Ce moment, il l’attendait depuis très longtemps. Alors, au moment de lever les bras à Val-Revermont ce mardi, Jake Stewart a simplement fondu en larmes. À 22 ans, le puncheur-sprinteur britannique a profité de la première étape du Tour de l’Ain, légèrement accidentée, pour faire parler sa polyvalence et régler sur le fil un peloton réduit. Auteur de son premier succès chez les professionnels, il est aussi le deuxième coureur de l’histoire à s’imposer dans une course internationale avec l’Équipe cycliste Groupama-FDJ après être passé par la « Conti ». Il a naturellement enfilé le maillot jaune, mais deux actes montagneux se profilent désormais.
« On est venus ici avec un plan. On se disait depuis un moment que la première étape du Tour de l’Ain était parfaite pour moi, donc tout le monde était super motivé ». Jake Stewart savait qu’une occasion rêvée lui était offerte ce mardi à travers les 152 kilomètres reliant Châtillon-sur-Chalaronne et Val-Revermont. Après un début d’étape très plat, le final quelque peu bosselé pouvait avantager le jeune Anglais. Oui, mais. « Le souci, c’est qu’il n’y avait pas de grosses équipes de sprinteurs, donc la responsabilité de la course pouvait rapidement nous revenir, indiquait Franck Pineau. Or, on ne peut pas tout assumer à six. Il y avait quelques autres sprinteurs, mais on ne pouvait pas se permettre de laisser partir un gros coup devant. Franchement, on a bien manœuvré ». Après une petite dizaine de kilomètres, c’est un trio composé de Tim Wellens (Lotto-Soudal), Stefan Bissegger (EF Education-EasyPost) et Mattis Lebeau (Nice Métropole Côte d’Azur) qui s’est fait la belle. « Il est clair qu’avec des gars comme ça en tête, il ne fallait pas laisser 5-6 minutes, ajoutait Franck. On a mis Clément à rouler, et il a fait un gros travail comme il sait le faire. Il a pris des watts avec le Giro. Il n’avait pas couru depuis le championnat de France, c’était sa reprise, mais il a tout de suite été dans l’allure, preuve qu’il a bien travaillé ». L’écart n’a ainsi pas dépassé la barre des quatre minutes, et le rouleur mayennais a également reçu le soutien de deux autres formations dans un premier temps. À cinquante kilomètres du terme, alors que le terrain se durcissait légèrement, l’avantage de l’échappée n’était plus que de deux minutes. Une différence ramenée à tout juste une minute à trente-cinq kilomètres du but, au premier passage sur la ligne et au moment d’aborder l’une des deux côtes du final.
« Ça représente tellement », Jake Stewart
« Fabian, dont le rôle était d’accompagner Jake dans le final, a crevé à un très mauvais moment et n’a jamais pu rentrer dans le peloton, précisait Franck. On n’était plus que quatre, avec nos trois grimpeurs qui se sont parfaitement occupés de Jake. En bon capitaine de route, Rudy a su s’investir et donner son impulsion. C’était du bel ouvrage. On avait également dit à Lars qu’il fallait absolument qu’il suive si ça bougeait. On était obligé d’en mettre un devant car il y avait quand même du lourd en face. Lars marchait très fort, et il a fait un gros boulot aujourd’hui ». Dans cette boucle autour de Val-Revermont, la course a été extrêmement décousue, mais aucune tentative n’a débouché sur un écart réellement conséquent. Lars van den Berg a un moment intégré une échappée de huit hommes, mais tout est revenu dans l’ordre à douze kilomètres de la ligne, au pied de la décisive côte de Plain Champ (1,5 km à 4,4%). À cet instant, la Quick-Step Alpha-Vinyl a tenté de mettre en orbite Julian Alaphilippe, sans véritable succès. Au sommet, Rudy Molard, Sébastien Reichenbach et … Jake Stewart passaient dans les dix premières positions. « On avait dit à Jake qu’il fallait absolument qu’il soit dans les vingt premiers dans les difficultés, au risque de se prendre les cassures, et il a été impérial, soulignait Franck. Il était toujours là, placé, autour de la dixième place. S’il est capable de faire ça, c’est qu’il marche. Ce n’est certes pas un pur sprinteur, mais il fallait quand même bien être là au sommet des bosses ». « Les mecs étaient très forts et ont suivi les coups dans la dernière boucle, donc j’ai pu rester dans les roues et passer l’ultime montée, expliquait quant à lui le Britannique. Il fallait juste que je sois patient, que je garde de l’énergie, que je me protège du vent et parier sur un regroupement dans le final ». D’autres attaques n’ont pas manqué de faire irruption, mais les équipes intéressées par un sprint ont repris la main dans les quatre derniers kilomètres.
Tout laissait présager un emballage, mais Rémi Cavagna a tenté de prendre à défaut les sprinteurs en sortant au kilomètre. « Rudy et Seb ont fait un beau boulot à l’approche du dernier kilomètre puis Lars était là dans le dernier kilomètre, et il était très fort, assurait Jake. Quand Cavagna était devant à 600-700 mètres, j’ai dit à Lars d’y aller car ça devenait dangereux. Il a lancé de loin, il a repris du terrain à Cavagna puis un mec d’Auber est revenu à ma hauteur. J’ai lancé mon sprint à ce moment-là. Je connais mes qualités, je sais que je peux faire des sprints longs, ça ne me faisait pas peur. Et finalement, ça a payé sur la ligne ». À l’arrivée justement, l’Anglais a aussi pu compter sur son jeter de vélo pour ravir la victoire à Romain Cardis, sur sa gauche. Mais surtout, il s’est ainsi octroyé le tout premier succès de sa jeune carrière, débutée en janvier 2019 au sein de la Conti, et poursuivie depuis octobre 2020 avec la WorldTeam. « Je suis heureux de cette première victoire professionnelle, je courais après depuis si longtemps, ça représente tellement, confiait Jake en séchant ses larmes. Je veux remercier tous ceux qui m’ont aidé pendant toutes ces années : la Groupama-FDJ, ceux qui m’ont accompagné chez les Juniors, ma famille, ma copine Georgia. Tout le monde a fait beaucoup de sacrifices pour que j’en arrive là. Réussir à enfin obtenir cette victoire, c’est un gros poids en moins sur mes épaules. Aujourd’hui, l’équipe a fait un travail incroyable. Chacun connaissait son rôle, chacun a tenu son rang. Je suis tellement reconnaissant envers toutes les personnes de l’équipe aujourd’hui. L’équipe a aussi fait beaucoup en début d’année, quand j’étais malade, pour que je récupère. C’est émouvant pour moi. Cette victoire est pour toutes les personnes qui m’ont soutenu tout au long de mon parcours, à commencer par ma famille et Georgia qui ont été là à toutes les étapes. C’est extraordinaire ».
« Une victoire d’équipe, à toutes les échelles », Franck Pineau
Déjà présent aux côtés de Jake Stewart lorsque celui-ci avait frôlé la victoire en août 2020 sur le Tour du Limousin, Franck Pineau mesurait également le chemin parcouru par le jeune Anglais, de retour au plus haut-niveau après avoir été touché par la maladie de Crohn cet hiver. « Ta première victoire chez les pros, ça marque, ça a une saveur particulière, insistait Franck. C’est d’autant plus le cas pour lui car en début d’année, on ne savait pas ce que sa situation allait donner. Je pense que ça lui fait vraiment, vraiment plaisir. On sent aussi que tout le monde est content pour lui. C’est un jour particulier. On aime toutes les victoires, mais quand on sait par où Jake est passé, ça fait vraiment plaisir. On a aussi une pensée pour le staff médical autour de Jacky Maillot qui a fait du gros boulot. C’est vraiment une victoire d’équipe aujourd’hui, à toutes les échelles, car je retiens aussi que le groupe a été sensationnel ». Un groupe qui repartira avec le maillot jaune demain, en direction de Lagnieu, pour la première étape de montagne de ce Tour de l’Ain 2022 d’ores et déjà réussi.
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