Après le bilan 2023 de l’Équipe WorldTour et un point complet sur le programme Juniors, place désormais à un retour détaillé sur le dernier exercice de « La Conti ». Directeur sportif d’un groupe renouvelé, Jérôme Gannat a pris le temps d’analyser ce cinquième cru, qu’il estime satisfaisant sur plusieurs points, mais surtout prometteur en vue de 2024.
Jérôme, à tête reposée, quelle évaluation fais-tu de la saison 2023 de « La Conti » ?
De manière générale, le groupe a progressé tout au long de la saison, collectivement, mais aussi individuellement. Beaucoup sortaient des rangs juniors et étaient en découverte du niveau élite/Espoirs/Classe 2. Tous ont passé un cap et c’est vraiment le point positif de l’année. Cela veut dire que les entraînements ont été bons, que le coaching a été efficace, que tout ce qui est mis en place a fonctionné. L’objectif premier d’une équipe continentale comme la nôtre est le développement du coureur. Or cette saison a confirmé la tendance des années passées. À chaque fois qu’un coureur a rejoint la Conti, il était plus fort l’année suivante.
« L’année correspond à nos attentes »
Comment juger le bilan comptable ?
On ne peut éviter les comparaisons avec les années passées. 2022 fût une saison exceptionnelle, mais la saison précédente avait également été très bonne puisqu’on avait terminé troisième au niveau continental. En revanche, il est difficile de comparer les années car il s’agissait cette saison d’un groupe renouvelé à plus de 90%. Il s’agissait aussi de l’équipe continentale la plus jeune jamais enregistrée à l’UCI : 18,3 de moyenne d’âge. Le travail était sans doute plus difficile car c’est un groupe qui n’avait pas de grandes expériences ou d’énormes références. C’était une année de formation à 200%. Il faut bien se rendre compte que l’année 2022 était exceptionnelle et qu’il n’était pas possible de repartir sur un tel cru. On le savait. L’année correspond finalement à nos attentes. Je crois qu’on se classe un peu au-delà de la 100e place au classement UCI (112e). Ce n’est pas extraordinaire, mais quand on scrute un peu plus profondément notre saison, il y a de bonnes choses. Dans le détail, il y a des choses encourageantes. On a remporté cinq victoires, et on n’a pas toujours atteint ce total. C’est moins bon que les années précédentes, mais ce n’est pas mauvais non plus.
Au cours de la saison, tu as mentionné un temps d’adaptation. Physique, mental, collectif ?
Les trois, mais je pense que l’adaptation physique était la plus importante. Les courses de Classe 2 n’ont rien à voir avec les courses juniors, que ce soit au niveau de la distance que de la confrontation. On était un peu en-dessous physiquement en début de saison, on subissait. Il a donc fallu ce temps d’adaptation pour passer ce petit cap physique qui permet ensuite de jouer un rôle plus important dans les courses, et d’être acteurs. Thibaud [Gruel] s’est très vite adapté, avec un podium d’emblée puis une victoire assez tôt, mais on sentait que le groupe était un peu plus fragile que par le passé. On a payé le manque de maturité physique en début de saison. Sur la deuxième moitié de saison, en revanche, on a pu davantage jouer et peser sur la course.
A-t-il été aussi plus fastidieux de « construire » un groupe ?
C’est toujours un peu le cas. Tous les ans, il faut reconstruire, refaire un groupe. Il y avait onze nouveaux coureurs, qui sortaient tous de milieux un peu différents, des rangs juniors. Il y avait aussi, je pense, pas mal de crainte de ne pas être au niveau individuellement, et ça a joué un peu sur le collectif. Il a fallu construire au fil des courses et expliquer que l’on n’était plus dans le cadre de la performance individuelle comme ça peut l’être en Juniors. L’objectif était aussi de leur faire comprendre qu’ils allaient trouver un intérêt à ce fonctionnement. Pour recevoir, il faut savoir donner. Ils ont toujours couru groupé car c’est un des objectifs principaux qu’on se pose, mais à partir de l’été, il y a eu des prestations collectives vraiment notables. Ils ont produit quelques prestations d’équipe, notamment pour emmener des sprints, vraiment intéressantes. Ceci étant dit, si chacun progressait individuellement, il y avait de fait beaucoup plus de possibilités de faire des choses au niveau collectif. Et s’ils travaillaient collectivement, ils allaient obtenir des résultats, même individuellement. C’était important de passer ce message. Le collectif est encore plus important quand tu as une équipe jeune, en développement, et sans grosse individualité qui sort du lot.
« L’Arctic Race of Norway a été un petit tournant »
L’absence de grand leader a-t-il permis une plus grande liberté d’action ?
L’an passé, on était les acteurs principaux. C’était complètement différent cette année. On avait moins la pression du résultat car on abordait les courses en outsiders. C’était important que les coureurs profitent de ce contexte pour notamment se joindre aux échappées, passer à l’attaque. En deuxième partie de saison, ça s’est vraiment vu. C’était une opportunité à saisir, et c’était très important en vue de l’an prochain. Par exemple, le déclic pour Lewis [Bower] a été de prendre part à une échappée sur l’Arctic Race of Norway. Il a ensuite fait une belle fin de saison. Même si la possibilité de gagner via l’échappée est très limitée, ça reste un bon moyen de développement. Au niveau mental, tu joues les premiers rôles, tu es acteur de la course. Ils ont tous pris conscience de cela. Peu de coureurs du groupe pouvaient annoncer : je vais rester au chaud, utiliser ma carte dans le final et gagner. Noah [Hobbs] se dégageait un peu dans les sprints, Thibaud dans les courses un peu plus difficile, mais il y avait plus de place et de liberté que par le passé pour aller chercher des résultats individuels, sans que ce soit au détriment du collectif. Quand il y avait des stratégies mises en place, il fallait bien entendu les respecter. Mais au final, tout le monde est allé chercher son résultat. Ça permettait aussi que les coureurs prennent confiance en eux et en leurs possibilités.
Y a-t-il eu un manque précis cette saison ?
Je l’ai régulièrement dit, mais on était beaucoup moins présent dans les courses difficiles. Contrairement à l’an dernier, où on était très influents dès que la course devenait dure, on a cette fois davantage subi. Il y a certes eu les belles performances de Joshua [Golliker] sur le Tour de la Vallée d’Aoste, la régularité de Brieuc [Rolland], mais on était globalement un ton en-dessous. C’est aussi pour cette raison qu’il fallait parfois trouver des solutions pour jouer quelque chose et avoir un objectif pour la journée.
Quels sont pour toi les moments forts de 2023 ?
On retient le début de saison de Thibaud, très présent, puis la cinquième place de Noah sur Gand-Wevelgem. C’était important pour lancer le groupe. On ressort aussi le Tour de la Vallée d’Aoste avec les deux victoires de Joshua, mais je crois que la course la plus marquante et la plus importante fût l’Arctic Race of Norway. C’était notre première expérience en ProSeries, et j’avais dit aux coureurs que c’était un honneur d’être invité, et qu’on se devait d’être présents de différentes manières, de par le sprint ou en échappée. Or, tous les jours, on a été très marquants. À la télé, on donnait l’impression d’être une ProTeam de par notre présence dans le final, notre manière de courir. Un soir, Marc m’avait laissé un message dans lequel il disait : « je regarde à la télé ce que vous faites, c’est beau ». Je pense que ça a été un petit tournant. Il y a eu un peu plus de résultats en fin de saison, et tout le monde y est allé de sa performance. Ce qui me fait dire que c’est encourageant pour l’année prochaine. Si ça continue à progresser, il y aura des choses très intéressantes à faire.
« Tant que le groupe progressera, ce sera valorisant pour nous »
Du point de vue de l’équipe, était-ce frustrant de ne plus jouer les tous premiers rôles, ou était-ce simplement un challenge différent ?
On savait que c’était un nouveau cycle. On repartait sur le modèle de 2019, mais avec l’expérience de quatre années. C’est un peu frustrant quand on a dominé comme l’an dernier, car je pense qu’on est tous des compétiteurs, et on imagine toujours le scénario pour gagner, pas pour subir. Cependant, il faut savoir relativiser. C’était une approche différente. Avec l’encadrement, on ne s’est pas menti en début de saison. On n’était pas parti pour faire aussi bien que la saison précédente. Je pense que la qualité d’un staff est aussi d’évaluer le potentiel d’une équipe et de savoir jusqu’où on peut l’amener. On ne s’est pas trompé. Je pense qu’on a tiré le meilleur du groupe dont on disposait. On peut estimer que c’est une réussite car ils ont progressé. À nous désormais de trouver une autre mission pour ce groupe l’an prochain.
Eddy Le Huitouze rejoindra la WorldTeam durant l’hiver, preuve que la passerelle reste bien installée.
Parmi les coureurs qui intègrent l’équipe WorldTour, il n’y a pas forcément que des leaders. Il peut y avoir des équipiers, des lanceurs. Dans le groupe actuel, certains coureurs auront peut-être la possibilité d’intégrer la WorldTeam l’année prochaine ou l’année suivante car ils ont des qualités qui peuvent correspondre à un poste et des besoins précis. C’est ce qu’on nous demande. Eddy a par exemple sa place en WorldTour dans un rôle bien défini. Près de 50% de l’effectif WorldTour pour 2024 est issu de la Conti. C’est la preuve que la passerelle a bien fonctionné ces cinq dernières années. On n’oublie pas non plus tous les autres coureurs passés par la Conti qui performent autre part. La Conti offre donc une passerelle qui fonctionne très bien pour les coureurs qui l’ont intégrée depuis cinq ans. C’est un développement réussi vers le haut-niveau et le WorldTour. Au moment de notre recrutement, il est d’ailleurs selon moi très important de faire ressortir ce point, même s’ils existent aujourd’hui d’autres enjeux, financiers, notamment, qui n’existaient pas il y a encore 3-4 ans.
En 2024, le groupe sera globalement identique, avec l’arrivée de seulement trois nouveaux. Comment aborderez-vous cette nouvelle saison ?
Il faut poursuivre ce cycle de formation, et ne surtout pas se dire que c’est terminé. On peut encore leur apporter davantage. Il faut regarder devant, le groupe doit encore évoluer, grandir, et il faut se donner les moyens de le faire. Tant que le groupe progressera, ce sera valorisant pour nous, staff, et pour l’équipe. Il faut que la formation continue. Le premier objectif est que tous les coureurs progressent individuellement et que certains intègrent l’équipe WorldTour. C’est la raison pour laquelle on existe. Il est aussi important de toujours garder en tête la quête de victoires et de résultats. On espère en obtenir plus que cette année car ce groupe va grandir, même s’il est toujours difficile d’évaluer la marge de progression. Ce qui fait avancer, individuellement et collectivement, c’est l’attrait de la compétition et la recherche de la meilleure performance. La course reste un moteur pour avancer et garder cette envie de s’améliorer. Mais il ne faut pas oublier que si tu aimes ce que tu fais, tu accepteras plus facilement les contraintes et tu progresseras forcément. Garder ce plaisir de faire du vélo, c’est quelque chose qu’on rappelle régulièrement à tous ces jeunes.
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