Premier coureur de l’histoire de la structure à franchir la passerelle « Conti-WorldTour » – c’était en 2019 -, et depuis imité par beaucoup d’autres, Kevin Geniets entame en 2025 sa septième saison dans les rangs professionnels, avec un statut toujours plus établi au sein de l’équipe cycliste Groupama-FDJ. Ce dimanche, il opère son retour à la compétition sur le Grand Prix La Marseillaise, dont il est tenant du titre. L’occasion d’un entretien en longueur avec le champion du Luxembourg.
Comment te sens-tu à quelques jours de ta reprise ?
J’ai vraiment passé un très bon hiver. La préparation a été très fluide, même si j’ai changé de coach puisque Julien Pinot a arrêté d’entraîner. Je suis désormais suivi par Nicolas Boisson, ce qui apporte forcément de la nouveauté. De manière générale, c’était un hiver relativement similaire aux précédents, avec toutefois quelques stimulations, ce qui ne fait jamais de mal. Je suis parti en stage à Tenerife début janvier avec l’équipe pour vingt jours et ça s’est vraiment bien passé. Je suis désormais habitué à ce stage en altitude, mais on essaie constamment de progresser sur quelques points comme la nutrition ou l’entraînement, on tente d’introduire quelques nouveautés. Au global, on reste malgré tout dans une certaine continuité. Le processus pour repartir d’ici avec la meilleure forme possible est très précis et je me sens prêt pour la reprise.
« Quand j’étais à l’arrêt, je me disais : c’est quand même une belle vie que celle qu’on mène »
Avant d’évoquer 2025, revenons sur 2024, l’année de ta première victoire professionnelle. Que retiens-tu de cette saison, déjà ta sixième chez les pros ?
Forcément, je retiens surtout ma première victoire pro, sur le Grand Prix La Marseillaise, qui était un super moment et la récompense de beaucoup de travail. On peut dire que c’était un vrai poids en moins sur mes épaules. C’était clairement un objectif que j’avais depuis un moment. Je n’étais pas passé loin plusieurs fois, avec une deuxième place ici, une troisième place là, mais il me manquait toujours un petit truc. Ça m’a vraiment procuré énormément de plaisir d’enfin pouvoir conclure, et ça m’a bien propulsé pour les courses qui suivaient. J’ai vraiment pris confiance, car quand tu ne gagnes pas, à un certain point, tu commences à te dire : « je n’en suis peut-être pas capable ». C’est tellement dur de gagner ; on est au plus haut niveau du sport, la densité est énorme. Pouvoir gagner permet de te dire : « j’ai réussi à le faire une fois, donc je peux le refaire ». Et le but maintenant est effectivement de le répéter.
Ta première partie de saison a en revanche été interrompue par une fracture de la main sur Paris-Nice.
Le plus frustrant dans cet épisode, c’est que j’étais vraiment au top quand c’est arrivé. Ça a vraiment cassé l’élan de mon super début de saison. Maintenant, j’ai très vite relativisé en me disant que c’était ma toute première vraie blessure, la première fois que j’étais arrêté durant ma carrière. Au final, c’est aussi une séquence qui m’a fait du bien, car j’ai pu me reposer, me détacher des courses et du stress. En plus de ça, j’ai eu la chance d’avoir la confiance de l’équipe et de conserver mon programme initial, à savoir Critérium du Dauphiné-Tour de France. J’étais vraiment serein dans la tête et j’ai pu me concentrer pour revenir petit à petit. J’ai pu profiter de ces quelques semaines pour faire autre chose, alors qu’on est généralement toujours sous pression. J’ai fait des trucs tout simples, à savoir passer du temps avec des amis, faire des repas. Comme je ne pouvais pas rouler au début et que j’aime la nature, j’ai fait pas mal de marche, un peu de trail. J’ai aussi passé un peu plus de temps à la maison avec ma copine, ce qui arrive rarement dans une saison. Ça m’a bien ressourcé. Je ne veux évidemment pas le revivre tous les ans, mais c’était un moment que j’ai plutôt bien vécu.
Tu as aussi dit que cette séquence t’avait rappelé pourquoi tu avais voulu devenir coureur professionnel. Qu’entendais-tu par là ?
Quand tu es dans ta bulle et pris dans tout le processus, dès l’hiver où tu travailles pour un objectif puis durant la saison où tu enchaînes les courses, tu n’as jamais vraiment le temps pour te poser, réfléchir et réaliser. Quand j’étais à la maison, à l’arrêt, je me disais : « c’est quand même une belle vie que celle qu’on mène ». J’ai profité du moment mais j’avais malgré tout envie de revenir rapidement. Quand on est arrêté, c’est souvent pendant l’hiver, et il n’y a pas de courses, il ne se passe rien. Mais quand il y a les plus grandes courses et que tu dois les regarder à la télé, c’est là où le manque se fait vraiment sentir.
« Je sens que j’ai ma place dans cette équipe »
En parlant de grandes courses, tu as participé à ton troisième Tour de France puis enchaîné avec la Vuelta.
Le Tour s’est bien passé, la forme était bonne même s’il manque des vrais résultats liés au fait que les échappées ne sont bien souvent pas allées au bout. Je suis allé sur la Vuelta très motivé car je suis sorti du Tour avec une très bonne forme. J’ai tout de suite « switché » et j’étais en forme optimale au départ de la Vuelta. Malheureusement, je supporte assez mal la chaleur et on a eu des températures extrêmes pendant dix jours. À un certain point, je n’arrivais plus à récupérer. Mon corps n’acceptait pas cette chaleur et je me suis retrouvé complètement vidé et contraint d’abandonner. C’était très dur à accepter mentalement, car je passais des journées à galérer juste pour voir la ligne d’arrivée alors que mon niveau est normalement bien supérieur à cela. C’était très frustrant car j’ai mis un gros investissement en vue de la Vuelta et ça n’a pas payé du tout. Mais c’est aussi ça le sport. On bosse tous hyper bien mais on n’est pas toujours récompensé. Ça n’a pas été simple de se remobiliser pour la fin de saison. Parfois, tu as envie de laisser tomber, mais au final tu te ressaisis, comme tu le fais à chaque fois. Je me suis remis dedans pour finir avec un Paris-Tours où j’étais vraiment acteur. Au global, c’était malgré tout une bonne année.
En 2024, tu as aussi prolongé avec l’équipe. Ça coulait de source ?
J’aime mon rôle ici. En début de saison, je peux parfois courir pour moi-même, ce qui me fait vraiment du bien, mais j’aime aussi beaucoup mon rôle d’équipier. C’est quelque chose qui me plait vraiment, notamment sur les Grands Tours. J’ai de super souvenirs du Tour de France que David a terminé à la quatrième place, et le projet est de rééditer ça dans un futur proche. Je sens que j’ai ma place dans cette équipe, je me sens respecté, j’essaie de vraiment donner de ma personne, je pense qu’ils le voient et que j’apporte quelque chose. J’étais vraiment content de continuer trois ans supplémentaires.
« Ce début d’année doit me permettre de tirer mon épingle du jeu »
Tu reviens donc à la compétition dimanche, où tu épingleras le dossard numéro 1.
C’est forcément spécial. Je le remarque déjà par le fait qu’on m’appelle tous les deux jours pour une interview, et je n’ai pas trop l’habitude de ça. Cela étant dit, j’étais vraiment concentré sur le travail que j’avais à faire à Tenerife. J’essaie de ne pas trop penser au Grand Prix La Marseillaise mais plutôt aux courses suivantes, pour y aller sans pression et c’est peut-être ça la clé pour réussir. Je ne pense pas à conserver mon titre spécifiquement, j’appréhendes plutôt le début de saison jusqu’à Paris-Nice comme un tout. J’aimerais regagner une course, mais je veux y aller étape par étape.
La forme sera-t-elle présente pour jouer devant ?
Je pense. L’année dernière on avait le même objectif, et la programmation avait été parfaitement calibrée. J’avais un peu déchargé sur la fin du stage afin d’être vraiment compétitif dès le début de saison. Je me sentais très bien lors du stage ces dernières semaines, et l’équipe a assez de connaissances pour faire en sorte que j’arrive sur les premières courses avec la forme que je désire. L’objectif est clairement de profiter du début de saison pour saisir des opportunités à titre personnel. Je cours souvent avec les gros leaders, et dans cette configuration, je sais très bien que je n’ai pas les mêmes possibilités ou le même rôle, même si je l’accepte très bien également. Mais ce début d’année doit me permettre, comme la saison dernière, de tirer mon épingle du jeu.
Quel sera ton calendrier pour la première partie de saison ?
Il sera identique à l’année dernière, avec les courses françaises, puis j’irai sur Paris-Nice et Milan San Remo avant de couper un peu et de préparer le Giro.
« Le Giro avec David est un projet très excitant »
Tu mettras donc de côté les Flandriennes au profit des Ardennaises ?
La campagne des classiques pavées est difficilement compatible avec mon programme car je vais repartir avec David en stage pour préparer le Giro du mieux possible. Pour lui aussi c’est un gros objectif, donc on a une approche vraiment globale de la saison. Il est clair que les Flandriennes me manquent, j’ai envie d’y retourner, mais je pense que cette année est la bonne année pour tenter ce programme. Pour autant, je prends déjà rendez-vous avec la Belgique pour l’année prochaine.
Découvrir le Giro, était-ce une volonté de ta part ?
Je savais que David voulait aller sur le Giro avec l’objectif de disputer le classement général. On en a parlé avec l’équipe, et on était d’accord pour que j’y aille aussi afin de l’épauler du mieux possible. J’aime beaucoup bosser avec David, on a déjà réussi de belles choses ensemble, et c’est un projet très excitant. Faire un beau Giro, c’est un challenge pour lui, mais ça l’est aussi pour moi en tant qu’équipier. C’est quasiment la partie où je prends le plus de plaisir, surtout quand je sais que David est vraiment au top, comme on l’a déjà vu sur le Tour ou sur Paris-Nice. Ce sont ces moments-là qui me stimulent. Quand on voit sa fin de saison 2024, ça nous donne aussi confiance et nous fait dire que le projet tient vraiment la route.
Quelle est ta relation avec David ?
On a très souvent un calendrier de course similaire, et je ne pense pas que ce soit dû au hasard. J’aime bien sa façon de courir, je pense que lui aussi apprécie le travail que je fais pour lui, et c’est pour ça qu’il me fait confiance. On a aussi vécu des moments qui nous lient fortement. Je l’ai replacé quand il gagne son étape sur le Dauphiné, j’ai pu le « sauver » de quelques situations stressantes sur le Tour. Toutes ces expériences communes font qu’on se connaît maintenant vraiment bien. Je sais comment il marche, il sait comment je marche, et mon objectif est vraiment de lui permettre de tirer le maximum de lui-même.
« L’objectif est maintenant de gagner une grande course »
Aimerais-tu aussi saisir des opportunités personnelles sur le Giro ?
S’échapper sur un Grand Tour, c’est aussi tout un processus. Lors de mes premières années pro, on ne visait que le classement général avec David, donc je n’avais pratiquement jamais la consigne de m’échapper. Depuis deux ans, notre approche a évolué, j’ai dû m’adapter, et j’arrive aussi de mieux en mieux à prendre mes responsabilités. L’an passé, j’ai pris une échappée sur le Dauphiné, j’en ai pris plusieurs sur le Tour. C’est vraiment un truc qu’il faut apprendre. Quand tu l’apprends sur les plus grandes courses du monde, ce n’est pas forcément simple, mais j’ai progressé et on m’a vu à l’avant sur ces grandes courses. Donc bien sûr, s’il y a des ouvertures, j’essaierai de m’échapper et de faire un résultat pour moi-même.
Prendre une échappée, gérer une journée à l’avant, ça se travaille ?
C’est essentiellement en course qu’on apprend. Au début, tu fais des erreurs. Tu veux trop être dans l’échappée, donc tu mets tout au début, ça ne part pas, et quand le bon coup se forme, tu es cuit. Il faut sentir les bons moments, comprendre les mouvements, pointer les gars qui s’échappent souvent. J’ai appris de mes dernières expériences, c’est un truc qui me plait désormais, même si au bout du compte, c’est souvent le peloton qui décide si l’échappée va au bout ou non. On va continuer dans cette approche, je vais moi-même continuer, en espérant qu’un jour les planètes s’alignent.
Comment vois-tu la suite de ta carrière ?
Pour l’instant, j’aime vraiment ce que je fais. Je veux continuer de progresser et de m’épanouir dans mes différents rôles comme je le fais en ce moment, en jouant parfois pour moi-même, en ayant cette adrénaline de fin de course, et en occupant ce rôle très important autour d’un leader sur les plus grandes épreuves. J’ai toujours eu des objectifs. Quand tu es jeune, tu as déjà l’objectif de passer professionnel, ensuite tu as l’objectif de faire le Tour de France. Puis j’avais l’objectif de gagner une course. Maintenant, l’objectif est de gagner une grande course, par exemple une étape d’un Grand Tour ou d’une course par étapes WorldTour. C’est le prochain cap, et il faut y croire. Quand j’étais jeune et que je disais que je voulais faire le Tour, cela semblait presque impossible, mais j’ai réussi. Une étape d’un Grand Tour, ça semble difficile, bien que moins impressionnant qu’au tout début, mais il faut toujours se trouver de nouveaux challenges et c’est celui-là qui va m’animer ces prochaines années.