Trois ans plus tard, Marc Sarreau est de retour au bercail. Après une période délicate et un futur longtemps incertain, le Berrichon de 30 ans souhaite donner un nouvel élan à sa carrière au sein de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ. Il débarque ainsi avec la casquette de poisson-pilote, qu’il enfilera auprès de Paul Penhoët dès que celui-ci opérera son retour. En attendant, quelques opportunités l’attendent, comme à Valence le week-end dernier (7e). Entretien.
Marc, tu as remis le maillot de l’équipe en compétition le week-end dernier. Avec quel sentiment ?
C’était un vrai plaisir, c’était aussi un grand changement. Les directeurs sportifs étaient nouveaux, tout comme les coureurs. J’avais le même maillot que lorsque je suis parti, et d’ailleurs pas vraiment car il a aussi changé (sourires), mais avec personne qui n’était là à l’époque. J’étais en tout cas très heureux de retrouver l’équipe, et même avec tout ce nouveau monde, la conviction et l’envie étaient similaires à ce que je connaissais, ce qui me correspond bien.
« Ça m’aurait ennuyé d’arrêter aussi jeune »
Ta dernière course avec l’équipe était cette tristement célèbre étape du Tour de Pologne. Peux-tu nous résumer la période qui nous sépare de ce moment ?
C’était une période un peu galère, en montagnes russes. J’ai commencé mon aventure avec AG2R-Citroën blessé, puis ce furent trois saisons jalonnées par des problèmes de genou, des problèmes relatifs à des chutes, à l’artère iliaque. J’ai alterné les gros blocs d’entraînement pour retrouver un bon niveau et des périodes de méforme avec des blessures et des maladies. Ce n’était certainement pas ce à quoi je m’attendais en partant. Je n’ai pas clairement optimisé ces années-là. Le destin a voulu que ce ne soit pas ma meilleure période sur le vélo, mais je pense qu’il me reste une ou deux saisons pour atteindre mon meilleur niveau. Je me sens encore assez frais. Je pense que je n’ai pas atteint ma maturité physique, que je peux encore en profiter pour progresser et que mon retour dans l’équipe va me pousser dans ce sens. Dans un ou deux ans, on pourra faire le bilan et juger si, effectivement, j’ai manqué mes meilleures années ou si j’ai réussi à en réaliser quelques-unes encore plus belles.
Gardes-tu une petite amertume de cette séquence ?
Je ne suis vraiment pas frustré. À l’époque, partir était le bon choix. Je devais le faire pour avoir plus d’ambition, continuer à grandir, sortir un peu de l’ombre d’Arnaud et saisir ma chance. C’était à l’époque ma meilleure opportunité donc je l’ai saisie. Je ne le regrette vraiment pas. Ensuite, ça ne s’est pas déroulé comme je l’aurais espéré mais une carrière de sportif n’est jamais linéaire. Et même si cela ne m’a pas apporté de résultats ou de progression significative, dans la galère, j’ai aussi appris sur moi-même. C’est forcément plus facile quand on gagne des courses régulièrement, mais je ne regrette pas du tout ces années-là et ça me servira par la suite. Ça n’a pas marché, mon ancienne équipe a certainement eu quelques tords, mais c’est une expérience et c’est du passé.
Comment as-tu vécu la saison 2023, et plus particulièrement l’approche de son terme ?
Je l’ai commencé motivé, comme toujours, avec pour objectif de faire la meilleure saison possible afin de trouver un challenge et une équipe qui me fasse confiance pour l’année suivante. Ça a tardé, avec de nouvelles blessures et des résultats pas à la hauteur. L’été s’est approché, j’ai eu quelques contacts, mais rien de concret. J’ai vite compris qu’il allait être compliqué de trouver quelque chose qui me convenait, et une équipe enjouée à l’idée de m’accueillir. Je ne voulais pas que ça se fasse par défaut, alors j’ai commencé à réfléchir à la suite, et aux conditions dans lesquelles j’accepterais de continuer le vélo ou non. J’avais plusieurs projets en tête, assez concrets, précis, et qui ne demandaient qu’à être mis en place une fois que la fin de carrière aurait été actée. Puis, je me suis concentré sur la fin de saison pour ne rien regretter et être sûr de pouvoir saisir l’opportunité si elle se présentait. Mais plus la saison avançait, plus je me disais que c’était certainement la dernière. Je n’éprouvais vraiment pas de nostalgie. Ça m’aurait simplement ennuyé d’arrêter aussi jeune, et sans être allé au bout, car je me sentais encore frais physiquement. Je n’avais pas de date butoir en tête, mais après la dernière course, je me disais qu’il y avait plus de chances que ce soit foutu que le contraire. Puis, juste après Paris-Bourges, j’ai reçu un coup de téléphone qui m’a indiqué que l’équipe Groupama-FDJ était intéressée. Je devais simplement passer des tests pour être sûr que le genou et tout le reste étaient ok. Je n’ai pas réfléchi très longtemps, je suis allé passer ces tests immédiatement et ça a été concluant.
« J’ai pensé que ma place serait plus efficace auprès d’un jeune »
Quelles étaient tes conditions pour continuer dans le vélo ?
Il ne s’agissait pas nécessairement du niveau de l’équipe. J’étais prêt à sprinter, mais pas forcément en électron libre, « à l’arrache », dans une équipe qui s’en moquait un peu. Mon souhait le plus fort était de lancer quelqu’un de plus rapide que moi ou un jeune pour essayer de lui apprendre le métier et de viser des victoires dans le haut du panier, à savoir dans le WorldTour. Je pensais pouvoir apporter dans ce domaine. Donc, le projet que me proposait Groupama-FDJ correspondait parfaitement. J’étais également prêt à accepter un travail d’équipier, mais il y avait une question salariale Je n’étais pas prêt à retomber à 2000 euros mensuels dans une équipe Continentale juste pour refaire un ou deux ans de vélo et sacrifier beaucoup de temps avec ma famille. Je préférais accéder à la « vie normale » plus tôt, quitte à gagner un peu moins bien ma vie que dans le vélo, mais pouvoir profiter de ma famille.
Tu avais donc l’idée de te reconvertir en poisson-pilote avant même l’offre de l’équipe ?
J’en avais même parlé à mon agent la saison précédente, avant de resigner un an avec AG2R-Citroën. Ce qui me fait avancer dans le sport, c’est de viser en permanence une progression et des objectifs de plus en plus élevés. En quittant la Groupama-FDJ, j’avais atteint le niveau pour gagner des courses de Classe 1 ou Pro Series. Mon but était de le faire dans le WorldTour. Or, durant ces trois années difficiles, j’ai stagné voire régressé. J’ai gagné quelques courses mais je me sentais moins fort physiquement, et je n’ai pas atteint le niveau WorldTour dans les sprints. Pour moi, c’est alors un cycle qui s’est plus ou moins refermé, car voilà dix ans que j’essayais. Peut-être que ma maturité physique n’est pas loin d’être atteinte, mais mon souhait est de continuer à viser haut. J’ai pensé que ma place serait plus efficace auprès d’un jeune ou de quelqu’un de plus rapide, plutôt que de continuer à être têtu et vouloir décrocher cette victoire à tout prix.
Est-ce un signe de lucidité ?
Je pense qu’il y a une part de lucidité, et ça fait aussi partie de mon caractère. Je suis certes un sprinteur, mais je ne suis jamais le dernier à prendre du vent et à protéger les copains. J’aime ce rôle-là. Chez les jeunes ou en amateur, je n’ai jamais eu un rôle de leader sur une année complète. C’est le monde pro qui m’a naturellement un peu propulsé dans cette position, et ce n’est pas forcément ce que j’affectionne le plus. Je ne suis pas trop quelqu’un qui dirige, qui gueule. Je suis plutôt discret. Alors naturellement, en arrivant au bout de ce cycle, revenir à un rôle d’équipier me semblait adapté à ma mentalité. Pour moi, c’était logique, contrairement à certains sprinteurs qui font ça depuis qu’ils sont jeunes et ne se voient pas du tout se muer en équipier.
« L’équipe savait qui elle engageait »
Connaissais-tu les besoins de l’équipe, qui coïncidaient avec ton propre projet ?
Il y avait eu des discussions avant l’été, des renseignements. On m’avait demandé si je pouvais accepter ce rôle et faire une croix sur le fait d’être sprinteur. C’en était resté là, mais je savais que l’équipe voulait se renforcer autour de Paul. J’avais aussi appris la signature de Cyril Barthe, je pensais que ce rôle lui avait été octroyé et qu’ils ne cherchaient pas forcément d’autres personnes dans ce registre. C’est sur la fin que mon agent a été averti qu’il y avait éventuellement une place pour un poisson-pilote supplémentaire. L’équipe savait que je n’avais pas d’autres propositions concrètes. Ils connaissent mes qualités, mes défauts et savaient qui ils engageaient. À partir du moment où ils ont décidé en interne que c’était possible, il a suffi d’un coup de téléphone pour passer les tests et acter la signature.
Poisson-pilote n’est pas un rôle complètement inconnu pour toi…
C’est vrai que j’ai eu l’occasion de le faire un petit peu avec Arnaud et son train de l’époque, avant que Jacopo et Ramon n’arrivent. Quand j’étais stagiaire, j’y ai goûté, j’ai vu comment ça fonctionnait. Puis en 2016, quand Mickäel Delage a chuté à Hambourg, Arnaud s’est retrouvé sans poisson-pilote. Je l’ai accompagné sur la fin de saison pour être ce dernier relais et il m’a d’ailleurs emmené avec lui au championnat du monde. Ça avait plutôt bien fonctionné et ça m’avait vraiment plu, même si je découvrais le rôle et que je manquais sûrement de maturité et de force. On peut dire qu’il s’agit aujourd’hui d’un retour pour le perfectionner.
L’approche mentale et physique de ce rôle est-elle très différente ?
Forcément. Mentalement, c’est assez complexe à expliquer. Quand on est sprinteur, on a un peu le poids du résultat sur ses épaules. Le poisson-pilote doit soulager un peu la pression du sprinteur de ce point de vue, pour mener l’équipe. Il peut aussi faire office de capitaine de route pour que le sprinteur soit vraiment concentré sur son effort, sur les 200 derniers mètres. Si le sprinteur a une confiance aveugle dans son poisson-pilote, il gagne une énergie folle. Il a juste à regarder sa roue arrière sans avoir à penser à tout le reste. Au niveau de l’entraînement, on va aussi adapter les exercices. Avant, je travaillais davantage l’explosivité et la résistance sur un sprint. Désormais, je travaillerai des efforts un peu moins soutenus mais progressifs, qui doivent durer plus longtemps pour accompagner le sprinteur.
« Mon but est de devenir un excellent poisson-pilote »
Ton rôle sera-t-il aussi d’apporter de la sérénité dans l’approche des sprints ?
Ça fait aussi partie de mes responsabilités. Paul doit se sentir en sécurité, et en confiance. Il faut que les risques soient mesurés, et qu’il n’ait pas la crainte de tomber à chaque coup de frein, mais aussi qu’il n’ait pas non plus à me doubler et prendre des risques supplémentaires car il a peur de ne pas être assez bien placé. Il y a les deux facettes. C’est à moi de trouver le juste milieu pour être efficace sans prendre trop de risques. Quand le poisson-pilote prend des risques, il a le sort de celui qui est derrière entre ses mains. Quand je suis arrivé dans l’équipe, les anciens me disaient que j’étais un peu fou, que j’allais me calmer avec les années. Et c’est vrai. Plus on avance, plus on connaît le peloton, et mieux on comprend comment ça se passe. Au final, on prend un peu moins de risques pour la même efficacité.
Tu disais plus tôt que tu espérais encore atteindre ta maturité physique. Même dans un rôle différent ?
Le niveau ne se mesure pas en termes de résultat. Sur les trois dernières années, je n’ai pas forcément évolué, mais je ne pense pas avoir atteint ma maturité. Je pense que je suis dans la bonne équipe pour, dans un premier temps, retrouver mon meilleur niveau, puis pour encore progresser. Je n’ai pas choisi de faire poisson-pilote par défaut et pour me reposer sur mes lauriers. Je veux vraiment progresser et devenir incontournable dans ce rôle. Je pense que j’en ai les capacités, et d’autant plus si je les travaille spécifiquement à l’entraînement, ce que je faisais moins jusque-là. Mon but est de devenir un excellent poisson-pilote.
Tu as donc été recruté pour emmener Paul. Le connais-tu ?
Je l’ai rencontré sur les courses, j’ai vu comment il courait. C’est un petit gabarit, assez nerveux, déterminé, et qui a une bonne pointe de vitesse. Je ne le connaissais pas personnellement avant de signer dans l’équipe. On a pu partager le premier stage de décembre ensemble, on a appris à se connaître un peu plus, mais on a encore beaucoup à découvrir lui comme moi. Je pense qu’il est très content que j’aie rejoint l’équipe. Il m’a vu courir, il a confiance en mes qualités. C’est pour cela que la collaboration le satisfait également et qu’il avait hâte de commencer. On apprendra à se découvrir quand on commencera à courir ensemble. Je sais que c’est quelqu’un de très ambitieux et qui frotte beaucoup. Je pense pouvoir lui apporter de la sérénité dans l’approche du sprint. Il n’avait pas forcément un lanceur dédié jusque-là, et avec le calme que j’espère lui apporter, je pense qu’il pourra économiser beaucoup d’énergie. C’est ce qui peut faire la différence pour transformer les places d’honneurs qu’il a accumulées en victoires.
« J’ai hâte que Paul revienne, mais c’est l’occasion d’aller faire de bons sprints »
Paul fait partie de cette nouvelle vague arrivée dans l’équipe il y a un an. Comment as-tu justement retrouvé l’équipe trois ans plus tard ?
Il reste moins d’une dizaine de coureurs qui étaient dans l’effectif quand je suis parti. C’est un sacré changement, c’est vrai, mais le fait d’être avec des jeunes ne peut que nous booster et nous tirer vers les haut. Quand on est jeune, on est plein de naïveté et d’ambition. C’est stimulant. En dehors de ça, l’équipe est dans la continuité de ce que j’ai connu avant de partir. Il y a eu beaucoup de changements car ils ont continué à évoluer, mais c’est toujours la même équipe. C’est un peu plus international, mais ce qui est chouette, c’est que les étrangers se sont très bien adaptés, surtout ceux venant de la Conti. Ils parlent tous très bien français et ça crée cette atmosphère familiale.
Avec la blessure de Paul, tu vas retrouver quelques responsabilités. Y es-tu prêt ?
C’est plus simple de me remettre dans cette position en début de saison étant donné que je n’ai pas encore fait la transition, plutôt que de le faire après six mois en tant que poisson-pilote pour Paul. Je ne le prends pas comme une dernière chance, mais comme une opportunité d’aller chercher des résultats pour l’équipe. Personnellement, j’ai hâte que Paul revienne, mais je trouve qu’on a une bonne équipe, bien structurée et c’est l’occasion d’aller faire de bons sprints et de parfaire la condition. Je suis satisfait de pouvoir sprinter malgré tout. Ce n’est que temporaire, je ne me suis pas mis une pression particulière, mais naturellement, dès que j’arrive dans le final de courses, c’est pour gagner et faire du mieux possible. Quand on est sprinteur, le but est de battre les autres et je reste dans cette optique.
Ta préparation s’est-elle déroulée comme tu le souhaitais ?
J’ai vraiment bien travaillé cet hiver. C’est l’hiver le plus complet depuis trois ans. J’arrive vraiment avec un bon « fond de jambes » comme on dit. Je suis satisfait du travail qu’on a pu faire. Généralement, j’adore le début de saison et je m’y suis souvent présenté en bonne forme. Ça a été moins le cas ces trois dernières années, et j’ai à chaque fois eu l’impression de courir toute l’année après la condition. Je suis donc très content d’avoir pu faire un bon hiver et ça me met en confiance pour la suite.
Sais-tu quand tu retrouveras Paul ?
J’espère en avril, ou en mai. Ceci étant dit, pour avoir vécu des blessures, l’essentiel est surtout de ne pas vouloir revenir trop vite. Je pense qu’il doit vraiment prendre le temps de bien se reconstruire, revenir en forme, sans griller des étapes, pour faire une deuxième saison bien complète et ne pas avoir un niveau en dents de scie.
1 commentaire
Pancrassin Sébastien
Le 28 janvier 2024 à 10:01
Bonjour je suis très content de voir que marc est de retour avec l’equipe. cool