Le Tour de la Provence, cette semaine, sonne le retour à la compétition du « groupe sprint » autour d’Arnaud Démare. Coureur le plus prolifique de la saison passée, le champion de France sera naturellement scruté pour sa reprise. Et à cette occasion, c’est l’un de ses plus fidèles équipiers, Ramon Sinkeldam, en sa compagnie la semaine passée, qui a accepté de se livrer sur la dynamique, la préparation et les ambitions du « train » Groupama-FDJ en ce début d’année. Entretien.
Ramon, tu viens d’effectuer un stage avant ton retour à la compétition sur le Tour de Provence. Peux-tu nous en dire davantage?
Initialement, on devait reprendre sur le Tour de la communauté de Valence, puis nous rendre sur le Tour de la Provence immédiatement après. Mais étant donné que l’épreuve de Valence a été annulée, j’ai contacté Arnaud pour savoir si ça l’intéressait de quand même venir à Calpe. C’était une bonne opportunité d’enchaîner quelques heures de selle sous le soleil, car la météo est aussi mauvaise chez lui que chez moi actuellement. Si le Tour de la communauté de Valence avait été maintenu, nous serions arrivés sur place dès lundi dernier, mais nous avons décidé de rester deux jours de plus à la maison, donc j’ai atterri là-bas mercredi. J’ai alors retrouvé Arnaud, Clément Davy et le père d’Arnaud – ou bien son frère, je ne sais pas, ils se ressemblent beaucoup (rires). Nous avons d’abord fait une belle sortie de trois heures pour rejoindre notre logement à Calpe puis nous avons également fait un solide entraînement jeudi. C’était un peu plus cool vendredi et nous avons terminé le stage avec de gros entraînements samedi et dimanche. L’objectif principal de ce séjour était de faire du fond et quelques efforts par beau temps. Le dernier jour, on a fait du « derrière scooter », dans la roue du père d’Arnaud. C’était au final assez court, mais vraiment utile. Lundi, enfin, nous avons pris la voiture pour nous rendre en Provence.
« Aujourd’hui, je me sens parfaitement bien »
À combien de stages as-tu pris part depuis le début d’année?
Celui-ci s’est décidé au tout dernier moment car notre course de reprise a été annulée seulement quelques jours avant. La semaine précédente, nous étions aussi à Elche pour un bon stage avec le groupe sprint. J’ai aussi participé à un stage plus restreint à Gran Canaria début janvier. Du coup, je n’ai pas beaucoup été à la maison depuis le début d’année, mais ma famille le comprend très bien du fait que le temps est bien trop mauvais là-bas et que c’est aussi une année importante pour moi car mon contrat se termine à la fin de la saison.
Tu as vécu une fin de saison 2020 compliquée. Sais-tu aujourd’hui pourquoi ?
Je me suis senti vraiment fatigué sur le Giro, et je ne comprenais pas vraiment pourquoi à l’époque. J’ai dû abandonner à mi-chemin. Un mois plus tard, on s’est retrouvé à Besançon avec l’équipe et on a effectué quelques examens. On a finalement trouvé quelque chose dans mon estomac, une sorte de mauvaise bactérie, qui pouvait expliquer l’état de grande fatigue dans lequel je me trouvais. On a réussi à trouver un traitement à ce problème et je sens vraiment que je récupère mieux depuis. Aujourd’hui, je me sens parfaitement bien. La saison passée ne s’est pas déroulée comme je l’aurais souhaité, mais j’en ai eu l’explication et j’ai pu repartir de l’avant.
Ce fut un déchirement de quitter ce Giro ?
Complètement. J’étais bien sûr extrêmement heureux que l’équipe et Arnaud soient aussi performants. Mais d’un autre côté, puisque je fais normalement partie intégrante de ce groupe, les voir réussir sans mon aide, c’était un sentiment étrange. Même si j’étais content pour eux, j’étais frustré de ne pas pouvoir faire mon travail comme je suis supposé le faire et comme je suis habitué à le faire. D’un point de vue personnel, c’était une vraie déception. Cela étant dit, je sais que l’équipe et les gars apprécient ma présence et reconnaissent ma valeur, dans les courses et en dehors des courses, comme la semaine dernière dans ce stage en petit comité avec Arnaud. Je sais qu’ils étaient également déçus pour moi vis-à-vis de ce Giro.
« On doit à nouveau faire nos preuves »
Avant ce contrecoup, tu avais tout de même contribué aux nombreux succès d’Arnaud. Selon toi, qu’est-ce qui a changé l’an passé ?
Le fait qu’on se concentre à faire notre propre course a je pense été le facteur majeur de notre réussite. Nous avons toujours souhaité être dans cette posture. Nous avons toujours voulu décider de ce qui pouvait se passer en course plutôt que de laisser les autres prendre l’initiative. Il y a deux ans, on prenait le départ des courses plutôt dans l’état d’esprit : « on voit ce qui se passe, et si d’autres équipes commencent à rouler, on roulera peut-être aussi ». L’année dernière, nous avons vraiment pris les commandes, sans trop prêter attention aux autres. Mais tout ça est aussi lié à la confiance. Quand Arnaud voit qu’on travaille toute la journée pour lui, il se sent aussi obligé de performer. Il a une certaine pression, mais une bonne pression dans le sens où il est ultra-motivé. Ça lui donne un coup de boost. Inversement, c’est évidemment une énorme motivation pour nous, coéquipiers, lorsque notre leader est performant. Cela ne veut pas dire qu’on ne donne pas 100% lorsqu’il n’est pas performant. Mais si on donne 100%, que notre leader aussi, et qu’il finit par gagner, alors on entre dans ce genre de cercle vertueux où, soudainement, on enchaîne les victoires. C’est ce qui s’est passé l’année dernière en août avec cette série de succès (9, ndlr).
Comment la confiance se traduit-elle sur le vélo ?
Si on parle d’Arnaud, on le sent quand il a conscience d’être fort et rapide. Je pense que beaucoup de ses succès l’an dernier tiennent également à la confiance qu’il avait engrangée précédemment par ses nombreuses victoires. Quand on voit la manière avec laquelle il a remporté le championnat de France, ses deux étapes en Wallonie ou sa troisième étape sur le Giro, pour moi c’est de la confiance à l’état pur. D’un point de vue personnel, cette confiance ne m’est pas si utile que ça dans le sprint, dans ma façon de courir ou de produire mes efforts. Mon rôle dans les derniers kilomètres reste le même, qu’Arnaud soit ou non le meilleur sprinter du moment. Nous avons toujours dans l’idée de faire notre propre sprint, donc la confiance que nous pourrions avoir n’a pas d’impact évident sur notre stratégie dans le final.
Cette confiance perdure-t-elle d’une saison à l’autre, ou tous les compteurs sont-ils remis à zéro ?
Il y a un peu des deux, je pense. Nous commençons évidemment cette nouvelle année avec une confiance totale, mais ça reste malgré tout une nouvelle saison. On doit donc à nouveau faire nos preuves. On ne sait jamais comment nos jambes et notre sprint seront après quelques mois d’entraînement hivernal, et certains autres coureurs pourraient aussi être très forts à la reprise. Ceci étant dit, nous voulons conserver la même approche et la même stratégie que l’an dernier. Évidemment, ce serait une petite déception si on ne remportait pas une étape sur le Tour de Provence, mais on gardera à l’esprit ce que nous avons réalisé l’année dernière. Et on pourrait se dire : « nous l’avons fait l’année dernière, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas le refaire ». Je pense que c’est ainsi que tout le monde voit la chose au sein du groupe.
« Chacun essaie d’être la meilleure version de lui-même »
Comment va le groupe justement, physiquement et mentalement, avant cette reprise ?
On a hâte de reprendre ! On a pu engranger quelques jours d’entraînement supplémentaires et je crois que c’est au final une bonne chose car l’hiver a été assez court entre la fin du Giro et cette reprise début février. Quoiqu’il en soit, peu importe quand on s’entraîne en hiver, on attend toujours la première course avec impatience, et je pense que nous sommes bien préparés. De ce que j’ai vu au stage, la forme semble bonne pour tout le groupe. Il nous faut valider ça en course, évidemment, mais si on regarde les données, c’est vraiment pas mal pour cette période de l’année. Nous avons évidemment travaillé le train lors du stage, mais on ne peut pas non plus vraiment pratiquer le lancement du sprint à l’entraînement, car ça dépend de beaucoup de facteurs inhérents à la course. On peut toujours faire les efforts qu’on est censés faire, à savoir rouler à bloc pendant 500 ou 300 mètres devant Arnaud, mais reproduire un vrai sprint est presque impossible à l’entraînement.
Cela étant dit, vous avez la chance de pouvoir courir la plupart du temps ensemble…
Et ça nous aide beaucoup, mais je peux aussi comprendre pourquoi certaines équipes n’abordent pas la chose de la même manière. Je crois qu’Arnaud apprécie vraiment que nous soyons là la plupart du temps à ses côtés. Puis, si le manager d’équipe en comprend aussi l’utilité et a la sensation que c’est la bonne manière d’opérer, alors tant mieux. Il y a quelques années, la Lotto-Soudal avait aussi utilisé ce schéma. Greipel avait toujours les quatre ou cinq mêmes équipiers avec lui, et ça avait très bien marché. C’est une décision qui doit être assumée par l’équipe, et en ce qui nous concerne, elle est plutôt payante.
Le train de la Groupama-FDJ a fait forte impression l’année dernière. Y a-t-il malgré tout encore des points d’amélioration ?
Nous en avons discuté ensemble, mais au final, le plus important est que chacun essaie constamment de livrer la meilleure version de lui-même. Par exemple, je dois travailler sur mes capacités en bosse pour pouvoir mieux passer les ascensions et être là aux côtés d’Arnaud sur davantage de sprints. Arnaud peut progresser encore davantage sur son sprint. De manière générale, tout le monde essaie d’être dans la meilleure forme possible, et ensuite, la bonne tactique ne s’acquiert qu’avec l’expérience qu’on retire des courses. Il faut être en mesure de les analyser, de noter ce qui s’est bien passé et ce qui n’a pas bien fonctionné, et ce n’est pas quelque chose qu’on peut vraiment planifier durant l’hiver.
« On n’a jamais baissé les bras »
Est-il important pour tout le groupe de décrocher la première victoire rapidement ?
Ce serait naturellement un soulagement si elle arrivait assez tôt, mais si ce n’est pas le cas, on saura gérer. Au cours des quatre dernières années, on a également connu des périodes où gagner n’était pas quelque chose de si « normal » ou de si fréquent. Mais on n’a jamais baissé les bras. On a déjà su gérer de telles situations, on sait qu’il ne faut pas stresser. Maintenant qu’on a dit ça, on est tous des compétiteurs et le but de notre métier reste de gagner, et c’est donc ce qu’on veut faire, autant que possible. Maintenant, nous ne sommes que début février, donc je ne pense pas qu’il y ait une forte pression au sein de l’équipe par rapport à cette première victoire. S’il y avait une pression de ce type, je pense que ce serait contre-productif. Nous devrions avoir une ou deux belles opportunités en Provence et nous essaierons de les exploiter au mieux, mais je ne pense pas qu’on doive déjà ressentir une quelconque pression. Et de toute façon, quelle que soit la situation, on ne court jamais à 50% de ses moyens. On donne toujours le maximum. C’est donc ce qu’on va faire, comme d’habitude.
Cette première partie de saison comprenant des courses par étapes et des Classiques nécessite-t-elle une approche particulière ?
À l’entraînement, on se focalise vraiment sur le sprint. On fait naturellement quelques efforts en bosse pour être en mesure de passer les difficultés sur les Classiques, mais il n’y a pas de préparation spécifique pour ces dernières. Nous les gardons certes toujours à l’esprit, mais si vous voulez être un vrai coureur de Classiques, alors vous ne pouvez pas faire les efforts nécessaires pour des entraînements sprint. Ils nécessitent une vraie récupération et on ne peut pas se permettre de fournir les efforts requis pour les Classiques. Je pense qu’il est très difficile de faire les deux à 100%. En tous les cas, notre objectif sera de nouveau de gagner le plus souvent possible, et le plus tôt possible, mais il y a évidemment des objectifs majeurs. Ceux d’Arnaud, en l’occurrence, sont Paris-Nice et Milan-San Remo dans cette première partie de saison. Personnellement, je veux prouver que je peux toujours être une plus-value pour l’équipe et que je peux mériter ma place pour le Tour.
Aucun commentaire