La saison 2023 a officiellement pris fin pour l’Équipe cycliste Groupama-FDJ il y a près de deux semaines. Avec un peu de recul, le directeur du pôle sport Yvon Madiot en tire le bilan complet, précis et lucide, tout en envisageant la suite avec sérénité.
Yvon, l’heure du bilan est venue. Comment évaluerais-tu la saison 2023 de l’équipe, sur 10 ?
(Hésite) Je pourrais donner 6,5 avec les encouragements du jury, mais allez, disons sept car on a gagné une Classique WorldTour. Nous sommes au-dessus de la moyenne car si on regarde les divers classements UCI, on est au-dessus de la moyenne. On est septième parmi les dix-huit équipes WorldTour, et on a même occupé un temps la cinquième place. On est également dans le top-10 au nombre de victoires. Ne serait-ce qu’à travers les chiffres, on est donc bien au-dessus de la moyenne. En revanche, on ne peut pas aller chercher une note plus élevée car il nous manque cette victoire sur une grande Classique du début de saison et une victoire d’étape sur un Grand Tour. Auquel cas on aurait pu aller chercher huit ou neuf.
« On fait désormais partie des très bonnes équipes sur les Classiques »
Qu’est-il ressorti des réunions post-saison ?
On s’est accordé pour dire que c’était une bonne saison, sans être exceptionnelle. On se rend compte en revanche qu’on est réguliers, qu’il n’y a plus de saison « cata ». Si on reste dans la thématique des notes, on a de bons élèves, qui sont jeunes, perfectibles et donc prometteurs. À côté de ça, on est aussi conscient du fait qu’on a face à nous trois/quatre équipes avec des moyens très très élevés, et qu’il est dur de lutter. Notre but est évidemment d’aller les battre. On n’est peut-être pas encore tout à fait prêts, mais ça va venir. On ne pourra sans doute pas gagner un Grand Tour l’an prochain, mais on a largement moyen de gagner cette fameuse étape sur les Grands Tours qui nous file entre les doigts depuis trop longtemps.
Quel est le principal motif de satisfaction ?
Notre régularité. On est présent tout le temps. Sur les Classiques, il ne manque pas grand-chose à Stefan et Valentin pour en décrocher une belle. La concurrence est rude, mais ils ne sont pas loin du graal. Concernant les Grands Tours, Thibaut a répondu plus que présent sur le Giro (5e), on a porté le maillot de leader avec Bruno et remporté un maillot distinctif. C’est différent pour la Vuelta, qui est plutôt un Grand Tour plein de promesses. On a eu le maillot rouge avec Lenny et on a été dans le jeu pendant dix jours. Quant au Tour de France, on n’a certes pas atteint l’objectif fixé, mais ce n’est pas un Tour catastrophique. Beaucoup d’équipes se seraient satisfaites d’une neuvième place finale. D’ailleurs, quelques équipes sont contentes de faire dixième ou douzième… Faire un top-10 d’un Grand Tour n’est pas donné à tout le monde, qui plus est sur le Tour.
« Il ne manque pas grand-chose à Stefan et Valentin » sur les Classiques. C’est-à-dire ?
Il nous manque un petit peu d’expérience au niveau collectif, au niveau des équipiers. On a lancé quelques jeunes, or ce sont des courses rudes où il faut avoir une grosse connaissance du terrain, et c’est aussi dans cette perspective qu’on a imaginé notre recrutement. L’idée est que nos leaders soient plus frais, mais aussi d’avoir des équipiers présents plus longtemps. Maintenant qu’on a dit ça, le bilan sur les Classiques est vraiment satisfaisant. J’estime qu’on est troisième ou quatrième équipe mondiale dans ce domaine. On fait désormais partie des très bonnes équipes sur ce terrain. Il faut maintenant réussir à s’imposer sur l’une d’entre elles. Sur les Ardennaises, ça a parfois été plus compliqué. On attend notamment les progrès de Romain (forfait cette année, ndlr) pour avoir plus de cartes dans le final. Avec un seul coureur, c’est parfois plus difficile de tirer son épingle du jeu, d’autant que David n’était pas au mieux cette année. Il faut qu’on arrive à transposer ce qu’on est en train de mettre en place sur les Flandriennes, mais cela se fait étape par étape.
« Il faut qu’on progresse encore, plutôt que d’attendre que la roue tourne »
Être présents tout le temps, c’est aussi l’être sur des courses moins huppées.
Justement, on l’était très peu les années passées sur les courses type Coupe de France. Cette année, on en avait fait un objectif, et on l’a gagnée avec Paul Penhoët. On avait identifié ce manque en fin de saison dernière, et on a travaillé dessus avec les coureurs et le staff l’hiver passé. On avait une stratégie détaillée et pouvoir la concrétiser est révélateur de notre capacité à remplir des objectifs. La nouvelle génération a beaucoup œuvré pour cela, mais je crois aussi qu’on les a mis dans un climat de confiance. Je salue évidemment la réussite de Paul, mais aussi le travail mis en place et réalisé par le staff pour remplir cet objectif. C’est aussi l’occasion de souligner le travail de la Conti. Il s’agit certes d’une belle génération, mais c’était pour nous du clé en main, avec des coureurs déjà prêts et sachant gagner. Ça a été bien préparé en amont, et ça nous aide énormément.
Se placer dans le top-10 mondial par équipes pour la quatrième saison consécutive, est-ce quelque chose à laquelle vous apportez de la valeur ?
Ah oui, quand même ! C’est le reflet de la saison. On n’a certes pas gagné cette étape sur un Grand Tour qui donne la sensation du travail bien fait pour le grand public, mais notre classement démontre notre régularité. Pour être septième, il faut être là tout le temps, sur tous les parcours, sur tous les terrains, et de janvier à octobre. C’est un beau marqueur de notre potentiel. En revanche, au quotidien, on ne s’occupe pas des points sur les courses. Avant tout, on cherche à gagner.
Le total de dix-neuf victoires est-il satisfaisant ?
C’est en-deçà de ce qu’on espère, on voudrait toujours plus, mais on s’aperçoit aussi que trois/quatre équipes gagnent presque la moitié des courses…
Et l’équipe totalise aussi près d’une trentaine de deuxièmes places en 2023. Comment l’interprètes-tu ?
On est parfois tombés sur plus forts, mais je pense aussi qu’on n’était pas tout à fait prêts par moments. Il va falloir qu’on convertisse ces deuxièmes places en premières, du moins certaines. Car il faut bien un deuxième, et pourquoi ce ne serait pas nous de temps à autre ? On n’a pas Pogacar ou Evenepoel, mais on travaille beaucoup et je pense honnêtement qu’on transformera une poignée de deuxièmes places en victoire l’an prochain. Le bilan de la saison n’est pour autant pas lié au nombre de victoires en tant que tel. Je pense qu’il faut surtout quelques grandes victoires marquantes. Pour convertir, je pense qu’il faut être un tout petit peu plus fort. Il faut qu’on progresse encore, plutôt que d’attendre que la roue tourne. Je ne m’attends pas à ce que la deuxième place se transforme en première juste parce qu’on a un peu plus de chance. Il faut qu’on cherche à s’améliorer, à tous les étages. Si tout est réuni, la chance aura moins d’incidence sur le résultat. On a des jeunes qui sont vraiment des gagneurs. Ils n’ont pas besoin de trente-six occasions pour gagner. Je pense qu’on va le constater ces prochaines années.
« Je ne changerais pas de cap pour plus de victoires »
A-t-il été question de viser un peu moins haut pour gagner davantage ?
Non, en aucun cas. On a vraiment envie de gagner des courses, c’est vrai, mais on a aussi très envie de performer dans les grandes épreuves. Surtout, on a envie de les gagner, car pour Stefan, David, Valentin, les victoires ne sont pas si loin que ça… Je ne changerais pas de cap pour plus de victoires. Ce serait à mon avis une énorme erreur. Si on procède ainsi, on aurait plus tendance à tirer notre niveau vers le bas car on irait forcément chercher des courses moins huppées pour « assurer » quelques victoires supplémentaires. Ce ne serait vraiment pas la bonne politique ou la bonne stratégie.
Nous approchons de la fin de l’entretien sans avoir évoqué le maillot bleu-blanc-rouge…
C’est vrai (sourires). Mais d’une certaine manière, si on n’est pas là à fanfaronner, c’est aussi car on est la meilleure équipe française dans tous les classements, et je pense de manière générale. Donc, on se dit que c’est presque logique d’avoir souvent le maillot de champion de France chez nous. Ça reflète notre rang au niveau national.
Qu’est-ce qui ne t’a pas plu cette saison ?
Il n’y a plus de gros trous d’air, donc c’est désormais plus une affaire de détails. En revanche, ce que je n’ai pas aimé, c’est qu’un coureur comme Stefan ne soit pas plus récompensé dans tout ce qu’il entreprend. Je pense sincèrement que c’est un coureur qui aime cette équipe et qui veut lui apporter quelque chose. Je n’aime pas quand il ne gagne pas de grandes courses, car il mérite bien plus de résultats de par son sérieux et son envie. Je n’aime pas quand David Gaudu ne peut pas aller au bout de ses attentes. En somme, je n’aime pas quand on ne gagne pas (sourires).
« On est sur une pente ascendante et régulière »
Peux-tu nous dire quelques mots sur le recrutement ?
Marc a bien expliqué la démarche. On est certains d’avoir nos leaders, mais ce qui nous manquait, c’est la densité dans le final des courses, et des coureurs suffisamment forts pour aider nos leaders dans le money time. Je pense qu’on a fait un bon recrutement de ce point de vue, même si ce n’est peut-être pas clinquant pour certains. On peut toujours trouver des équipiers pour travailler en début de course, mais c’est moins évident d’en trouver qui soient capables d’être là quand ça se durcit. Le profil et la personnalité du coureur sont aussi très, très importants. Toutes les personnes qui ont été recrutées étaient humainement en phase avec l’équipe et ce qu’on voulait faire. C’est un des points les plus essentiels. Le meilleur exemple, c’est Marc Sarreau. Il vient pour un projet précis, celui d’épauler Paul. Il ne vient pas pour gagner un sprint, et il le sait. C’est aussi quelqu’un qu’on connait humainement et avec qui on sait qu’il n’y aura pas de problème.
Avec le départ de plusieurs cadres, un cycle se referme pour l’équipe. Êtes-vous prêts pour la suite ?
La transition est déjà faite. Je veux aussi retenir les mots de Thibaut, qui s’en va après avoir porté l’équipe très haut pendant toutes ces années. Après son dernier dossard, il a eu des mots révélateurs aux coureurs présents, dont plusieurs jeunes. Il a dit « prenez soin de cette équipe ». C’est le plus beau passage de témoin verbal qu’on pouvait espérer. Personnellement, je crois fermement que ses successeurs sont en mesure de prendre le relais. David a eu une saison un peu tronquée, mais il a une revanche à prendre. Stefan et Valentin sont nos valeurs sûres sur les courses d’un jour, puis nos jeunes ont de la place et le temps pour s’épanouir, et gagner. On a plein d’occasions de briller. Avec nos trois piliers, puis tous ces jeunes qui poussent. Il n’y aucune inquiétude. À l’exception de Michael Storer, Arnaud Démare et Jake Stewart, tous les gars qui ont gagné des courses seront encore là l’an prochain. Si on fait du B-A-BA, ça promet déjà une quinzaine de victoires. Les jeunes vont aussi passer un cap, à coup sûr. Lewis Askey est passé proche plusieurs fois, et je pense qu’il enchaînera quand il aura connu le déclic. Paul Penhoët ne fait pas de bruit mais a gagné deux fois et je suis convaincu qu’il sera l’un des grands sprinteurs des années futures. Sam Watson est encore un peu timide en course, mais il va aussi franchir un palier. Je ne veux pas être dans l’euphorie, mais je pense qu’on est sur une pente ascendante et régulière. Le pourcentage n’est peut-être pas très important mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne s’est pas trompés de parcours.
Quelle note espères-tu pour l’an prochain ?
J’aimerais que l’on dise huit, et sans réfléchir.
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