Le destin est décidément plein de ressources. En s’élançant de Sierre en Suisse ce samedi matin, Bruno Armirail ne pouvait envisager qu’il revêtirait, près de cinq heures plus tard, l’iconique maillot rose du Tour d’Italie à Cassano Magnago. Ce n’est pourtant pas une illusion. Grâce à une échappée fleuve et à la bénédiction du peloton, le champion de France du contre-la-montre a bel et bien pris les commandes du classement général du Giro au soir de la quatorzième étape. À 29 ans, l’Occitan s’offre une récompense personnelle amplement méritée pour le travail et les sacrifices consentis au fil des années pour ses leaders. Ce samedi soir, Bruno Armirail rêvera en rose, et il sera le premier Français à le faire depuis 1999.
Un briefing, un bon de sortie, et une carrière peut se trouver métamorphosée. Au lendemain d’une deuxième place cruelle pour Thibaut Pinot au sommet de Crans-Montana, l’Équipe cycliste Groupama-FDJ souhaitait repartir de l’avant ce samedi dans une quatorzième étape promise aux échappés. La présence du long col de Simplon, après quarante kilomètres, offrait une nouvelle opportunité en or aux attaquants, et cette fois-ci, Bruno Armirail devait se mêler à la bagarre. « C’est Thibaut lui-même qui a voulu lui laisser carte blanche aujourd’hui pour le remercier de ce qu’il avait fait la veille », confiait d’ailleurs Sébastien Joly. Le rouleur de Bagnères-de-Bigorre s’est donc appliqué, et il n’a pas failli à prendre le bon wagon après une vingtaine de kilomètres ardemment disputés. « Cela faisait un petit moment que je voulais aller en échappée, mais il fallait que je reste auprès de Thibaut lorsdes derniers jours, confiait l’intéressé. Aujourd’hui, on m’a donné le feu vert ». En tête de course, Bruno Armirail s’est toutefois retrouvé avec près de trente adversaires au sein de l’échappée. La bataille pour la victoire d’étape s’annonçait donc coriace, d’autant que certaines formations étaient surreprésentées, mais à l’issue de la descente du col de Simplon, un autre potentiel objectif a commencé à poindre de manière assez inattendue. À cet instant, le peloton affichait en effet un débours de huit minutes et la formation Ineos Grenadiers du leader Geraint Thomas apparaissait elle complètement apathique, sans volonté de contenir l’écart.
« Je n’en reviens pas, c’est tellement grand », Bruno Armirail
Des pensées roses ont commencé à naître, compte tenu du fait que Bruno Armirail était le coureur le mieux placé au général en tête de course, à 18 minutes et 37 secondes du Britannique.« J’y ai pensé rapidement, dès le bas de la descente, confiait Rudy Molard. Ça ne roulait pas très vite dans le peloton, et je me suis dit qu’ils pouvaient prendre beaucoup d’avance s’ils s’entendaient devant. On était déjà à douze minutes à cent bornes de l’arrivée ». Kilomètre après kilomètre, les probabilités ont augmenté, et le peloton ne semblait aucunement enclin à changer d’attitude. Dans l’échappée, la bagarre pour la victoire du jour a en revanche commencé à près de soixante kilomètres, et Bruno Armirail est d’abord resté concentré sur cet unique objectif. Quatre hommes se sont détachés du groupe avant la dernière heure de course, et un bras de fer s’est enclenché avec les hommes en poursuite. À une dizaine de kilomètres de l’arrivée, l’écart flirtant avec les vingt minutes, Bruno Armirail a pour la première fois été annoncé leader virtuel du Giro. Néanmoins happé par la bagarre qui faisait rage dans les ultimes talus de l’étape, le Tricolore n’a pensé au maillot rose que relativement tard. « Pour moi, ce n’est devenu réalité que sur la fin, dans les cinq derniers kilomètres, confiait-il. Avant, je n’y pensais pas vraiment, je pensais beaucoup plus à la victoire d’étape. Malheureusement, j’étais un peu limite dans le final ».
Bien qu’écarté de la bataille pour la victoire dans les dernières minutes, l’Occitan a en revanche mis du cœur à l’ouvrage au sein de son groupe de poursuite pour rallier l’arrivée le plus rapidement possible, et ainsi espérer le maillot rose tout au bout de cette journée renversante. Quinzième de l’étape à cinquante-trois secondes du vainqueur Nico Denz, Bruno Armirail n’avait dès lors plus qu’à attendre. Mais ce fût sans doute l’attente la plus interminable de sa carrière. Les minutes ont défilé, le peloton n’a pas semblé embrayer, et au passage du paquet à la flamme rouge, Bruno Armirail pouvait d’ores et déjà sentir le parfum de la maglia rosa. Ce ne fût officiel que quelques instants plus tard, mais pour une minute et quarante et une secondes, le Haut-Pyrénéen de 29 ans s’est donc installé en tête du classement général du Tour d’Italie ce samedi 20 mai 2023. « Ce n’était pas vraiment le plan, soufflait-il ébahi dans sa première déclaration. En étant à dix-huit minutes ce matin, j’étais très très loin d’imaginer prendre le maillot rose ce soir. On s’était certes dit avec Rudy qu’une échappée pouvait prendre quinze minutes… Mais j’étais dedans. Je n’arrive pas à réaliser, je n’en reviens pas ».L’idée d’aller chercher le maillot rose avait bien trottée dans l’esprit de Bruno Armirail en début d’épreuve après son bon chrono inaugural, mais ce fantasme semblait désormais envolé. « J’avais essayé lors de la quatrième étape et j’étais déçu de ne pas être dans une bonne journée, reprenait-il. Pour moi personnellement, c’était un rêve, et je n’arrive pas à croire qu’il se réalise après deux semaines de course. C’est exceptionnel. Pour l’équipe aussi, après la deuxième place de Thibaut hier, c’est quelque chose de super. J’essaie de profiter, mais je n’en reviens pas, c’est tellement grand ».
« On va savourer avec lui car il mérite vraiment », Sébastien Joly
Deux ans après le maillot rose d’Attila Valter, l’équipe retrouve cette tunique iconique, mais c’est en revanche une première pour un Français depuis Laurent Jalabert sur le Giro 1999. Une éternité. « Je suis vraiment content pour Bruno, c’est largement mérité, confiait son coéquipier Rudy Molard. Depuis le départ, on le retient un peu pour les échappées. Aujourd’hui, il réussit à la prendre et il est en plus maillot rose. Au soir de la quatorzième étape, c’est beau ». « Bruno a été un très bon équipier jusque là, et il l’a encore prouvé hier auprès de Thibaut, ajoutait Sébastien Joly. Par bonheur, par chance, il va chercher ce maillot rose. Il a saisi cette opportunité, et même si l’objectif premier reste celui défini avec Thibaut, c’est un joli bonus et ça va donner une bonne énergie au groupe. On va savourer avec lui car il mérite vraiment ». Ce samedi, c’est en effet un travailleur de l’ombre et un gregario loyal qui a eu droit à son heure de gloire. « C’est vrai je travaille et me sacrifie toute l’année pour mes leaders, encore hier pour Thibaut, acquiesçait le champion de France du chrono. C’est une très belle récompense pour un équipier comme moi qui ne gagne jamais, ou très rarement.Sur le podium, je n’étais d’ailleurs pas super à l’aise…(sourires) Je n’ai pas l’habitude d’ouvrir des bouteilles de champagne. C’est quand même quelque chose d’exceptionnel pour l’équipier que je suis de revêtir le maillot rose. Je ne dormirai peut-être pas avec, mais celui-là il sera clairement encadré et accroché à la maison ».
Bruno Armirail compte désormais profiter pleinement de sa journée en rose vers Bergame dimanche, mais ne s’interdit pas de prolonger un peu le rêve. « L’étape n’est pas facile demain,et il faudra bien récupérer d’aujourd’hui car ça été une étape éprouvante, concluait-il. Ce n’est pas une arrivée au sommet, donc pourquoi pas tenter de le garder. Si je pouvais être en rose mardi matin pour le lancement de la troisième semaine, ce ne serait pas anodin ». Ancien maillot rouge sur les routes de la Vuelta, Rudy Molard sera en tous les cas présent pour lui rappeler l’essentiel ces prochaines heures : « J’ai envie de lui dire de profiter, car ce sont des moments éphémères. Il faut vraiment ouvrir les yeux et savourer chaque seconde ».