Les grands moments s’enchaînent pour Bruno Armirail. Au sortir d’un Giro mémorable, le rouleur occitan est déjà prêt à remettre le bleu de chauffe ce jeudi, lors du championnat de France du contre-la-montre. Déterminé à conserver son titre, le Haut-Pyrénéen de 29 ans revient également sur l’année écoulée en bleu-blanc-rouge et sur ses deux jours en rose avec bonheur, mais sans nostalgie. Il en profite pour révéler un peu plus de sa personne, et quelques secrets de fabrication.
Bruno, comment vas-tu un peu plus de trois semaines après le Giro ?
Ça va bien ! Je pense avoir bien récupéré du Giro. On récupère plus facilement quand on est en forme, et c’était le cas là-bas. Lors de la première semaine suivant le Giro, j’ai observé quatre jours de repos entrecoupés de petites sorties. J’ai ensuite repris l’entraînement normal, mais en mettant l’accent sur le chrono, notamment pour travailler la position. Je suis également parti 6-7 jours en altitude, chez moi, au Pic du Midi. J’avais le championnat de France du chrono en tête depuis un bon moment, donc je n’ai pas du tout relâché la pression depuis le Giro.
« Le Giro était super, mais la saison n’est pas finie »
Es-tu redescendu de ton petit nuage ou es-tu toujours dans l’euphorie du Giro ?
Je suis bien redescendu, même si en réalité, je ne suis jamais vraiment monté. Je suis toujours resté réaliste. C’était bien d’avoir le maillot, mais je savais aussi que je ne l’aurais pas gardé jusqu’au bout. En revanche, quand je suis rentré à la maison, j’ai un peu plus réalisé que lorsque j’étais sur place, de par le nombre de personnes qui m’ont félicité, suivi, de messages, d’appels. J’ai aussi reçu beaucoup de félicitations sur le Giro, mais j’étais plus concentré sur la course, sur le lendemain, et je n’ai pas regardé plus que ça. De retour ici, dès qu’on me voyait, on me félicitait. C’est vraiment là que j’ai compris ce que j’avais fait.
Penses-tu à cette aventure en rose tous les jours ?
Si on ne m’en parle pas, non. Je suis maintenant entièrement focalisé sur le championnat de France du chrono car il y a un titre à aller chercher. Ce qui est fait est fait, et il ne faut pas se reposer sur ses lauriers car j’ai porté le maillot rose. C’était certes super, mais la saison n’est pas finie. Il y a d’autres courses à disputer, et j’espère pouvoir participer à la Vuelta pour aller enfin chercher une victoire. Le maillot rose, c’était chouette, mais hormis le championnat de France l’an dernier, je n’ai encore jamais gagné. Je suis quelqu’un qui n’est jamais satisfait. Si j’avais eu le maillot rose trois jours au lieu de deux, j’aurais été déçu que ça ne soit pas quatre. Je regarde devant plutôt que derrière et je ne me contente pas de ce que j’ai réalisé. Je veux aller toujours plus loin, au plus loin qu’il m’est possible d’aller.
« La différence avant/après est flagrante »
As-tu néanmoins la sensation d’avoir profité pleinement de cette expérience ?
Oui, je crois. C’était évidemment très plaisant de voir le public m’encourager, alors que ce n’était pas forcément le cas avant. J’ai bien profité de ce moment-là, mais j’étais aussi très focalisé sur la course car je ne pouvais pas me relâcher. La première nuit, tout le monde m’a dit « essaie de bien dormir ». Eh bien j’ai réussi à bien dormir, car j’ai fait la part des choses et j’y ai très peu pensé. Je préférais passer une bonne nuit pour essayer de défendre le maillot le lendemain, que trop y penser et ne pas être en forme au réveil. C’est aussi pour cette raison que j’ai très peu regardé mon téléphone, et très peu répondu à certaines personnes.
As-tu constaté un avant et un après maillot rose ?
Très clairement. Je suis beaucoup plus demandé aujourd’hui, je reçois beaucoup plus de sollicitations, notamment chez moi. Il y a l’intérêt médiatique mais j’ai aussi quelques représentations officielles où j’emmène le maillot rose avec moi. Ce n’est pas déplaisant. Au contraire, c’est plutôt sympa pour un équipier comme moi. La différence avant/après est flagrante. Cela avait déjà été le cas l’an passé avec mon titre de champion de France, mais ce n’était pas de cette ampleur. Aujourd’hui, l’ampleur est dingue. C’est impressionnant.
Personnellement, es-tu ressorti avec plus de certitudes et d’assurance de ce Giro ?
Je suis ressorti avec plus de confiance, c’est sûr. Ma cinquième place sur le deuxième contre-la-montre m’a notamment mis en confiance, mais paradoxalement, si j’ai un regret sur le Giro, c’est peut-être bien sur cette étape-là. Je suis déçu d’avoir terminé à huit secondes de la gagne. Sur trente-cinq bornes, ce n’est rien du tout. Un mec comme moi qui finit à huit secondes d’Evenepoel, sept secondes de Thomas et quatre secondes de Stefan, ce n’est quand même pas anodin. Au-delà de ça, j’ai terminé aux portes du top-15 au général, j’ai défendu mon maillot rose face aux meilleurs. C’était un super Giro, mais n’ayant pas couru depuis, il est difficile de dire si ça a changé quelque chose dans mon approche. Il est trop tôt pour le savoir. Il est aussi plus simple d’avoir confiance quand la forme est là. Or, c’était le cas sur le Giro. J’ai en tout cas prouvé, comme sur la Vuelta 2020, que je pouvais être régulier à un bon niveau pendant trois semaines, et ça, ça donne confiance.
« Dans mon for intérieur, j’ai confiance en moi, mais je ne préfère pas l’exprimer »
En parlant de confiance… Tu sembles souvent insatisfait de tes sensations dans les interviews. Comment l’expliques-tu ?
C’est plus de l’exigence envers moi-même. Je sais que c’est parfois un défaut, alors que certains peuvent parfois être moins transparents sur leurs sensations. Mais ce n’est pas un manque de confiance. Je suis juste un éternel insatisfait. Parfois, je me sens bien, mais si je fais deuxième, je ne peux pas dire que les jambes étaient très bonnes. J’ai une haute exigence envers moi-même, et je ne suis pas non plus du genre à sauter au plafond. Je ne suis pas quelqu’un qui se met en avant, qui se vante. Dans mon for intérieur, j’ai confiance en moi, mais je ne préfère pas l’exprimer. Parfois, je sais que je peux largement jouer la victoire, mais je ne vais pas le dire.
As-tu déjà été très satisfait de tes « jambes » ?
J’ai déjà ressenti la journée parfaite, mais ça se compte sur les doigts d’une main. Il y a par exemple eu la dernière étape du Tour du Haut Var 2021, où j’étais échappé et où j’ai roulé toute la journée pour Valentin et Rudy. Mais c’est ce que je recherche, effectivement. J’aimerais être super bien tout le temps, mais même si je l’étais, je ne dirais pas que j’étais très bien. Je dirais que j’étais bien. Après le deuxième chrono du Giro, Remco a bien dit qu’il n’était pas au top, et pourtant il a gagné. C’est le caractère d’un champion. Je ne peux pas dire que j’étais top si je fais cinquième. Si je dis ça, alors je m’enterre. Si je dis ça, alors je n’ai plus cette vision d’aller plus loin, plus haut et d’aller chercher les petits détails qui vont me faire gagner. On peut toujours faire et espérer mieux.
L’an dernier, comment étaient tes sensations au championnat de France ?
Elles étaient bonnes (rires). Si j’avais gagné avec 1’30 d’avance, j’aurais peut-être répondu très bonnes. Bref, j’étais bien. J’ai du mal à dire que j’étais très bien. C’est difficile à dire, « j’étais très bien ».
« Je prie pour être le plus nul possible à l’échauffement »
Avant un contre-la-montre, as-tu des repères physiques, psychologiques, qui te font dire qu’une performance est possible ?
La veille, il faut que j’aie des sensations pourries. Quand je fais mon déblocage le matin, il faut que les sensations ne soient pas bonnes. Pendant l’échauffement, il faut que je sois dans le dur et que je ne sois pas bien du tout. Et là, je peux dire que je ferai normalement un chrono plutôt bon. C’est étrange, mais c’est comme ça. Si j’arrive à faire de bonnes puissances en faisant mes petits sprints lors de l’échauffement, je sais que je ferai un mauvais chrono… À chaque fois, je prie pour être le plus nul possible à l’échauffement (rires). Je suis bizarre, je sais.
Ce schéma s’est souvent vérifié ?
Très souvent. Par exemple, le jour de ma cinquième place sur le Giro : à l’échauffement, j’étais nul, mais alors vraiment très nul. J’ai même envoyé un message à David Han pendant l’échauffement pour lui dire que j’étais bien collé. Je n’étais vraiment pas confiant en partant ce jour-là, car je n’étais vraiment pas bien à l’échauffement. Il y a une petite part de mystère, mais je pense aussi que je me donne trop sur le home trainer quand je suis trop bien. On en a parlé ensemble avec Thibaut sur le Giro. Il me disait qu’il faisait aussi parfois de très bons échauffements, un bon déblocage, mais qu’il n’était pas bien sur le chrono derrière. Lors du dernier chrono, il m’a dit qu’il avait fait un échauffement léger, avec deux petits sprints, et qu’il était au final super bien. Parfois, on se donne trop sur le home trainer, inconsciemment. Quand je faisais du VTT plus jeune, je mettais tout sur home trainer pendant l’échauffement et j’étais nul en course. Quand je suis arrivé dans l’équipe, je m’échauffais d’ailleurs sur route pour les chronos, pour éviter de rouler à bloc.
Pendant un chrono, préfères-tu quelqu’un qui intervient beaucoup ou peu à l’oreillette ?
Je veux qu’on me parle beaucoup. La personne derrière moi, il faut qu’elle me pousse, il ne faut pas que je me relâche. C’est souvent David Han, mais quand ce sont des directeurs sportifs qui me suivent, ils savent qu’il faut beaucoup m’encourager. Je veux aussi les vrais temps aux intermédiaires, ils le savent. Ils savent aussi qu’on regarde souvent les temps plus tard. Si on nous a édulcoré la réalité, on peut refaire confiance la deuxième fois, mais si ça reproduit, on doutera la fois suivante. Je préfère qu’il soit franc et avoir le temps réel. Si je ne suis pas bien du tout et que je suis trentième, quarantième, je préfère qu’on me le dise pour finir tranquille. Ça ne sert à rien que je m’emploie à fond pour terminer quarantième.
« C’était une fierté de porter le maillot bleu-blanc-rouge »
On se pose beaucoup de questions sur l’approche mentale du contre-la-montre. Est-ce qu’on regarde vraiment la liste des adversaires ? Est-ce qu’on préfère partir avant ou après un autre favori ? Est-ce qu’avoir des temps de référence faits par des coéquipiers sert à quelque chose ? Qu’en dis-tu ?
Ça dépend. C’est bien d’avoir quelques temps de référence. C’est forcément mieux de partir après, mais si on est à bloc, on est à bloc. Ce n’est pas parce qu’on part derrière un rival qu’on va gagner. On peut avoir toutes les références du monde, si on n’a pas de bonnes jambes, on n’ira pas gagner. Quant aux coéquipiers… Si c’est Stefan Küng et que j’ai ses temps intermédiaires, c’est utile. Et si je suis devant lui, comme sur le Giro où il partait une minute après moi, ça motive forcément. Si c’est un gars qui le fait tranquille ou qui n’est pas spécialiste, et que je suis dans ses temps ou à peine devant, je me dis que je suis à la rue. Concernant le parcours, je le repère toujours moi-même. Un équipier peut toujours me donner 2-3 conseils, sur une barrière qui a été installée, une plaque d’égout, un virage mouillé, mais en règle générale, je me mets dans ma bulle pour mon chrono.
Tu t’apprêtes donc à remettre ton maillot en jeu. Comment as-tu vécu cette année en bleu-blanc-rouge ?
C’est passé vite, mais j’ai quand même eu la chance de faire la Vuelta et le Giro avec. C’était vraiment top. J’ai aussi fait d’autres chronos, en Pologne, à Bessèges… Ça donne une petite motivation supplémentaire, mais comme je l’ai déjà dit, que ce soit avec le maillot bleu-blanc-rouge ou le maillot de l’équipe, je donne le maximum à chaque fois que je prends le départ d’un chrono. C’était en tout cas une fierté de le porter, et il est d’autant plus beau dans cette équipe car il n’y a pas de sponsors. C’est comme être habillé du drapeau. C’était une belle expérience, mais j’espère qu’elle continuera douze mois de plus.
Es-tu content de la manière dont tu as représenté ce maillot ?
Globalement, je suis assez satisfait. Parfois, il y a évidemment des critiques sur les réseaux sociaux, ça fait grincer des dents, mais on passe au-dessus. De toute façon, ce ne sont pas eux qui ont le maillot, c’est moi. Et pour l’avoir, il faut être bon le jour J. La seule déception, c’est cette cinquième place sur le Giro. Gagner un contre-la-montre sur un Grand Tour avec le maillot bleu-blanc-rouge, ça aurait pu être la cerise sur le gâteau.
« Maintenant, il n’y a que premier qui compte »
Tu te vois rendre le maillot jeudi soir ?
Absolument pas. En plus, moi j’ai déjà la tenue. Les autres équipes n’ont pas besoin de la commander. J’ai déjà le maillot dans la valise, je peux le conserver jeudi soir, et de cette manière, ils n’auront pas besoin de dépenser de l’argent pour fabriquer un maillot pour leur coureur (sourires). Ne vous tracassez pas, laissez-le-moi. Ça fait une économie de budget, et puis il faut aussi penser à la planète. Fabriquer un maillot, ça fait tourner les usines (sourires).
Tout autre résultat que la première place serait une déception ?
S’il y a déception ou échec, il faudra de toute façon passer outre. Et s’il m’arrive ensuite de disputer un chrono contre le nouveau champion de France, ça me donnera encore plus envie de le battre. Si je ne suis pas champion de France, ce sera une grosse déception car je ne peux plus me contenter d’une deuxième ou d’une troisième place. J’ai fait troisième, j’ai fait deuxième et j’ai fait premier. Maintenant, il n’y a que premier qui compte.
En 2021, à une question sur la fierté que tu tirais de ta carrière, tu disais : « Ce que j’ai fait jusque-là est correct, et je suis content de mon début de carrière, mais je n’ai encore rien gagné ». Deux ans plus tard, es-tu fier ?
Pas encore. Comme je l’ai dit précédemment, je ne me contente pas de ce je fais actuellement, je veux aller toujours plus loin. Je pense que je ne serai jamais satisfait, ou peut-être à la fin de ma carrière. Pour l’instant non. L’objectif reste de gagner des chronos, de gagner des courses, d’accompagner encore plus loin mes leaders. Je ne suis pas satisfait, et heureusement que je ne me contente pas de ce que je fais, sinon je ne pourrais pas progresser. Je ne veux pas stagner. Ce que j’ai fait est bien, mais il faut essayer d’aller plus loin et de faire toujours mieux.
1 commentaire
Pichon pascal
Le 22 juin 2023 à 11:03
Bravos 👏 Bruno félicitations pour ton début de saisons avec de bons moments et résultats et évidemment pourquoi pas le maillot tricolore une nouvelle fois 🤞💪🍀🐞ou un coureur de l’équipe Groupama-FDJ, bien sûr je préfère vue que je suis supporter depuis le Poitou.