le pavé. Collectivement, on a en tous les cas de très belles cartes, que ce soit avec Stefan ou Valentin. On verra ce qui se dit au briefing, mais on sait aussi que sur Paris-Roubaix, quel que soit le briefing, jamais rien ne se passe exactement comme prévu. J’ai en tous les cas à cœur de faire une belle course. Si je suis là pour servir le collectif avant tout, je sais aussi que Paris-Roubaix n’est pas terminé en soi. Il faut aller jusqu’au vélodrome, et ce que j’ai aussi appris l’an passé, c’est que tout peut se passer tant qu’on n’a pas franchi la ligne.
« Ce serait stupide de ne pas croire à un très gros résultat »
Quel regard portes-tu sur la campagne de tes coéquipiers ?
C’était beau ! Je faisais en sorte d’être à chaque fois devant mon écran. On sentait que le groupe était vraiment homogène et allait dans la même direction. Ça a clairement payé. Il n’y a certes pas la victoire mais ce sont de très très bons résultats sur des Classiques de haut-niveau et ça tire forcément tout le groupe vers le haut. Ça nous fait du bien en ce moment. J’ai forcément envie de contribuer à cette dynamique dimanche. Eux ont fait toutes les Classiques ensemble et vont tout de suite retrouver leurs repères. Avec Bram, on se joint à eux, et c’est sûr que ça ne peut que nous tirer vers le haut d’arriver dans une telle ambiance.
Comment expliques-tu la dynamique actuelle ?
Pour moi, c’est forcément un tout. Les leaders, comme les équipiers, tout le monde a progressé. C’est aussi le cas de l’équipe en interne. Que ce soit au niveau du matériel et de la nutrition, on est toujours en recherche d’innovations. Il est évident que la réunion de tous ces facteurs nous mène là où on se trouve aujourd’hui. Je ne pense pas qu’on soit réellement plus ambitieux que les années passées. On a juste plus d’opportunités au vu du niveau qui est le nôtre cette année. Même si je n’ai qu’une très courte expérience sur les Classiques, j’ai la sensation que l’ambition est la même que ce qu’elle était l’an passé, par exemple. L’approche hivernale a aussi été un peu modifiée. Certains sont partis en stage en altitude et cela a visiblement été payant.
Quel est donc l’objectif dimanche ?
On verra ce que nous dira le directeur sportif, mais au vu de ce qu’on a pu produire sur les Classiques Flandriennes, on est en droit d’espérer de très belles choses. Je pense que ce serait stupide de ne pas penser et croire à un très gros résultat. J’ai presque envie de dire que le top-10 est le minimum. Honnêtement, je ne pense pas que ce soit prétentieux de penser cela au vu de notre collectif. L’équipe progresse énormément d’année en année, sur beaucoup de plans. On ne s’arrête jamais à ce qui est déjà acquis. C’est la force de notre équipe et c’est aussi grâce à ça qu’on en est là.
« Je suis monté d’un grade dans la profession »
Toi-même, as-tu l’impression d’avoir beaucoup grandi depuis ton passage dans la WorldTeam l’an passé ?
Énormément. Ne serait-ce que par le fait de reprendre le départ de courses professionnelles que j’ai eu la chance de faire l’an dernier. En faisant Nokere, Denain, Paris-Roubaix, on retrouve parfois les mêmes hôtels. Je n’ai plus cette découverte, et c’est aussi dans ces moments que je me dis que l’expérience est vraiment en train de s’installer. Je suis aussi en mesure de mieux comprendre la tactique, et physiquement, engranger des kilomètres en WorldTour fait forcément prendre de la force. Je le remarque. J’ai hâte de continuer dans cette direction et d’accumuler d’autres kilomètres dans les jambes pour continuer de progresser. On sent que les années sont importantes quand on arrive chez les pros. On peut vraiment noter la différence entre un coureur qui a déjà fait un Grand Tour, un autre qui a trois années chez les pros et un autre qui n’en a qu’une. Sur Milan-Sanremo, par exemple, je n’étais pas dans l’inconnu comme l’an passé. C’est un vrai avantage. Je savais exactement à quel endroit il ne fallait pas se faire piéger, où ne pas faire d’efforts inutiles, et où placer l’équipe. Les briefings des directeurs sportifs ont beau être très précis, avec des photos, rien ne vaut une reconnaissance ou une première participation. Le fait de revenir plusieurs fois conduit à connaitre la course par cœur. Quand on arrive la première année, c’est quand même un petit désavantage à ne pas négliger.
Depuis quand te sens-tu réellement professionnel ?
En tant que Français, on a un peu le « cul entre deux chaises ». Dès lors qu’on passe en continentale, on est considéré comme professionnel car salarié. Cependant, d’autres Continentales étrangères ne sont pas dans ce cas. Ayant le statut professionnel, j’étais de fait coureur professionnel au sein de la « Conti », mais on va dire que je suis monté d’un grade dans la profession. Quand je regarde le calendrier qu’on me propose désormais en début de saison, j’ai le choix entre toutes les courses du plus haut niveau du cyclisme mondial. Je me considérais déjà comme coureur cycliste, mais quand on dit aux gens qu’on est dans la réserve de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ et que l’équipe ne dispute pas le Tour, ils ne comprennent pas nécessairement. On est bien obligé de reconnaître cette vraie différence. Je me sentais déjà professionnel dans ma démarche auparavant, mais disons que je suis 100% professionnel depuis mon entrée dans la WorldTour.
Quel regard portes-tu sur l’évolution de la « Conti », justement ?
Comme nous coureurs, il est sûr et certain que l’équipe a passé un cap. Elle a été créée sur des bases extrêmement solides en étant la réserve d’une telle organisation, mais elle a énormément progressé au fil des années. On peut parfois se dire qu’on aurait aimé être à leur place (sourires), car ils enchaînent les victoires, mais le cyclisme a aussi énormément changé. Les jeunes sont performants de plus en plus tôt. Personnellement, je suis passé dans la WorldTeam à 22 ans, ce qui peut sembler tard même si ça reste jeune. Tout le monde n’a pas le même parcours, mais j’aurais personnellement été incapable de faire ce qu’ils font à leur âge. C’est assez bluffant.
As-tu encore des liens avec la « Conti » ?
Grâce au nouveau règlement des montées-descentes, on croise souvent les coureurs de la Conti et j’en connais donc certains. On les voit évoluer, arriver, et ça contribue à tirer tout le monde vers le haut. Ils marchent tous très fort, on veut nous garder notre place après avoir bataillé pour l’obtenir, et ça pousse tout le monde à donner le meilleur. Je garde naturellement un œil sur eux pour les épauler. Quand ils sont performants, il n’y a pas de problème. En revanche, si quelque chose ne va pas, je suis aussi là pour leur dire qu’il ne faut pas s’inquiéter, que ce n’est pas grave, et que la marche est forcément haute. Ce n’est pas parce qu’il n’ont pas le niveau un jour qu’ils ne l’auront pas le lendemain. C’est aussi mon rôle de les aider à relativiser quand ça ne marche pas.
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