« Il faut que la nutrition reste un plaisir »
Depuis cet hiver, l’Équipe cycliste Groupama-FDJ a concrétisé la mise en place de son pôle nutrition, au sein-même du pôle médical dirigé par le Docteur Jacky Maillot. Matérialisé par l’arrivée de Lucas Papillon en tant que nutritionniste et de Mickaël Bougault en tant que chef cuisinier, ce nouveau maillage atteste d’une volonté d’élargir son expertise dans le domaine de l’alimentation du coureur cycliste. Afin de présenter ce pôle et ses divers champs d’action, nous avons laissé la parole aux trois intéressés.
Le pôle nutrition, une suite logique
« Jusque là, le département nutrition n’avait pas une identité aussi marquée, mais cela fait longtemps que nous développons ce domaine au sein de l’équipe, introduit Jacky Maillot. Auparavant, on s’occupait surtout du rôle énergétique des aliments. Avec les données scientifiques désormais disponibles, on constate que la nutrition a un rôle beaucoup plus important et beaucoup plus large que ce simple aspect. Elle influe aussi grandement sur l’immunité, qui peut être mise à mal par un sport d’endurance prolongée comme le cyclisme, mais aussi sur la flore intestinale ou sur la gestion du stress oxydatif. Nous avons réalisé des travaux avec l’université de Besançon et il est aussi avéré que l’alimentation peut générer certaines maladies telle que l’asthme chez le coureur cycliste. Nous travaillions déjà depuis très longtemps avec Denis Riché, un micro-nutritionniste. Par l’intermédiaire de questionnaires, de prises de sang et d’analyses, nous vérifions ainsi comment les aliments sont assimilés par nos athlètes. En fonction de ça, nous adaptons la nutrition à leurs besoins, qui sont naturellement très différents de ceux d’une personne lambda, que ce soit en termes de micro ou macro-nutriments. Nous souhaitions développer des outils pour approfondir tout cela et encadrer chacun de la manière la plus précise possible. C’est pourquoi nous avons étoffé notre pôle ».
« C’était aussi une demande de beaucoup de coureurs, explique Lucas Papillon. Ils souhaitaient être encore davantage accompagnés et avoir plus d’outils pour mieux manger et mieux optimiser cette sphère de leur performance. Le domaine de la nutrition est sans arrêt en progression. L’optique était donc de creuser la macro-nutrition, qui était un aspect de la performance peut être légèrement moins développé que d’autres, comme le matériel par exemple, au sein de l’équipe ». « Avec la création de ce pôle, le travail est plus complet et s’inscrit davantage dans un suivi et un accompagnement, indique Mickaël Bougault. Désormais, mon travail débute bien en amont des courses. À titre d’exemple, je suis actuellement en train de préparer les menus pour les Ardennaises et de solliciter les hôtels par rapport aux produits souhaités. Il aurait été difficile de faire ça par le passé. Nous sommes maintenant en mesure d’avoir un procédé encore plus pointu ».
Un accompagnement constant, et personnalisé
« Nous avons pensé pertinent de reprendre les bases de la nourriture des coureurs à la maison, expose Lucas. Aussi bon soit l’accompagnement sur les courses, s’ils n’ont pas de bonnes habitudes et les bonnes façons de faire chez eux, on peut très vite les perdre et les retrouver avec des carences. J’ai ainsi tenu à m’entretenir avec chacun des coureurs pour me familiariser avec leur nutrition car elle diffère aussi énormément selon le pays et la culture. Il n’y a d’ailleurs pas une nutrition parfaite qu’il faudrait imposer à tout le monde. Le but est plutôt d’optimiser chacune d’elles. Une fois la phase de bilan terminée et les points d’amélioration détectés, j’ai pu leur renvoyer les plans nutritionnels adaptés. Je leur préconise ainsi les bonnes quantités, les bons aliments selon les jours, les entraînements, leur donner des astuces, par exemple sur l’eau à privilégier. C’était une démarche importante à réaliser, car bien que nous ayons un suivi micro-nutritionnel, il est toujours préférable de prévenir que de guérir ».
« Pour accompagner nos jeunes comme nos plus anciens, nous créons aussi des supports de recettes sous forme de fiches ou vidéos, complète Jacky. Pour les jeunes de la Conti, nous mettons aussi en place des cours. Un coureur est plus de 200 jours à la maison, il faut donc que la nutrition soit adaptée. Il ne faut pas uniquement privilégier celle en course. C’est d’autant plus important pour les jeunes qui quittent tout juste le domicile familial et qui ne savent pas forcément cuisiner. Il faut repartir des bases, et nous les accompagnons par le biais de recettes sur notre plateforme qui concernent tous les repas, y compris la collation. Ce sont des moments à privilégier et nous essayons d’enseigner et de répéter des notions pédagogiques. Il est plus facile d’enseigner de bonnes habitudes que de perdre des mauvaises, et on sait que le cyclisme a ses traditions. On essaie donc de faire passer le message aux jeunes afin qu’ils apprennent bien leur métier ». « Très souvent après les repas en course, reprend Mickaël, les coureurs me demandent la recette afin de la reproduire à la maison. Auquel cas, je la filme puis leur envoie. Quand ils ont besoin d’un petit renseignement, ils n’hésitent pas à m’envoyer un petit message. Parfois, quand ils essaient un plat mais que la finalité n’est pas celle espérée, ils cherchent à savoir où l’erreur a été commise. Car manger, c’est un vrai plaisir pour eux ».
Qualité et plaisir dans l’assiette
« La nutrition et l’alimentation doivent être un plaisir, et non pas une contrainte, insiste Jacky Maillot. On essaie toujours de trouver l’équilibre plaisir-nécessité. Pour bien manger, il faut aussi que l’assiette fasse plaisir, et donne envie. On sait que c’est important. On essaie aussi d’optimiser les apports sains et qualitatifs. Par exemple, avec Groupama nous avons lancé l’opération #MusetteGroupama, qui permet aux sociétaires agriculteurs de devenir, le temps d’une course, les fournisseurs en fruits et légumes de l’Équipe. Concrètement, sur Paris-Nice, nous avons eu une livraison de leur part, et nous avons pu nous en servir toute la semaine. Cela nous permet d’opérer en circuit court et d’avoir, autant que faire se peut, des aliments bios. Aujourd’hui, nous avons la chance de compter parmi nous un chef cuisinier très compétent en la personne de Mickaël, qui a des références dans des restaurants étoilés et qui exploite pleinement le potentiel de ces aliments de qualité. Il sait composer un beau plat avec de bons nutriments. Quand on voit les plats qu’il réalise, c’est presque de la gastronomie ! Il est par ailleurs associé à Vanessa Cossard qui a une expérience de longue date en tant qu’assistante sportive. Elle connait les besoins et les habitudes des coureurs, et a aussi effectué une formation professionnelle pour devenir cuisinière. »
« La première des choses, c’est de faire manger les coureurs, insiste Mickaël. Il faut donc les appâter avec le côté visuel, la présentation. C’est aussi notre travail. On cuisine certes pour des athlètes, mais on reste cuisinier ! En fin de compte, on allie le plaisir personnel de son métier aux besoins du coureur. On prend évidemment en compte leurs goûts, et on essaie aussi d’éviter une monotonie sur les plats proposés. L’année dernière, sur chacun des trois Grands Tours, nous n’avons jamais proposé une entrée, un plat et un dessert similaires lors des trois semaines. Les coureurs sont également assez gastronomes et ils aiment la surprise. Pour eux, passer à table est aussi le moment plaisir de la journée – avec le massage peut-être -. Il y a également beaucoup de jeunes qui n’ont pas le palais très aguerri. Cela leur permet parfois de goûter quelque chose qu’ils n’avaient jamais testé auparavant, et d’éventuellement reproduire ça à la maison. Grâce à l’opération #MusetteGroupama et les sociétaires Groupama, nous pouvons aussi cuisiner des légumes locaux, donc de saison, ce qui permet d’apporter des menus diversifiés tout au long de l’année. Cette volonté de travailler avec des produits biologiques de qualité est entrée dans l’ADN de l’équipe. Les coureurs sont aussi très intéressés par cet aspect et posent souvent des questions quand ils reçoivent l’assiette finie. On reçoit beaucoup de remerciements à la fin des courses. Pour eux, c’est aussi devenu un petit luxe ».
Recettes à trois têtes
« Lucas nous envoie généralement une trame en indiquant ce que l’on doit prendre en compte pour le petit-déjeuner, pour les collations ainsi que pour les divers menus, explique Mickaël. Ensuite, on compose avec les produits disponibles sur la course ». « C’est un travail très complémentaire, poursuit Jacky. On donne à Mickaël un cahier des charges puis lui va créer avec son imagination des plats tout à fait adaptés ». « On a de la chance d’avoir des cuisiniers très talentueux et qui ont tout à fait compris les besoins des coureurs, ajoute Lucas. L’idée est plutôt de pouvoir peaufiner quelques recettes pour les optimiser d’un point de vue nutritionnel, et absolument pas de les brider. Ils disposent simplement du listing des aliments préférentiels à utiliser selon le type de journée, puis ils composent leur menu selon les disponibilités, leur savoir-faire et leur envie. Ils auront toujours quelque chose de la liste sous la main. Ce n’est que le début de cette collaboration. On a encore quelques semaines pour que ça se mette en place, mais le but n’est absolument pas d’imposer une vision théorique. On veut laisser libre cours aux connaissances et au savoir-faire de chacun ».
« Par exemple, poursuit Lucas, Jacky a souhaité qu’on revoie les collations car elles ne répondaient pas forcément à l’ensemble des besoins. À partir de ce constat, Mickael m’a proposé des recettes qui lui parlent, et je les ai ensuite légèrement corrigées avec des détails : un changement d’huile, un changement de féculent. Je lui indique aussi les bonnes quantités afin que chaque coureur dispose des bons apports. Un David Gaudu et un Stefan Küng n’ont pas forcément les mêmes besoins. Il est nécessaire d’individualiser. Ceci étant dit, il y a la nutrition parfaite, et il y a la nutrition possible sur le terrain qui permet à tout le monde de pouvoir travailler sereinement. Nous avons donc séparé l’équipe en groupe de poids et les ajustements en termes de féculents s’effectuent selon le groupe, ce qui permet d’avoir quatre grandes trames et non pas trente ». « Nous avons également une fiche allergies pour les coureurs concernés, ajoute Mickaël. Il n’y a rien de contraignant, surtout quand on est au courant en amont. Et puis, on est assez gâtés en termes de produits pour remplacer un aliment par un autre. C’est une constante adaptation ».
À la recherche des meilleurs produits
« Avec notre partenaire diététique Apurna, nous avons entamé une collaboration afin de créer une gamme de produits tout à fait adaptés à nos besoins, expose Jacky. Nous avons avec eux un échange très constructif mais c’est une vraie gymnastique. On ne peut pas mettre ce qu’on veut dans une boisson énergétique. On sait qu’Apurna a beaucoup d’expérience sur le plan de la récupération. Avec eux, on développe surtout des produits adaptés à toutes les contraintes physiologiques du sport de haut-niveau. C’est un échange gagnant-gagnant. Ils bénéficient d’un retour du haut-niveau et nous profitons de boissons complètement adaptées à ce que nous recherchons. Ils sont aussi très intéressés par notre expérience, car notre constat de terrain et de nos besoins sont parfois très éloignés de ce qu’ils peuvent imaginer ».
« Concernant les compléments alimentaires, nous collaborons avec PILEJE, avec qui je travaille personnellement depuis une dizaine d’années. Ils nous permettent d’avoir une vraie sécurité éthique par rapport à ces compléments, qui contiennent beaucoup d’éléments, y compris certains qui peuvent être contaminés par des produits dopants. Avec Pileje nous avons une excellente garantie de protection contre ces contaminations. On sait que le coureur va consommer préférentiellement certains oxydants par rapport à monsieur tout le monde. Ils développent des produits très intéressants dans cette optique, et l’échange est là aussi très constructif. Il ne faut pas oublier que la population de cyclistes de haut niveau est une population très spéciale. Or, le but demeure d’avoir des coureurs en bonne santé. Non seulement pour la performance, mais aussi car ils sont plus souvent ex-coureurs que coureurs. On tient à ce qu’ils soient en bonne santé lorsque la retraite se présente ».
Prévenir les dérives
« Pour être bien dans sa peau, il faut que la nutrition reste un plaisir, martèle Jacky. Si on fait des choses un peu austères parce qu’on veut respecter certaines règles trop strictes, on tombe dans les dérives du trouble alimentaire qui peuvent faire le nid du burn-out. Je ne suis pas pour le culte de la maigreur. Selon moi, un coureur performant est un coureur en bonne santé. C’est la politique de l’équipe. Je ne veux pas qu’on exige du coureur d’être à tel poids sur tel évènement. Le coureur est responsable. On lui donne tous les ingrédients pour qu’il soit prêt le jour J, mais ça ne doit pas se faire sous la contrainte. La pédagogie est plus importante. On contrôle évidemment le poids et la masse grasse, mais nous ne sommes pas obsessionnels de ce point de vue là. Certaines équipes ont ce procédé, mais ce n’est pas notre vision. Nous voyons sur le plus long terme. Si nous mettons trop de restrictions, on engendre des perturbations à divers niveaux et on tombe dans des travers ».
« On a le même point de vue avec Jacky, conclut Lucas. Je me présente toujours après des coureurs comme voulant optimiser leur nutrition, non pas la bousculer. Le fer de lance du suivi nutritionnel n’est absolument pas le poids. Je préfère que le coureur fasse un ou deux kilos de plus mais soit en bonne santé et récupère bien, plutôt que deux kilos de moins et souffre de défaillances ou de carences. Le poids est certes un élément de la performance, mais il n’est pas du tout l’élément majeur comme beaucoup peuvent le penser. Il est aussi vrai qu’il y a un culte à l’affûtage dans le vélo. Il y a notamment un gros travail de prévention effectué à ce niveau auprès de la Conti. Si on mange bien, si on fait les choses bien, le poids suit toujours. Le but n’est pas de chercher l’affûtage mais le rendement physiologique. Il y a un équilibre à trouver. L’alimentation est censée être une source de plaisir, et le cyclisme nécessitant déjà beaucoup de sacrifices, le but n’est pas de rajouter de la contrainte. L’alimentation doit être là pour les épauler, les aiguiller et permettre d’optimiser un peu, mais sans se prendre la tête. Par exemple, je n’encourage pas forcément les coureurs à peser leur nourriture. Dans l’alimentation, faire plus ce n’est pas nécessairement faire mieux. Il est important de faire de la prévention afin d’éviter les dérives qui peuvent bien souvent amener à plus perdre qu’à gagner ».
Aucun commentaire