Dans un monde cycliste aux codes bien intégrés, la prolongation pour quatre ans de Rudy Molard au sein de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ en a sans doute étonné plus d’un. Le principal intéressé compris. Elle résulte pourtant d’une réflexion bien fondée et mûrie de chaque côté. Dans cet entretien en profondeur, Rudy revient sur la signature de ce bail longue durée, ce qu’elle signifie ainsi que sur son évolution et son rôle au sein de l’équipe.
Rudy, tu es désormais lié à l’équipe jusqu’en 2024. As-tu été surpris par la durée du contrat proposé ?
Oui, et pour être honnête, je n’ai jamais été intéressé plus que ça à l’idée de signer des contrats longue durée. Que je sois en fin de contrat ou pas, je fais mon métier de la même manière. Ce n’est pas quelque chose que j’envisageais au départ, mais on me l’a proposé et j’ai accepté parce que mon choix n’était pas forcément de partir. Alors je me suis dit, « Pourquoi pas quatre ans ? »
« Une marque de confiance de part et d’autre »
Comment as-tu accueilli cette offre ?
Ça m’a touché, forcément. Dans le vélo, les contrats de quatre ans sont rares voire inexistants. De cette façon, ils m’ont montré la confiance qu’ils portent en moi et en mon potentiel. Ça a aussi renforcé mon choix de rester dans l’équipe. Souvent, ceux qui signent de longs contrats font une ou deux années tranquille puis remettent en route la dernière année pour re-signer. En me proposant quatre ans, ils prennent donc un risque d’une certaine manière, mais ça montre surtout qu’ils ont appris à me connaître, qu’ils savent que je me donne à 100% peu importe ma situation contractuelle. Ils m’ont fait preuve d’une grosse marque de confiance.
Cela peut-il aussi être une récompense de ton sérieux et ton implication ?
Je ne sais pas. Peut-être, mais on est quand même dans le haut-niveau, et on ne paie pas une récompense, on paie l’avenir. Ils ont surtout vu que je progressais au fil des années. Chaque saison, je passe des paliers, je le constate et je pense qu’ils l’ont bien compris également. Si je continue de progresser, c’est aussi dans leur intérêt. Je le vois plutôt comme ça. Il est certain que de signer quatre ans est une chose très rare, surtout à mon âge (30 ans), mais je pense fermement que mes meilleures années sont devant moi.
Tu es d’ailleurs lié à l’équipe plus longtemps que les leaders eux-mêmes…
Je ne sais pas comment leurs négociations se sont passées, mais je me sens maintenant considéré comme une pièce maîtresse de l’équipe également, dans le sens où je négocie mon contrat en même temps que les leaders. C’est une grande reconnaissance et ça tend à prouver ce que j’apporte à l’équipe.
« J’adore mon rôle dans l’équipe »
Qu’on te juge assez fiable pour te prolonger quatre ans, c’est gratifiant ?
Complètement. Ça montre que l’équipe est consciente de mon potentiel et que je les satisfais à 100% dans le rôle que je remplis, à la fois en tant que coureur protégé et dans mon travail d’équipier. À moi désormais de les remercier, d’être à la hauteur de ce qu’ils m’ont proposé, même si ça n’a pas été un choix aussi facile à faire que ça. J’ai dû nourrir une réflexion. Je suis quelqu’un qui marche aux objectifs, il me faut ma dose d’adrénaline au quotidien. C’est ce qui, au début, me faisait un peu peur vis à vis des quatre ans. Maintenant qu’on a dit ça, je ressens tellement de sérénité dans l’équipe, je m’entends tellement bien avec tout le monde que mon choix était de rester. Et je pense qu’il aurait été le même dans deux ans. C’est pour ça que j’ai validé quatre ans, et puis c’est aussi en intégrant l’équipe que j’ai pu prendre conscience de tout mon potentiel et de mon niveau. Accepter leur offre de quatre ans, c’était aussi un moyen de les remercier d’avoir cru en moi.
Quelle est l’idée derrière ce contrat longue durée ? Décrocher de gros résultats, porter Thibaut le plus haut possible ?
Les deux ! J’adore mon rôle dans l’équipe et c’est aussi pour ça que je ne voulais pas partir. On me donne ma chance sur certaines courses en tant que leader, et le reste de l’année, je suis équipier de Thibaut pour aller chercher des victoires dans les plus grandes courses. Avoir la pression de faire un résultat mais aussi d’être à mon niveau quand je suis à côté de Thibaut, ça me fait énormément progresser. C’est un équilibre que je voulais conserver et c’est ce qu’on m’a proposé.
Tu ne te vois pas autrement que dans ce rôle hybride ?
C’est quelque chose auquel je tiens, absolument. Je ne veux pas rentrer dans un rôle d’équipier à temps plein. J’ai aussi envie d’avoir des objectifs personnels, qui me tirent vers le haut. J’y tiens vraiment car c’est ce qui me permet d’évoluer à 100% et d’aller chercher les petits détails qui me font progresser. Sur un contrat de quatre ans, cela a son importance, au-delà de l’accompagnement de Thibaut. La priorité de l’équipe est évidemment d’aller chercher un gros résultat sur un Grand Tour, mais il n’y a pas que ça dans ma saison. Et si je veux arriver à 100% sur les grands rendez-vous, j’ai aussi besoin en amont d’aller chercher un ou deux résultats personnels.
« Je ne voyais pas la suite de ma carrière sans Thibaut »
La question de chercher des responsabilités plus larges ailleurs s’est-elle posée ?
J’avais des opportunités ailleurs. On m’a proposé un rôle où j’aurais eu plus de responsabilités au cours de l’année, mais le challenge qu’on m’a proposé ici avec Thibaut a fait la différence. Je ne me voyais pas courir sans Thibaut, ou pour un autre leader, sur un Grand Tour. L’objectif d’aller chercher une victoire sur un Grand Tour, de réaliser quelque chose de grand, c’est ce qui me plaisait, et je ne me voyais pas le faire sans Thibaut. Je me sens assez proche de lui et je ne voyais pas la suite de ma carrière sans lui. On s’entend vraiment bien, je chéris mon rôle auprès de lui et je ne voulais pas le perdre.
Tu disais plus tôt que ton arrivée dans l’équipe avait marqué un tournant…
Complètement. Quand je suis arrivé ici, j’ai complètement ‘’switché’’ dans la tête. Je suis passé dans une démarche de performance. J’ai tout de suite compris que tout tournait autour du résultat. Le but, c’est d’aller gagner. Je n’avais pas cet esprit-là avant. Dans mon équipe précédente, on n’avait jamais vraiment mis en avant mon éventuel potentiel. Au niveau du management, on ne croyait pas vraiment en moi, mon profil intéressait bien moins. Quand je suis arrivé ici, le fait de retrouver Julien Pinot à l’entraînement et d’aborder les courses d’une autre manière, de travailler pour des leaders qui gagnaient, ça a vraiment tout changé : ma carrière et ma vision de mon métier. Tout est mis en place pour gagner des courses et j’aime cet esprit. Le niveau est aussi beaucoup plus élevé dans l’équipe, et quand je suis arrivé sur les premiers stages, il y avait un vrai palier à franchir. Quand on arrive dans les bosses avec Thibaut, ce n’est tout de suite plus la même chose. Tout ça m’a tiré vers le haut et m’a aussi poussé à chercher chaque détail pour élever mon niveau. Quand j’ai fait huitième de la Flèche Wallonne lors de ma première année, j’ai pris conscience de mon potentiel. Aller chercher des résultats personnels petit à petit m’a vraiment mis sur la bonne voie. Rejoindre l’équipe a été mon meilleur choix de carrière, c’est certain.
Reste-t-il une marge dans ta progression ?
Assurément. Je sens que je ne suis pas arrivé à ma limite. Je ne sais pas si c’est une chance ou pas, mais je n’avais jamais fait de vélo l’hiver chez les jeunes. Dans mes années Espoirs, je reprenais le vélo en mars. Je passais 4-5 mois sans y toucher. J’ai vraiment pris du retard à cette époque, je n’avais pas du tout la même approche du vélo, je ne connaissais pas ce « monde » où il fallait rouler l’hiver. Pour moi le vélo c’était l’été. J’ai effectué mon premier hiver sérieux lors de mon année néo-pro. Certes j’ai progressé moins vite, j’avais un retard à combler, j’avais des paliers à passer et je n’arrivais pas toujours à encaisser les charges de travail car je n’avais pas ce fond que tous les jeunes ont désormais en arrivant chez les pros. Mais au final, ce retard que j’ai accumulé chez les jeunes me sert maintenant car je me suis préservé et j’ai préservé ma santé. Cela me permet de progresser petit à petit sans brûler d’étapes, et à 30 ans, je sens que je ne suis pas encore à mon meilleur niveau. Tous les ans, je bats mes records de watts, que ce soit sur les valeurs courtes ou longues. C’est bon signe pour l’avenir. Ma carrière s’est dessinée ainsi et ça joue aujourd’hui en ma faveur.
« Je ne cherche pas à me prendre pour quelqu’un d’autre »
Si bien que malgré un statut d’équipier sur une partie de la saison, tu parviens à acquérir des résultats de ton propre fait.
Passer de l’un à l’autre, faire l’un et l’autre, me paraît tout naturel. Je suis passionné par mon métier, je suis là toute la saison, j’aime toutes les courses, et dès qu’on me laisse ma chance, je la saisis. Je suis aussi présent quelle que ce soit la météo, dans le froid de Paris-Nice ou sous les 40°C de la Vuelta. J’arrive à être fiable toute l’année et c’est aussi une qualité que l’équipe apprécie. Elle sait qu’elle peut compter sur moi n’importe quand. C’est une satisfaction de pouvoir apporter à Thibaut et de m’apporter à moi-même dans le même temps. C’est peut-être un peu égoïste de parfois jouer sa carte, mais en toute modestie, je suis content quand l’équipe me dit : « Il n’y a pas Thibaut au Tour de Lombardie, donc on compte sur toi et David ». Ça me stimule, et à l’entraînement je me dis qu’il faut en profiter, qu’on compte sur moi. C’est ce double rôle que je recherche dans le vélo, c’est ainsi que je m’épanouis vraiment. C’est gratifiant d’une part et ça me permet aussi de constater de mon vrai niveau à l’échelon mondial. Quand on est équipier et qu’on fait des efforts à des moments stratégiques, on ne sait finalement pas quelle aurait été notre place par rapport aux meilleurs. Ici j’ai l’opportunité de me confronter au gratin mondial de temps en temps et de me situer. C’est une chance que l’équipe me laisse et c’est aussi ce que j’adore.
Comment apprécies-tu chacun de tes rôles ?
Les deux m’apportent du plaisir, mais c’est complètement différent. L’émotion quand Thibaut gagne au Tourmalet, elle est immédiate, tu as les larmes aux yeux sur le vélo. C’est magique, ce sont des émotions immenses à vivre. Quand je fais dixième au Tour de Lombardie, c’est une satisfaction plus personnelle, une émotion après-coup. Ce n’est pas une victoire, mais un top 10 sur un Monument c’est pour moi très bien. Quand je suis équipier, il faut que je me surpasse car Thibaut est plus fort, et si je veux l’accompagner le plus longtemps possible, bien le placer à un moment crucial, il faut vraiment que j’aille au plus loin dans l’effort. Quand je suis leader, j’essaie davantage de me canaliser, car quand on joue un résultat, il faut courir vraiment juste, au millimètre. C’est une stratégie différente.
Est-ce aussi une qualité de savoir ne pas outrepasser ses fonctions ?
Quand il y a Thibaut au départ, je n’ai aucune pensée personnelle. Pour moi les choses sont claires. Il n’y a pas du tout d’ego, je ne suis absolument pas dans l’adversité avec Thibaut. Bien au contraire. Je suis là pour me sacrifier et pour l’aider, et il est tellement plus fort qu’il n’y a de toute façon pas d’ego à nourrir. Je reste moi-même, naturel, je ne cherche pas à me prendre pour quelqu’un d’autre. J’essaie de me donner à 100% et c’est aussi ce que l’équipe apprécie. Je ne suis pas le futur talent en gestation. Apporter mon maximum à Thibaut me suffit amplement. Ce que je vis en aidant Thibaut me comble et je ne cherche pas plus.
Tu auras 35 ans à la fin de ton contrat. Cela semble indiquer que tu es encore motivé à faire les efforts pendant un moment.
C’est certain, je n’ai pas de doute là-dessus. Le vélo c’est vraiment ma passion, j’adore mon métier, je regarde toutes les courses à la télé. Je suis conscient de la chance que j’ai d’être coureur pro, d’être arrivé à ce niveau-là, de me faire plaisir sur chaque course. Faire des sacrifices, ce n’est vraiment pas une contrainte. J’adore mon style de vie et ce que je fais actuellement. Le jour où je n’aurai plus cette passion, j’arrêterai le vélo, mais je ne l’envisage pas du tout pour l’instant. J’aime tellement ce que je fais, je suis tellement content et épanoui d’être où je suis en ce moment que ça n’est pas prêt de s’envoler.
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