Il fût l’une des attractions du dernier « mercato ». Après sa double victoire sur le Tour de l’Ain et deux succès d’étapes retentissants sur la Vuelta, l’Australien Michael Storer a rejoint l’Équipe cycliste Groupama-FDJ pendant l’hiver. Le jeune homme de 25 ans, qui s’était engagé bien avant ces diverses performances, revient aujourd’hui sur son début de carrière, sa constante progression, et ses aspirations sous ses nouvelles couleurs.
Michael, tu viens de disputer tes premières courses avec l’équipe. Comment cela s’est-il passé ?
Plutôt bien. On n’a pas obtenu les résultats qu’on espérait mais on en était très proche. Sur le Tour de la Provence, Tobias Ludvigsson a terminé troisième du prologue, et sur le Tour des Alpes-Maritimes et du Var, Valentin et Thibaut ont également fait troisièmes d’étapes. Ça reste de bons résultats. J’ai eu l’opportunité de courir avec des coureurs très forts au sein de l’équipe. Ils ont aussi beaucoup d’expérience, ce qui facilite les choses en course. Physiquement, je n’étais pas au top sur ces premières épreuves, mais j’ai à coup sûr progressé. Je vais maintenant continuer à m’entraîner et essayer de grappiller quelques pourcentages de forme avant Paris-Nice et le Tour de Catalogne.
« Je voulais voir jusqu’où je pouvais aller »
Comment était-ce de courir à l’avant avec Thibaut sur la dernière étape du Tour des Alpes-Maritimes et du Var ?
C’était vraiment chouette de courir avec Thibaut. Je pense qu’on pourra bien s’amuser ensemble sur les courses montagneuses à l’avenir. C’est un coureur qui a beaucoup d’expérience, c’est très facile de travailler avec lui. Il sait ce qu’il faut faire, je peux facilement aller lui parler et la plupart du temps on est sur la même longueur d’onde. Et ce n’était que notre première course ! Cette dernière étape était très difficile, mais on a pris du plaisir à la courir. J’ai pu remarquer qu’il était l’un des coureurs français les plus populaires, et c’est beau de voir autant d’enthousiasme de la part des fans. La plupart du temps, les fans de Thibaut sont aussi des fans de la Groupama-FDJ, donc j’ai aussi pu profiter de leurs encouragements. J’ai adoré courir avec Thibaut et j’attends aussi avec impatience ma première course avec David à Paris-Nice.
Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours ?
Je viens de Perth, en Australie occidentale. Le climat est un peu similaire à celui du sud de l’Espagne. Nous avons des étés très chauds et secs, et un peu de pluie en hiver. Mais jamais de neige. Le temps est idéal pour les activités en extérieur et j’étais quelqu’un de très actif plus jeune. J’ai commencé par l’athlétisme, puis je suis passé au cyclisme tout simplement parce que j’aimais faire du vélo. J’ai vraiment commencé à douze ans, et j’ai fait un peu de compétition mais c’était davantage pour le plaisir. J’étais tout de même relativement sérieux assez tôt car j’aimais être bon dans le sport que je pratiquais, mais ce n’était jamais excessif.
Quand as-tu commencé à penser à une carrière professionnelle ?
Quand j’étais junior, je ne pensais pas au fait de passer pro car je ne savais pas si c’était possible ou non. En revanche, je voulais voir jusqu’où je pouvais aller. Je ne visais que la prochaine étape. Quand j’avais 16-17 ans, j’avais simplement dans l’idée de participer à mes premiers championnats du monde, car c’était l’étape à franchir à l’époque. Il faut passer par toutes les étapes avant de pouvoir arriver chez les professionnels, donc je ne regardais pas trois ou quatre étapes en amont. Je pensais juste à celle qui suivait. Seulement ensuite je me disais : « si je peux franchir cette étape, alors je peux penser à la suivante ». Avec les résultats que j’ai obtenus en juniors (médailles aux championnats d’Australie, d’Océanie et du Monde, ndlr), je me suis dit que je pouvais intégrer une bonne équipe chez les Espoirs, car on ne passe généralement pas directement des juniors au WorldTour. J’ai réussi à intégrer une bonne équipe U23, et l’étape suivante était donc de bien performer dans cette catégorie.
« La seule attente que j’avais de moi-même était de travailler dur pour progresser »
Quel a été ton cheminement dans les années Espoirs ?
Pour moi, ça n’a pas été si compliqué, car il y avait à l’époque un très bon programme de développement, donc tout était bien mis en place. Quand il y a un chemin tout tracé, ce n’est pas si difficile. Chez les Juniors et les Espoirs, j’ai pu venir en Europe pour disputer quelques courses. En tant que Junior, j’ai peut-être passé trois mois ici. Dans première année Espoirs, c’était peut-être quatre ou cinq mois, et encore davantage dans ma deuxième année. Mon séjour était de plus en plus long au fil des années. La principale différence, c’était le fait d’être loin de ses amis et de sa famille. C’était en fait la seule vraie différence. Cependant, je savais ce que ça impliquait d’essayer de passer pro avant de faire ce choix. Et puis, c’est aussi plus facile quand on y va progressivement comme je l’ai fait parce qu’on s’habitue à être éloigné. C’est devenu normal pour moi à un certain point.
Où t’es-tu installé en Europe ?
J’ai maintenant décidé de rester en Italie. Avant cela, j’ai passé un peu de temps aux Pays-Bas, car en tant que non européen, c’était plus facile avec mon contrat. Je suis également passé par d’autres endroits, mais disons que je suis en Italie depuis quatre ans par intermittence. Je vis à Varèse. On venait ici avec l’équipe nationale et j’ai bien aimé cet endroit, donc j’ai choisi de m’y installer. C’est une bonne région pour s’entraîner, les seuls problèmes sont parfois la qualité de la route et le trafic. Il faut être prudent. Il y a d’autres cyclistes ici, dont un compatriote Simon Clarke, ainsi que des coureurs locaux italiens.
Tu entames ta cinquième année chez les professionnels. Le début de ta carrière correspond-il à ce que tu espérais ?
En arrivant chez les pros, je voulais juste continuer à m’améliorer et j’espérais gagner une course, mais il est toujours difficile de savoir quel est son vrai potentiel. La seule attente que j’avais de moi-même était de travailler dur pour progresser. Si cela faisait de moi l’un des meilleurs au monde, tant mieux, mais le plus important pour moi a toujours été l’éthique de travail. Même si j’ai fait de bonnes années Espoirs, ce n’était pas du tout frustrant de ne pas obtenir de gros résultats au début, car je ne m’attendais pas à gagner immédiatement. Je savais aussi que je n’étais pas assez bon dans mes deux premières années et que gagner était très peu probable. Je voulais juste continuer à travailler pour m’améliorer en espérant que je sois un jour assez bon.
« Le fruit de quatre années de travail acharné »
As-tu « craint » de ne pas être assez bon ?
Les équipes s’enthousiasment souvent sur leur nouveau jeune coureur qui arrive, et si tu ne fais rien de particulier au cours de tes deux premières années, il peut arriver qu’elles préfèrent prendre un nouveau jeune coureur. Certaines équipes fonctionnent ainsi. C’est génial pour le nouveau néo-pro, bien sûr, mais pour soi-même, ce n’est pas l’idéal. Mais ça ne m’a jamais inquiété, car si cela se produit mais que j’ai fait de mon mieux, que puis-je faire de plus ? Si je ne suis pas assez bon, alors je ne suis pas assez bon. Si certains coureurs sont meilleurs que moi et prennent ma place, je ne peux rien y faire.
Tu as progressé de manière linéaire année après année. C’était voulu ?
Je pense simplement que c’est la manière dont je suis fait. On ne peut pas planifier ça. Cela aurait été formidable d’avoir une année folle au début de ma carrière, de gagner des courses tout de suite, mais cela ne s’est pas produit. Je pense que c’est une autre chose qui n’est pas entièrement sous mon contrôle : la façon dont je progresse. Peut-être que je pourrai continuer à progresser, peut-être que mes performances sont à leur apogée. Je ne sais pas, mais il semble que je m’améliore un peu chaque année, et c’est une bonne chose. Les gens disent que j’ai percé en 2021, mais ce n’est pas vraiment le cas. J’ai juste réussi à m’améliorer un peu, et au lieu de faire des top-10, j’ai pu me battre pour la gagne. En 2020, j’ai terminé troisième d’une étape de la Vuelta, troisième d’une étape du Tour des Alpes Maritimes et du Var, réalisé quelques top-10 ici et là. Ces top-10 se sont juste transformés en meilleurs résultats. Je pense juste que le travail au fil des années a commencé à porter ses fruits. Avant cela, il me manquait juste un peu de tout, donc en m’améliorant un petit peu partout, je suis simplement devenu un meilleur coureur.
Au départ du Tour de l’Ain l’an passé, pensais-tu pouvoir gagner ?
Mon état d’esprit était un peu différent de d’habitude. Je savais, étant donné mes entraînements, que j’avais de très bonnes chances de remporter la course. J’avais ça en tête depuis le début. Mes datas étaient très bonnes. Je sais ce qu’il faut produire en course en règle générale, et je le produisais à l’entraînement, donc je savais que c’était possible physiquement parlant. En ayant cela à l’esprit, j’étais également prêt à tenter un peu plus. Je ne courais pas pour faire deuxième ou troisième sur le Tour de l’Ain, je courais pour la victoire. Sur certaines courses avant cela, j’avais aussi la conviction de pouvoir être très compétitif, mais en arrivant sur le Tour de l’Ain, il est vrai que j’étais confiant sur mes chances de l’emporter. C’est quelque chose qui ne m’était pas vraiment arrivé auparavant. Je savais que c’était possible simplement parce que l’entraînement s’était parfaitement déroulé. Alors, gagner la dernière étape en solitaire et le classement général a été un soulagement. Cette victoire était le fruit de quatre années de travail acharné et d’efforts pour progresser, donc c’était vraiment spécial d’enfin conclure.
« La façon dont l’équipe travaille m’a séduite »
À quel point tes victoires sur la Vuelta dépendent-elles de celles sur le Tour de l’Ain ?
Pour être honnête, je pense que j’aurais quand même pu gagner sur la Vuelta sans gagner au préalable sur le Tour de l’Ain. Cela m’a sûrement donné de la confiance, mais le cyclisme reste un jeu de chiffres au bout du compte. C’est parfois la dure réalité. On peut faire de petites différences du point de vue tactique, mais si quelqu’un est beaucoup plus fort que soi, alors il est vraiment difficile de gagner. Je pense qu’on surestime un peu trop la notion de confiance. C’est juste mon opinion, mais ça n’a pas vraiment changé mon approche de la course. Cela m’a simplement fait réaliser que je pouvais obtenir de meilleurs résultats, c’est tout. Il n’empêche que c’était incroyable de remporter deux étapes. J’ai clairement dépassé mes propres attentes. J’espérais gagner une étape sur la Vuelta, mais j’étais aussi là pour aider Romain Bardet pour le classement général. Cela aurait pu être bien plus compliqué car on n’a pas beaucoup d’opportunités lorsqu’on est là en soutien pour le général, mais les plans ont changé en cours de route et nous avons ensuite adopté une nouvelle stratégie qui était de viser les victoires d’étape. Il faut aussi les bonnes circonstances.
L’Équipe cycliste Groupama-FDJ n’a pas attendu que tu gagnes pour entrer en contact avec toi.
C’est vrai. Ils ont noté mes performances sur le Giro et ma progression au fil des années, et ils étaient vraiment intéressés à l’idée de m’avoir dans l’équipe. Ils ont regardé les choses plus en profondeur, ils n’ont pas seulement choisi un coureur évident qui gagnait des courses. Ils ont vu que j’avais un rôle de soutien à 100% sur le Giro et que j’étais capable de rester avec les meilleurs en montagne. Même si je n’étais pas là pour la victoire, ils ont quand même vu le potentiel. J’étais un peu surpris qu’une équipe française m’approche dans un premier temps, mais quand j’en ai appris plus sur l’équipe, j’étais bien moins surpris. Je savais que c’était une très bonne équipe et j’ai aussi réalisé à quel point l’organisation était professionnelle. La façon dont l’équipe travaille m’a séduite, et je me disais que ça pouvait bien me convenir. J’en apprenais plus sur l’équipe au fur et à mesure qu’ils me montraient de l’intérêt, et compte tenu des circonstances, j’ai fait le choix qui me semblait être le meilleur pour moi.
Comment se sont déroulées tes premières rencontres avec l’équipe ?
On m’a vraiment bien accueilli, et tout le monde a vraiment été sympa avec moi. Ce n’est pas si difficile de s’intégrer, mais il faut assurément un certain temps pour connaître tout le monde. Ils savent aussi que j’ai besoin de temps pour m’améliorer en français. Parfois dans les réunions, je peux demander une traduction, mais pour être honnête, je comprends 80% de ce qui se dit. Je fais de l’italien depuis dix ans et il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour avoir les bases du français, même si ça reste difficile. En plus, l’équipe est de plus en plus internationale, donc il y a pas mal de gars qui parlent anglais.
« C’est ma carrière et j’en ferai ce qui me sied »
Comment abordes-tu 2022 après ce que tu as réalisé l’an passé ?
Je pense que je vais devoir essayer différentes stratégies en course, mais ce qui a fonctionné dans le passé peut également fonctionner à l’avenir. Étant donné qu’on me connait un peu plus maintenant, j’ai déjà remarqué lors des deux premières courses que je devais changer un peu de tactique. Il faut juste s’adapter. Beaucoup de coureurs plus prolifiques que moi continuent de gagner des courses malgré le fait qu’ils soient marqués ou qu’on coure ‘’contre’’ eux. Je dois juste continuer à apprendre, à m’améliorer et les résultats devraient continuer à arriver.
Ressens-tu des attentes autour de toi ?
L’équipe ne me met aucune pression car ils savent probablement que je me mets déjà assez de pression. Donc, ils n’ont pas besoin de le faire. Je ne fais pas vraiment attention aux attentes des autres. C’est ma carrière et j’en ferai ce qui me sied. C’est mon approche. Les autres attendent probablement plus de moi après 2021, mais ce qui compte le plus, c’est ce que je ressens vis-à-vis de moi-même plutôt que ce que les autres veulent. Mais c’est évidemment sympa de voir cet enthousiasme autour de moi, c’est aussi ce qui rend le sport beau. Personnellement, j’attends de moi d’atteindre au moins le même niveau de performance que lors de la précédente Vuelta, et j’espère pouvoir passer encore des étapes et gagner quelque chose de grand.
Dans quels domaines souhaites-tu t’améliorer ?
Je pense que travailler sur le contre-la-montre est important si je veux tenter le classement général sur certaines courses. C’est vraiment important, mais jamais au détriment de ce que je fais de mieux, jamais si cela empiète sur mes qualités de grimpeur. Je m’essaierai peut-être à un classement général à l’avenir, je ne sais pas, je verrai simplement comment ça évolue au cours des deux prochaines années.
Pour finir, tu as déjà été confirmé pour le prochain Tour de France. Comment as-tu accueilli la nouvelle ?
Cela prouve toute la confiance qu’on a en moi, ce qui est une bonne chose, car j’ai également montré beaucoup de confiance envers l’équipe en la rejoignant. C’est agréable de voir que des gens ont confiance en ma capacité à être sur le Tour et à y être utile. C’est bien sûr une grande motivation et un vrai boost. Cette confiance mutuelle est très importante. On peut toujours avoir des résultats sans, mais je suis persuadé que c’est un vrai avantage. Pour l’instant, j’essaie de ne pas penser au Tour. Je préfère toujours penser à la suite immédiate plutôt que de regarder trop loin devant. Pour autant, c’est évidemment quelque chose dont je rêve depuis longtemps, et je suis vraiment impatient de courir le Tour. J’ai vraiment hâte d’y être mais pour l’heure, ce n’est pas le sujet.
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