Physiquement, je dois dire que j’arrive au bout de mon pic de forme. J’ai eu un début de saison très chargé dès l’Australie, et j’étais même parti en amont pour m’entraîner sous la chaleur. Je suis aussi tombé malade après Milan-San Remo, et ça m’a un peu coupé dans mon élan. J’ai enfin eu le nez bouché et une petite toux après le Tour de Flandres, mais je n’ai certainement pas perdu toute ma forme en une semaine ! Mentalement, je suis prêt à 100% car c’est pour moi la plus belle course de l’année. Toute ma famille est déjà sur place pour m’encourager, donc j’ai évidemment envie de bien faire. L’année dernière, je ne me sentais pas non plus super avant la course mais j’avais quand même été très utile pour l’équipe. C’est peut-être la course qui me correspond le mieux du calendrier avec le placement, la technique sur le pavé, les efforts courts, et le peu de dénivelé. J’ai hâte d’y être.

Bien sûr, mais ce n’est pas quelque chose qui me stresse toute la semaine, comme ça a pu être le cas lorsque j’étais plus jeune. Pour moi, c’est à partir du moment où on fait le briefing, le samedi soir ou le dimanche matin, que mon cœur s’emballe. C’est là que je ressens la différence par rapport aux autres courses. Dès qu’on parle de ce qu’on va faire, j’entre complètement dans la course, et l’excitation monte subitement. Le reste de la semaine, je suis plutôt relax. Je suis davantage focalisé sur ce que je dois faire à la maison, sur la récupération, l’entraînement, la nutrition…

Pas vraiment. En fait, tout dépend du rôle que tu as. Je sais que je serai en théorie le dernier équipier pour Stefan, donc je n’ai pas besoin de penser au final toute la semaine comme lui doit le faire. Si l’équipe m’avait dit que je jouais la gagne, j’aurais dû penser à ceci, à cela, au fait d’être placé à tel moment, à comment aborder les vingt derniers kilomètres… En l’occurrence, je sais exactement quel est mon rôle ce week-end, donc j’essaie de ne pas trop penser à la course, au risque d’arriver déjà cuit nerveusement au départ.

Pour deux raisons. La première, c’est le public. Avec le Tour des Flandres, ce sont les courses où il y a le plus de monde sur le bord des routes. Quand je vois toute cette foule, ça fait tout de suite grimper la motivation et l’excitation. La deuxième raison, c’est le fait qu’elle soit si affreuse. En réalité, c’est la raison pour laquelle on l’adore. C’est une course de guerriers. Tout le monde est content de la disputer, de la finir, car tout le monde sait que c’est quelque chose de fou. Et puis il y a toute l’histoire derrière. Cette course est un enfer, que les humains n’étaient pas censés faire, mais c’est précisément pour ça que tout le monde aime la courir une fois par an. Elle ne ressemble à aucune autre. Son unicité fait sa beauté. C’est horrible, c’est « la guerre », et c’est la raison pour laquelle c’est génial.

Je dirais que non. C’est la course qui me fait le plus rêver, mais les courses qui me font m’entraîner, ce sont plutôt celles que je visais en ce début d’année, où je savais que j’aurais ma chance. Paris-Roubaix me fait rêver, mais ça ne change pas ma manière de m’entraîner. C’est en pensant aux courses un peu moins huppées, où je peux viser un gros résultat, qu’il est plus facile d’aller plus loin à l’entraînement.

Il n’y a pas vraiment de secteurs que j’adore… Parmi les plus durs, je préfère le Carrefour de l’Arbre car il y a énormément de monde, et surtout car tu sais que c’est le dernier vraiment difficile. Tu sais que c’est bientôt fini, que la délivrance n’est pas loin, et il y a beaucoup d’ambiance. Je n’aime pas du tout celui où je suis tombé en 2022. Je sais le reconnaître quand j’y suis, mais je n’arrive pas à retenir les noms des secteurs de Paris-Roubaix (sourires). La Trouée d’Arenberg, c’est aussi quelque chose qui est au-dessus de tout le reste. Chaque année, tu te dis que c’est impossible que ça tape aussi fort et que ton vélo en ressorte en une pièce.

Si je suis honnête, c’est sans doute mieux pour moi s’il pleut, car je serais plus à l’aise que les autres. Mais ceci étant dit, ce n’est pas quelque chose que je souhaite. Si tu t’en sors sans chute, c’est génial sous la pluie, mais ça reste trop aléatoire. J’ai confiance en mes capacités, mais il faut aussi que les mecs autour de toi restent sur le vélo. Tu n’as pas ton propre sort entre tes mains, et je n’aime pas ça.

C’est toujours difficile à savoir car certaines années, ça roule super tôt pour faire exploser tout le monde, et d’autres années, ça se décante plus tard. S’il est possible que je n’aie pas à me sacrifier jusqu’à tard dans la course, ce serait l’idéal. Si on se retrouve dans un groupe de 15-20 avec Stefan, j’aimerais pouvoir être en mesure de le soulager afin qu’il ne fasse pas d’efforts avant les points-clés. Ce serait à moi de suivre les mouvements entre les secteurs pour qu’il reste un peu dans les roues. Stefan monte en puissance à chaque course, donc je pense que si on fait du bon travail pour lui, il a les capacités pour faire quelque chose de beau. On vise la gagne sur toutes les courses, mais je pense que si on réussit à accrocher le podium, ce serait un beau week-end pour tout le monde.  

Forcément. Si je ne devais gagner qu’une seule course, ce serait Paris-Roubaix. J’aimerais, à un moment de ma carrière, être leader et pouvoir jouer la gagne à quelques reprises sur cette course. Pour le moment, on a vraiment une bonne carte avec Stefan, et si je suis dans le final avec lui, c’est déjà super motivant pour moi. Maintenant, il faut aussi avoir le niveau pour aspirer à la victoire. Je vais de mieux en mieux chaque année, et j’espère aussi qu’à un moment donné, les meilleurs coureurs actuels n’auront plus le même niveau, ne serait-ce que pour quelques pourcentages. Si je continue à progresser, l’écart va forcément se réduire. Je ne sais pas si c’est faisable, mais je vais en tout cas continuer de travailler pour.

Je suis satisfait d’avoir toujours été là, d’avoir eu ma chance, mais je crois que je n’ai pas eu les résultats que mes jambes auraient pu me permettre d’avoir. Pour cette raison, je suis un peu déçu. Sur certaines courses, j’avais l’opportunité de faire de belles choses, mais les planètes n’étaient pas alignées. Je suis content de ma forme, de ce que j’ai réussi à faire, mais je crois qu’il y a encore une marge à exploiter et ça me motive aussi pour l’avenir.

Sur quelles courses nourris-tu des regrets ?

Sur l’Omloop Het Nieuwsblad, je sentais que j’avais un beau sprint dans les jambes, mais j’étais enfermé derrière trois coureurs. S’ils avaient décidé d’aller un peu plus à droite ou à gauche, et que la porte s’était ouverte, j’aurais vraiment sprinté pour la gagne. C’est la plus grosse déception de ma saison jusqu’à présent. Je suis déçu de ne pas avoir pu vraiment m’exprimer. C’était vraiment dommage. La deuxième opportunité manquée, c’est le Grand Prix de Denain. J’étais dans une bonne journée de nouveau, j’ai fait deuxième du sprint du deuxième groupe, mais on n’a pas fait notre meilleure course ce jour-là. J’ai fait quelques erreurs, j’ai eu un peu de malchance, et je n’étais pas dans le groupe pour la gagne.

De quoi es-tu le plus satisfait sur ce début de saison ?

Deux courses me reviennent à l’esprit. D’abord : la Cadel Evans Great Ocean Road Race. Il y avait quand même un bon niveau, c’était difficile, sous la chaleur, et j’ai passé le plus dur du parcours avec les meilleurs. Je me suis surpris, et ça m’a prouvé que j’avais vraiment le niveau. Ça m’a mis en confiance, même si la chaleur m’a rattrapé dans les derniers kilomètres. La deuxième course, c’est paradoxalement l’Omloop Het Nieuwsblad, car j’ai passé toute la journée dans les 10-15 premières positions du peloton et je ne me suis jamais senti dans le dur. J’étais toujours bien, toujours là. Même quand Stefan a attaqué, j’ai tout suivi derrière. Je n’étais pas en souffrance. Physiquement, je suis content de ce que j’ai montré sur ces deux journées.

Comment juges-tu ton évolution dans le groupe des Classiques depuis ta première campagne, en 2022 ?

Comme je le disais avant, je m’améliore chaque année, petit à petit, et ça c’est pour moi l’essentiel. Logiquement, mon rôle dans l’équipe devient de plus en plus important, et je me dois d’aller de plus en plus loin afin d’aider Stefan. Si je peux suivre des mouvements dans le final, comme sur l’Omloop Het Nieuwsblad, cela lui permet aussi de tenter sa chance, ce qui serait peut-être moins le cas s’il était isolé dans un groupe de quinze/vingt. Si j’ai la forme que j’avais en début d’année, je pense être quelqu’un sur qui l’équipe peut vraiment compter quand il ne reste plus grand-monde dans le final des courses.  

T’approches-tu du niveau que tu souhaiterais atteindre ?

Si on reprend l’exemple du début d’année, c’est vraiment ce à quoi j’aspire. J’étais vraiment dans la course. J’étais acteur, pas juste un coureur qui a pris le départ. J’étais quelqu’un dont la présence pouvait impacter la course. Je pense donc m’approcher du niveau que j’aimerais atteindre. L’an passé, j’avais déjà été dans cette position à quelques reprises, mais disons que c’était plus facile d’y être cette année, ce qui veut aussi dire que je pouvais être actif une fois devant. Même si je ne deviens pas beaucoup plus fort, j’aimerais au moins réussir à conserver ce niveau sur toute la période des Classiques.

Dois-tu encore te canaliser en course ? Est-ce quelque chose que tu travailles ?

Oui et non. Peut-être que tout le monde ne sera pas d’accord, mais j’ai remarqué que c’est quelque chose qui me permettait de « marcher ». Quand je suis un peu excité, que je suis les mouvements, et que je me sens vraiment concerné par la course, ça m’aide, même si je perds un peu d’énergie dans l’affaire. Parfois, en courant de manière plus défensive, j’ai la sensation de ne pas entrer dans ma course. Ceci étant, il est vrai que cette approche m’a aidé sur Le Samyn par exemple. J’avais envie de tout suivre mais l’équipe a fait un super travail et m’avait dit de vraiment rester tranquille jusqu’à la fin car je devais faire le sprint. Il y a quelques temps, je n’aurais peut-être pas réussi à rester tranquille. Cette fois-ci, j’y suis parvenu et j’ai terminé cinquième. Je me suis donc amélioré de ce point de vue, mais j’ai toujours besoin de garder ce brin de folie. Car c’est aussi pour ça que je prends du plaisir sur les courses, et je pense qu’il est important de trouver le bon compromis.

On sait que tu es toujours à la recherche de ta première victoire chez les professionnels. Est-ce que ça t’obsède ?

Ma vie sera tellement plus facile une fois que j’aurai gagné une course… C’est comme ça. Je ne peux rien y faire, à part être en bonne forme quand on me donne ma chance, saisir les opportunités et donner mon maximum. Je pense que j’ai le niveau pour en claquer une. Si je continue sur ce chemin, elle arrivera forcément.

Parviens-tu à garder une tranquillité d’esprit à ce sujet ?

En fait, j’aime bien avoir la pression. Même si ça peut être inconfortable, c’est quelque chose qui me pousse. Quand c’est vraiment dur en course, si j’ai cette pression, il est plus probable que je fasse les choses bien car il y a une raison pour laquelle je les fais. Tout le monde compte sur moi, et ça m’aide en réalité. Sur Le Samyn, par exemple, j’ai failli tomber avant le dernier secteur pavé et ça m’a vraiment fait perdre beaucoup de positions. On parle de petits pourcentages, mais si je n’avais pas eu la pression de la gagne, peut-être que j’aurais moins bataillé pour me bien me replacer. Si l’équipe compte sur moi, je ne peux pas baisser les bras.