Un nouveau monde s’est ouvert pour Clément Braz Afonso cet hiver. Celui du WorldTour. En rejoignant l’Équipe cycliste Groupama-FDJ, le jeune puncheur de 25 ans a atteint l’élite du cyclisme, et s’en délecte depuis déjà plusieurs semaines, « les yeux grands ouverts ». Il a accepté de nous raconter son expérience tout au long de l’année à travers un Carnet de Route, dont voici le premier épisode.
Ma première sortie avec le maillot Groupama-FDJ était prévue sur le Grand Prix La Marseillaise, mais c’est en Espagne que ma saison a débuté, sur le Grand Prix de Valence. C’est arrivé un peu comme un cheveu sur la soupe car j’ai remplacé Clément Russo, malade, mais j’étais ravi de terminer le stage de Calpe avec une course et d’attaquer la saison ! J’étais aussi excité à l’idée de découvrir mes coéquipiers en course. Je crois que le caractère d’un coureur sur le vélo peut être bien différent de sa personnalité dans la vie de tous les jours. J’avais tout de suite envie de bien faire, de satisfaire l’équipe et de montrer ma valeur. C’est clairement mon leitmotiv sur ce début de saison. Yvon Caër m’avait donné carte blanche, mais il m’en a manqué un peu sur le haut de la dernière montée pour accompagner le groupe qui s’est joué la cinquième place. J’explose à quatre-cents mètres du sommet, je bascule tout seul puis je me fais rattraper par un autre groupe. J’ai terminé premier de l’équipe (22e, ndlr), mais je m’en fichais un peu. Ce qui primait à l’arrivée, c’était la déception d’avoir manqué le bon coup de peu, même si je restais satisfait des sensations.
« Courir avec un maillot WorldTour, ça n’a absolument rien à voir »
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J’ai observé une petite récupération avant Le Grand Prix La Marseillaise, où on s’est présenté avec le vainqueur sortant, Kevin. On m’avait demandé de l’accompagner, puis c’était à lui de me « driver » en course et de me dire s’il voulait tenter quelque chose dans la route des Crêtes. C’est ce qu’il s’est passé. Grâce aux mecs, on est arrivés en tête dans la bosse et il m’a dit « tu peux mettre en route ». Je me suis régalé à dicter l’allure au pied et donner le maximum pour Kevin. Quand je me suis écarté à la mi-pente, c’était un peu un « chantier ».
J’ai pris trente secondes pour récupérer, puis j’ai essayé de basculer à l’arrière du groupe pour continuer d’aider Kevin. On était un peu obligés d’assumer la poursuite derrière cinq échappés, donc j’ai essayé de maintenir au mieux l’écart sur le plateau de la Route des Crêtes, dans la descente, puis sur le début du col de la Gineste. J’ai réussi à me dépasser et j’ai pris un vrai plaisir à jouer ce rôle dans le final. Je pense avoir eu le mérite de permettre au peloton de rester à distance raisonnable pour qu’il ait une chance de rentrer dans le final. Malheureusement Kevin n’a pas réussi à se placer idéalement dans le sprint. Le résultat était anecdotique, mais je crois qu’on avait montré un beau visage collectivement sur cette course.
C’était une course solide pour moi, et ça m’a aussi permis de constater que j’avais franchi un cap. J’ai réalisé le même temps que l’an passé dans la Route des Crêtes, mais j’ai produit 20-25 watts de plus car j’ai mené tout le pied avec le vent de face. Je me suis aussi rendu compte que courir avec un maillot WorldTour ou un maillot d’équipe continentale, ça n’a absolument rien à voir. On est mieux positionné tout le temps, on n’a pas besoin de frotter à l’arrière du peloton pour trouver une place. C’est de l’énergie sauvée, qui permet d’être un peu plus frais dans le final. J’ai un peu plus réalisé mon passage dans le WorldTour avec ce paramètre. Enfin, bien que La Marseillaise soit une belle course, j’en garde un mauvais souvenir avec la chute terrible de l’un de mes ex-coéquipiers, Yaël Joalland, dans la descente de la route des Crêtes en 2024. Il s’avère que deux coureurs sont tombés au même endroit cette année et qu’un coureur s’est encore gravement blessé.
« J’avais secrètement envie d’aller à Oman »
Je suis sorti de La Marseillaise confiant sur mon état de forme. Normalement, je devais enchaîner avec le Tour de la Provence puis O Gran Camiño, mais je savais aussi que j’étais premier remplaçant pour le Tour d’Oman. Pour l’anecdote, on m’avait demandé début janvier si j’avais un passeport, car il était nécessaire ne serait-ce que pour m’inscrire en tant que remplaçant. Or mon passeport avait expiré depuis 2020. Du fait de mes études, je n’ai pas vraiment voyagé hors d’Europe depuis, et je n’avais pas vraiment eu la nécessité de le renouveler. Dans le cas présent, ça aurait pu me porter préjudice. L’équipe a même un temps changé de premier remplaçant au cas où… Au début, je pensais demander un passeport d’urgence d’un an, mais les pays des Émirats ne les acceptent pas. J’ai donc dû faire une demande classique, appuyée par une lettre de l’équipe. On m’a alors dit que ça prendrait à peu près deux semaines. Je l’ai fait avant de partir pour le stage en janvier, et trois jours plus tard, j’ai reçu un message m’informant qu’il était prêt. J’étais stupéfait de la rapidité.
En fait, depuis les entretiens de Calpe en décembre, j’avais secrètement envie d’aller à Oman. J’aimerais aussi profiter de cette première année pour découvrir des épreuves à l’étranger car j’ai fait beaucoup de courses en France pendant mes années en continentale. Or, le lendemain de La Marseillaise, mon entraîneur m’a appelé et m’a dit que je pouvais me préparer à partir car il y avait des malades. J’ai quand même eu un petit sourire en coin, même si j’étais déçu pour Oscar Nilsson-Julien qui aurait sans doute voulu vivre ça. J’étais en tout cas super content d’y aller, non seulement pour être avec David qui visait un gros résultat, mais aussi pour apprendre à courir avec d’autres coureurs de l’équipe. Et puis, même si ce n’est pas les vacances, c’était aussi l’opportunité de découvrir une nouvelle culture, un nouveau pays, et je suis vraiment friand de ça. L’unique problème est qu’il a fallu rapatrier en urgence mes vélos qui étaient dans le sud. C’était un petit micmac logistique mais tout est rentré dans l’ordre. Je suis parti mardi midi pour rejoindre Paris, puis direction Oman. Tout est allé très vite.
« J’ai profité du spectacle de mes propres yeux »
À Oman, j’ai découvert une côte en pleine expansion avec des constructions qui fleurissent partout. Il n’existe pas vraiment de centre-ville ou de « vieille ville » là-bas. Tout est neuf, récent, et ils sont friands de grandes réalisations architecturales : les palais, les musées… Mais ce que je trouvais le plus beau dans l’Est du pays, où on se trouvait, c’est cette chaîne de montagnes assez impressionnante avec des sommets à plus de 3000 mètres ! Ce sont des montagnes sans un seul arbre. Ce n’est que du caillou. Je crois qu’on trouve aussi des canyons. Certains auraient pu penser que ce n’était que du sable à Oman, mais non ! Il y a aussi beaucoup de roche. J’aurais également été ravi de découvrir le sud du pays. Il y pleut pendant trois mois de l’année non-stop. Il y a des oasis, c’est beaucoup plus vert et tropical. D’ailleurs, une course de classe 2 y a lieu en fin d’année, le Tour de Salalah. Sinon, il y a très peu de petites routes là-bas. Ce ne sont quasiment que des « autoroutes ». C’est assez impressionnant. Notre première sortie, c’était sur une « trois voies » avec les camions qui nous frôlaient. En course aussi, on a surtout évolué sur des grandes routes.
On savait que David était en forme en arrivant à Oman. Il nous l’avait dit lui-même. Moi, je suis arrivé comme une fleur. Je suis nouveau, je n’étais pas prévu, mais j’avais l’envie de bien faire. Je craignais seulement un peu la chaleur. Les autres mecs avaient eu un procédé d’acclimatation chez eux pour mieux la supporter. Moi non, naturellement. J’ai un peu subi sur la Muscat Classic à cause de ça. Je n’étais pas au niveau que j’attendais, mais je savais qu’il me suffisait d’une journée pour me mettre en jambes. Dès que le Tour d’Oman a commencé, on était concentrés et on savait que David pouvait faire un bon général.
Le jour de sa victoire, sur la troisième étape, j’ai pris un plaisir fou. On avait défini des échelons pour le propulser au mieux, et tout le monde a fait sa part du travail. De mon côté, j’ai tiré mon petit bout droit jusqu’à 1200 mètres, je me suis écarté, puis David a attaqué à la borne et j’ai profité du spectacle de mes propres yeux. C’était assez incroyable. Je voyais ses attaques en direct car je n’étais pas très loin derrière. Je voyais qu’il leur faisait mal. À l’oreillette, je lui disais « allez David, ça pète, continue, continue ! » J’ai essayé d’être ses yeux depuis l’arrière. J’ai été témoin de ses deux premières attaques, puis je l’ai perdu de vue.
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« Voir un coéquipier gagner, ça me transcende »
Pendant 700 mètres j’étais dans le flou et à 200 mètres de la ligne, je l’ai vu au loin, couché contre la barrière, le poing levé, et j’ai commencé à faire éclater ma joie. Je suis arrivé, on s’est tapés dans la main, on a célébré. Ce sont des moments assez incroyables lorsqu’on peut partager la victoire d’un coéquipier, qui plus est quand on a été partie prenante de cette victoire. C’est gratifiant, et ça l’était pour tout le monde ce jour-là, car chacun avait apporté sa pierre à l’édifice. J’ai beau avoir 25 ans, je suis quelqu’un d’encore jeune dans le vélo, et des moments comme ceux-là, j’en ai vécu quelques-uns, mais ce n’est absolument pas la normalité pour moi. Voir un coéquipier gagner, ça me transcende, je vis vraiment sa joie par procuration. C’est en tout cas un nouveau rôle qui s’offre à moi, car ces quatre dernières années, c’était sur moi qu’on comptait lorsqu’il y avait des arrivées au sommet. C’est moi qui devais donner le maximum jusqu’à l’arrivée. À Oman, j’étais plus libéré. On me demandait de déposer David au mieux, et mon résultat, on s’en foutait.
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Je pense avoir réussi à me fondre dans l’effectif. On s’intègre d’une certaine manière durant les stages de présaison, mais l’intégration en course, c’est bien aussi ! Pour l’anecdote, lors du débriefing final, Tom [Donnenwirth] et moi-même avons remercié les autres gars car on a vraiment eu la sensation d’être déjà bien accueillis dans l’équipe. C’était important pour nous de le signifier. Thierry Bricaud a aussi dit quelque chose qui m’a marqué : « vous avez beau être des néo-pros, on ne vous considère pas en tant que tels, mais comme des coureurs à part entière avec vos qualités. Il n’y aucune distinction ». De manière générale, je pense que j’ai été à la hauteur de ce que j’espérais et j’étais satisfait du travail que j’ai accompli pour David et les collègues. Je suis juste un peu déçu de la façon dont s’est déroulée la dernière étape. Je suis tombé au pied de Green Mountain avec Rudy, ma chaîne s’est bloquée, et le temps de changer de vélo, c’était fini… J’aurais aimé accompagner David le plus loin possible et voir ce que j’aurais pu donner dans cette montée.
« Si j’ai ma chance, je la saisirai »
O Gran Camino est mon prochain rendez-vous. Il n’y a que trois équipes WorldTour au départ, mais il ne faut rien prendre à la légère. J’aurai peut-être un rôle un peu plus libre mais on aura aussi Rémy Rochas, en provenance du Tour de l’Algarve. S’il est très en forme et qu’il faut bosser pour lui, je le ferai avec plaisir comme je l’ai fait avec David. Si j’ai ma chance, je la saisirai aussi. C’est aussi quelque chose que je veux essayer d’entretenir. À Oman, on m’a demandé de faire le boulot et de m’écarter, mais je sais qu’il y a potentiellement un moment dans la saison où on me demandera d’aller faire un résultat. J’essaie de garder ça à l’esprit, et de pousser mon effort jusqu’à la ligne quand je le peux. Sur certaines courses, il est intéressant de se relever pour la récupération, mais parfois, ça peut aussi valoir la peine de continuer à forcer jusqu’à la ligne. Après O Gran Camino, j’aurai deux semaines à la maison, puis le menu sera assez copieux avec le Tour de Catalogne puis le Tour du Pays Basque. Mes deux premières courses WorldTour. Ça va être sport. On en parlera dans le prochain épisode.