Depuis le début de la trêve provoquée par la pandémie de coronavirus, parole a déjà été donnée aux pôles sport et performance de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ. Aujourd’hui, c’est au tour du pôle médical, par la voix de son directeur Jacky Maillot, de soulever les problématiques liées à la période actuelle, et notamment à l’entraînement sur home-trainer. L’occasion, aussi, d’en savoir davantage sur le fonctionnement du rouage sanitaire dans la mécanique de l’équipe.
Jacky, les coureurs ont repris le home trainer depuis une semaine. Y a-t-il des risques inhérents à cette activité ?
Le premier écueil peut être la déshydratation. Lorsque l’on fait du home trainer une à deux heures par jour, on sue beaucoup et on perd donc beaucoup de sels minéraux. Pour éviter cela, on a conçu une fiche avec les entraîneurs pour apporter des conseils d’hydratation aux coureurs, sur la prise de sels minéraux et d’électrolytes. La deuxième écueil lié au home trainer est de produire, notamment par l’intermédiaire des nouveaux logiciels, des efforts un peu inhabituels, intenses et prolongés du fait qu’on se prend au jeu de la course. On atteint des zones d’intensités assez importantes et le home trainer, contrairement à la route, ne permet pas de période de repos, de ‘’roue libre’’. Si ces efforts sont conjugués à une insuffisance d’apport en glucides, par exemple, on peut malmener son immunité. Ce qui est également le cas de la déshydratation. Or, pendant cette période d’épidémie virale, c’est vraiment l’écueil à éviter. On souhaite permettre à nos coureurs de garder ou reprendre une bonne condition physique mais sans mettre à mal leur système immunitaire, qui est quelque chose à prendre en compte de manière prioritaire actuellement.
« Le risque de surentraînement n’est pas majeur »
Quels sont les pièges à contourner ?
En plus de bien s’hydrater, il faut éviter de faire des efforts à jeun. Quand il n’y a pas d’apport de boissons glucidiques et de nutriments pour les muscles et l’intestin, cela malmène l’organisme et fait sécréter une hormone, le cortisol, qui est bien connue pour ses effets immunodépresseurs. Si on ne fait pas attention, et que l’on fait 1h-1h30 de home trainer à jeun le matin pour essayer de ne pas prendre de poids, qui est une autre problématique dans cette période de confinement, on risque d’affaiblir son immunité et donc d’être très vulnérable en cas de contact avec le virus.
Le risque de surentraînement existe-t-il sur home-trainer ?
Il n’est pas forcément question de surentraînement. En revanche, le coureur a ses habitudes de ravitaillement de d’hydratation sur la route. Or, sur le home trainer, parfois, il peut les oublier en se disant que ça ne va pas durer longtemps, qu’il n’y aura pas trop d’intensités. Puis il se prend au jeu… Et lorsqu’on fait des intensités sur des durées prolongées, c’est là qu’il faut être très vigilant sur ses apports en boissons glucidiques et en électrolytes. On sue beaucoup, on perd beaucoup de fer, de magnésium, de sodium, de potassium, et on peut vite déséquilibrer son homéostasie, c’est à dire ses équilibres métaboliques, et de fait entraîner des déficits immunitaires. Auquel cas, on devient très vulnérables aux microbes. Or, sn sait déjà qu’en temps ordinaire, les grosses charges d’entraînement du sportif affaiblissent le système immunitaire. Le risque de surentraînement n’est pas majeur avec un home trainer car le phénomène de saturation est assez précoce. En revanche, la répétition d’entraînements très intenses peut effectivement malmener l’immunité.
Quelles sont les conditions idéales pour la pratique du home trainer ?
Tout dépend du contexte dans lequel on veut le pratiquer. Lorsqu’on veut juste reprendre l’entraînement et faire des charges de travail, on n’est pas exigeant sur les conditions, il faut surtout que le coureur trouve un certain confort, que ce soit dehors ou dans son garage. Il n’empêche qu’il faut quand même ventiler un minimum si on est à l’intérieur, soit en se mettant à côté de la fenêtre soit en utilisant un ventilateur. Sinon, on respire un air confiné et cela génère des toxines plus rapidement. La température corporelle monte très vite. On sait qu’après 45 minutes, elle est déjà de 38,5-39° du fait de l’effort fourni. Sachant que ce type d’efforts est appelé à être répété, il ne faudrait pas créer des déséquilibres qui pourraient s’installer pendant plusieurs semaines et se payer plus tard. Pour le moment, c’est donc le confort qui prime, mais il est possible qu’on place le coureur dans des conditions légèrement plus extrêmes dans quelques semaines pour l’habituer à des efforts en conditions chaudes. Lorsqu’on reprendra les compétitions, on sera certainement en été, il faudra donc être acclimaté. Enfin, la luminosité n’est pas primordiale, mais il est certain qu’il est plus agréable et stimulant mentalement de faire du home trainer dehors quand il fait beau.
« Certaines pathologies peuvent survenir plus facilement »
Y a-t-il des risques spécifiques de blessures ?
On peut effectivement se mettre en risque de blessures, particulièrement de tendinopathie, de tendinites, lorsqu’on n’a pas une diététique adaptée. Il y a aussi un risque de lésions tendino-musculaires lorsqu’on ne s’hydrate pas assez. Il faut également être attentif sur tous les réglages du vélo, ce qui est aussi vrai en temps normal. Les coureurs donnent tellement de coups de pédale que le moindre réglage défectueux peut entraîner des pathologies, aussi bien des tendinopathies autour du genou que des lombalgies et des douleurs fessières. Ce sont là les risques habituels, mais ils sont encore accentués par le home trainer du fait qu’il y a beaucoup moins de changements de positions. Il est donc clair que les pathologies citées précédemment peuvent survenir plus facilement. La qualité de la selle est également très importante, notamment pour éviter toutes les lésions du périnée, mais aussi pour solliciter tous les muscles fessiers qui ne sont pas massés en ce moment. Nous avons d’ailleurs mis en place, avec nos kinés, des séances vidéo de gainage, de préparation physique générale mais aussi et surtout d’étirements. On leur rappelle donc les bons gestes pour s’étirer puisqu’ils ne peuvent pas bénéficier de massage de récupération à la maison en ce moment.
La PPG (Préparation Physique Générale) occupe donc une place importante durant cette période.
En effet, et à bien des égards. Il est nécessaire d’avoir un gainage suffisant au niveau abdominal, fessier et lombaire pour deux raisons. La première, c’est la prévention des blessures. Lorsqu’un coureur n’est pas suffisamment gainé, son bassin subit de multiples mouvements à chaque effort de pédalage qui peuvent être facteurs de douleurs, musculaires et ligamentaires, et deviennent très invalidantes lorsqu’il se retrouve en course. Un manque de PPG peut également entraîner des douleurs aux muscles fessiers mais aussi à des petits muscles qu’on appelle piriformes, qui peuvent potentiellement générer des sciatiques, ce qui en plus d’être invalidant est très compliqué à résoudre. L’intérêt de la PPG est double en ce moment car tous ces muscles (cuisses, mollets, fessiers) ne sont pas massés. Plus on sera gainé, moins on va solliciter ces muscles fessiers et moins on aura de pathologies de type sciatique ou douleurs fessières. Il est donc important de bien s’entretenir. On fait généralement des séances de PPG lors des stages en décembre et janvier. Les coureurs ont moins de temps par la suite, mais beaucoup en font tout de même en guise d’entretien. On a simplement saisi cette occasion pour faire un rappel sur le gainage et les étirements, qui en plus d’être utiles, occupent bien les coureurs. Cela permet aussi de créer une certaine dynamique entre tous et le service médical.
« L’équipe essaie, à tous niveaux, de mettre beaucoup de choses en place »
Dans la situation actuelle, votre accompagnement auprès des coureurs est-il encore plus poussé que d’habitude ?
On a mis plusieurs choses à la disposition des coureurs, comme des notices de PPG et d’étirements comme je viens de l’exposer. On reste évidemment à leur disposition pour toute question ou demande, et on leur propose aussi un accompagnement davantage psychologique. Dans cette période, certains coureurs peuvent se sentir un peu plus vulnérables, c’est pourquoi un psychothérapeute et un préparateur mental sont là pour les aider le cas échéant. On profite aussi de cette période pour mettre en place des accompagnements diététiques, à deux niveaux. Tant pour la Conti que pour la WorldTeam, on commence à effectuer des bilans nutritionnels pour corriger certaines choses si besoin. En parallèle, on leur donne des conseils pour leur éviter de prendre du poids, qui est aussi une problématique du fait qu’ils font moins d’exercice. Habituellement, ils peuvent faire jusqu’à six heures de sortie, la dépense énergétique est donc majeure. Sur home-trainer, elle est évidemment moindre. La diététique est importante pour, dans un premier temps, se maintenir en bonne santé avec un système immunitaire fort en période d’épidémie. La qualité nutritionnelle de ce que le coureur va ingurgiter pendant ou en dehors de l’effort va déterminer l’état et la compétitivité de son système immunitaire. C’est quelque chose de bien connu pour les plus expérimentés de l’équipe, à qui nous faisons simplement de petits rappels et suggérons la prise de compléments alimentaires. Pour les plus jeunes, qu’ils soient de la Conti ou de la WorldTeam, on insiste davantage sur les bonnes pratiques, l’accompagnement est plus poussé. Des mails leur ont été adressés pour leur rappeler l’importance des compléments alimentaires et de certains nutriments dans le façonnement d’un système immunitaire plus compétent. On a pu commencer à décortiquer leurs rations caloriques quotidiennes pour savoir si tout était bien équilibré au niveau quantitatif et qualitatif.
Y a-t-il des évolutions dans les relations entre le pôle médical et le reste de l’équipe eu égard à la période ?
Elles restent identiques à l’accoutumée, elles n’ont pas diminué. Au contraire, elle sont mêmes plus fréquentes. J’ai par exemple eu une réunion avec Fred Grappe (directeur de la performance) et un cuisinier dans le but d’apporter des conseils culinaires à nos jeunes de la Conti. Ils arrivent à 18-19 ans et ne savent pas forcément faire à manger. On veut aussi leur apporter ce genre de notions et c’est l’occasion de mettre tout ça en place. Dès qu’ils rentreront à Besançon, ils auront donc des cours pour apprendre à cuisiner les aliments et en connaître la qualité nutritionnelle. Nos liens avec tous les services, et notamment le pôle performance, demeurent très forts. On discute constamment. Par exemple, onze séances d’entraînement type ont été déterminées. À partir de là, on a établi des conseils nutritionnels en fonction de chaque séance. On essaie de mettre à profit tout ce temps pour faire des choses que l’on avait pas le temps de faire en temps normal, puisqu’en course, en déplacement ou en voyage. De manière générale, je pense que cette coupure sera bénéfique dans le sens où l’équipe essaie, à tous niveaux, de mettre beaucoup de choses en place. Cela peut aussi resserrer des liens et montrer aux coureurs qu’on ne les laisse pas tomber, que tout le monde se mobilise pour leur apporter le plus de choses possibles et le meilleur des conforts. C’est une période importante et je pense qu’on peut en ressortir avec un esprit de groupe et d’équipe encore plus soudé, si besoin en était.
« Anticiper l’impact des charges de travail sur la santé du coureur »
En temps « normal », quelle est la position du pôle médical au sein de l’équipe ?
Quand un coureur présente un problème de santé, charge à lui de me contacter. Il y a alors deux cas de figure. Soit je peux résoudre le problème et cela n’a pas de conséquence sur sa performance, soit le problème peut affecter sa participation à une course. Je préviens alors à la fois le pôle performance et la direction sportive que le coureur est indisponible pour une certaine durée. Il faut apporter l’information le plus rapidement possible. Ensuite, charge à moi de correspondre avec l’entraîneur et le directeur sportif concernés pour adapter, en fonction de la blessure ou de la maladie, la charge d’entraînement, qui peut être nulle ou progressive. On communique dans l’urgence quand il y a une compétition prévue et viennent ensuite des discussions et échanges très constructifs et très réguliers entre les trois pôles pour la reprise du coureur.
Comment jonglez-vous entre les paramètres de santé et de performance ?
Pour être performant il faut évidemment être en bonne santé, c’est la condition sine qua non. C’est donc à nous, au sein du pôle médical, de la vérifier auprès des coureurs, tout en faisant appel à des spécialistes. Mais on sait aussi que pour être performant, il faut accumuler des charges d’entraînement importantes, or elles peuvent à certains niveaux être nocives à la santé. Charge à nous d’étudier et surveiller tout cela, ce que l’on fait par l’intermédiaire de questionnaires, d’interrogatoires et de bilans biologiques assez poussés. On essaie d’étudier les marqueurs qui montrent que l’impact de la charge de travail est satisfaisant, ou alors trop important. Dans ce dernier cas, on contacte l’entraîneur et le directeur sportif pour signifier que tel coureur est dans une zone « jaune-orange », qu’il lui faut donc lever le pied, qu’il fasse l’impasse sur telle ou telle course de manière à ce qu’il se préserve et redevienne compétitif. Il faut mettre en place des témoins de manière à ne pas amener nos coureurs jusqu’au surentraînement. Car une fois cette zone est atteinte, c’est une catastrophe pour le coureur avec un arrêt de la compétition de trois à six mois. Au sein du pôle médical, nous devons anticiper l’impact des charges de travail sur la santé du coureur. Dès qu’il dépasse certaines zones, cela peut être source de blessures, de maladies infectieuses. J’ai beaucoup parlé de système immunitaire, mais c’est parce qu’il est pour nous très important. Un coureur qui attrape un virus x ou y n’est plus performant. Un virus tout à fait anodin pour monsieur tout le monde peut avoir pour conséquences, chez un sportif, plusieurs semaines d’arrêt. C’est donc à nous de le maintenir en bonne santé et, par le fait, performant.
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