Professionnel de 1985 à 1990 en ayant servi les intérêts de Laurent Fignon, Sean Kelly et Charly Mottet, Jacques Decrion est devenu indispensable à l’équipe FDJ.fr qui a inventé, pour lui, un poste resté unique. Jacques est entraîneur, proche de Frédéric Grappe, et s’il suit un groupe de coureurs comme le font les autres entraîneurs du Trèfle, il arpente les routes de France au volant de son fourgon pour faire travailler les coureurs de l’équipe derrière son scooter, préparer avec eux leurs objectifs et va jusqu’à les masser le soir après l’effort. Rencontre avec un passionné.
Jacques comment es-tu devenu entraîneur de l’équipe ?
Après ma carrière que j’ai arrêtée de mon plein gré parce que j’avais le sentiment de ne plus progresser, j’ai travaillé 13 ans au service des sports de Dôle tout en étant l’entraîneur du VC Dôlois. J’ai eu rapidement la fibre de l’entraînement, passant mon brevet d’état quand j’étais coureur. Je me suis naturellement approché de Fred Grappe avec qui j’avais couru chez les minimes à l’AC Besançon. Il m’a appris sa méthode. Lui et moi c’est le mix de la recherche et du terrain, nous sommes complémentaires. Grâce à lui, je suis rentré dans l’équipe FDJ.fr en 2005. Il se sentait un peu seul, il avait besoin de parler, de partager.
Comment cela s’est-il passé avec Marc Madiot ?
On se connaît depuis longtemps. Je lui ai proposé de répéter avec les pros ce que je faisais déjà avec les amateurs et avec mon derny. D’être un entraîneur itinérant de l’équipe FDJ, d’aller chez les coureurs. J’ai un souvenir très fort : mon premier client a été Rémy Di Gregorio. C’est lui, Rémy, en acceptant d’emblée mon travail, qui m’a donné confiance en ce que je faisais. Dans le même temps, j’ai été directeur sportif adjoint dans de nombreuses courses. Cela m’a permis de bien connaître les coureurs mais il a fallu quatre ans pour qu’ils fassent systématiquement appel à moi. J’ai profité de leur bouche à oreille. Maintenant, je suis rôdé, je suis à l’aise.
Outre l’aspect technique de l’entraînement, tu apportes une touche psychologique très importante ?
C’est en partie pour cela que j’ai appris à masser. Il y a l’aspect entraînement mais le plus important est la relation humaine et tout ce qui touche à la préparation mentale. L’intimité du massage, après un effort souvent brutal, permet d’avoir un bon ressenti.
Comment organises-tu tes ‘’tournées’’ ?
J’ai un groupe de coureurs dont je m’occupe précisément, notamment Nacer (Bouhanni), Jussi (Veikkanen), Cédric (Pineau), Geoffrey (Soupe) ou Laurent (Mangel), comme le font Julien Pinot et Fred Grappe avec d’autres. Je vais chez eux quand ils en font la demande mais je leur propose aussi quand je les sais aborder des objectifs précis. Je m’arrange pour aller en voir plusieurs dans la foulée. Et je me prête aussi à des micro-stages comme en août avec Johan Le Bon, de retour de blessure. Il avait envie de grimper les monts flamands, le Koppenberg, le Mont Quarémont et je l’ai accompagné. Je fais aussi des micro-stages en montagne. Dans l’un d’entre eux, par exemple, à Jussi et Laurent se sont ajoutés spontanément Kenny Elissonde et Arnaud Courteille.
Tu peux nous donner l’exemple d’une ‘’sortie’’ derrière derny ?
Quand il s’agit d’une séance longue, on fait souvent du ‘’Jimenez’’, un exercice bien connu. On roule pendant quatre minutes à constance I3 (par exemple le tempo du Team Sky en tête de peloton) pendant trois minutes et on enchaîne tout de suite à constance I5 pendant trois minutes. C’est un effort très intense. Et on le répète neuf fois. C’est un exercice bénéfique. Quand le coureur a récupéré, on débriefe, on décrypte les résultats du capteur de puissance puis je le masse. Nous partageons des moments d’intensité élevés. Pour ma part, après une séance et notamment parce que nous le faisons sur des routes ouvertes à la circulation et qu’il faut tout mesurer, je finis cramé.
Et les coureurs sont volontaires ?
Oui et ils sont de plus en plus nombreux à le vouloir. Quand je vais voir Cédric Pineau avant qu’il ne débute un session de courses importante pour lui, je sais qu’après ce travail, il est serein. C’est une méthode qui marche. Parmi les 29 coureurs de l’équipe, il y en a qui travaillent de leur côté et c’est normal, par exemple Arnaud Démare qui a ses habitudes, ou Arthur Vichot qui est un autodidacte mais ce n’est pas gênant.
Combien de jours es-tu sur les routes dans une année ?
En tout, 140 jours et mon scooter affiche 15.000 kilomètres chaque année. C’est un 125cc et comme je roule à 60 km/h, je l’économise.
Comment vis-tu la montée en puissance de l’équipe FDJ.fr depuis deux ans ?
Le mérite en revient à Marc Madiot qui nous laisse nous exprimer, le plus souvent nous éclater dans nos rôles respectifs. Il est le premier, lui le manager, à faire vivre l’équipe en laissant s’affirmer les compétences. Et bien sûr, le mérite en revient aux coureurs talentueux qui n’ont plus peur de l’adversité et qui ont une envie énorme de réussir et de gagner. A l’image, par exemple, d’un Nacer Bouhanni. Pour moi, son sprint dans la première étape du Giro où il écarte de la main Adam Blythe (BMC) venu le serrer, est le symbole de ce que l’équipe est devenue. Les gars, ils ne laissent plus leur place et forment un bloc.
Le Trèfle est pourvu en grimpeurs, sprinteurs, puncheurs et super équipiers. Comment combler le petit retard dans le contre la montre ?
C’est un vrai sujet en France, pas seulement dans notre équipe. Cela tient de la culture du cyclisme français. Par exemple, en Grande Bretagne, beaucoup de contre la montre sont organisés, pas chez nous. C’est aussi une question d’aptitude et de travail demandé. Nous n’avons pas la culture de l’effort en solitaire mais au sein de l’équipe FDJ.fr, nous sommes en train de nous orienter vers cette discipline, à la demande des coureurs notamment. Nous avons Jérémy Roy et Anthony Roux qui s’investissent depuis longtemps, notamment pour l’amélioration du matériel. Mais il y a aussi Johan Le Bon (troisième du championnat de France), Pierre-Henry Le Cuisinier qui est un spécialiste. Ou encore Yoann Offredo ou Geoffrey Soupe qui sont d’anciens bons rouleurs et qui expriment une véritable envie de travailler cette discipline. De toute façon, cette équipe, tous ceux qui la composent, est sur la voie du perfectionnement et de la performance.
En ce moment, donc, le scooter est au repos ?
Mais non, toutes les semaines, je vais travailler avec Francis Mourey, qu’il pleuve ou qu’il neige. Francis, il est réglé comme du papier à musique et il se bonifie avec l’âge. Je crois qu’il est déjà au niveau des meilleurs Belges et nous devrions le voir ce week-end dans l’épreuve de Coupe du Monde de Coxyde. Il faut le dire, c’est phénoménal ce que fait Francis : il est le seul cyclo-crossman de niveau mondial à obtenir des résultats sur la route tout en travaillant comme un fou pour ses équipiers. Il a fini 19e du Giro en partant de loin puisqu’il devait travailler au départ pour Sandy Casar et Arnold Jeannesson qui n’ont pas eu de chance. Francis, c’est un champion !
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