Depuis quelques mois désormais, Anthony Roux a pris l’habitude, régulièrement, de partir rouler avec un sac sur le dos. Non pas pour trimballer un pique-nique, mais pour le remplir de déchets en tous genres rencontrés au fil de sa sortie. Une initiative récente, qu’il a matérialisée sous l’appellation « mon parcours propre » et dont il a accepté de revenir en longueur dans cet entretien.
Anthony, le mois de décembre approche. La préparation est déjà en marche ?
Complètement. La reprise s’est opérée tranquillement il y a deux semaines. Mon schéma de reprise est établi depuis quelques années maintenant. Je suis routinier dans ma préparation hivernale. Je bascule entre le VTT, la route, la course à pied et la natation. C’est ce que j’ai toujours fait, à l’exception du VTT que je n’ai introduit que l’an passé. Mentalement, c’est agréable d’alterner. Pour le moment, je suis à la recherche de sensations, comme à chaque reprise. J’ai mal aux pattes, mais c’est pour tout le monde pareil. En revanche, les feux sont au vert du point de vue de la santé donc tout va bien.
« Elle est encore là, cette bouteille?! »
La météo est encore clémente dans le sud ?
Quand je vois comment c’est ailleurs, je me dis que je m’en tire pas mal. Ce qui est sûr, c’est que ma région natale (Lorraine, ndlr) ne me manque pas l’hiver (sourires). Il pleut assez régulièrement, mais je ne vais pas me plaindre. La température oscille encore entre 13 et 20 degrés. Quand il pleut, il ne fait donc pas super froid, et quand il ne pleut pas, ce sont de très belles journées où on peut pratiquement rouler en cuissard court. C’est agréable de reprendre dans ces conditions.
Et le bord des routes, dans quel état se trouve-t-il ?
Ce n’est jamais super après l’été. Les vacanciers laissent pas mal de déchets en juillet/août. On se rend compte en septembre que pas mal de détritus se sont accumulés. Je me suis mis à faire un peu le ménage sur les routes que j’adore, mais je n’arrive pas à tout ramasser tout seul. J’ai vu des employés du conseil départemental venir nettoyer également. Après l’été, il y a du boulot.
Tu m’as vu venir… Parlons de ton initiative « mon parcours propre ». Quand est-elle née ?
Ça a commencé l’hiver dernier. J’aurais pu m’y mettre plus tôt, mais la vraie démarche, celle de mettre la main à la pâte, est arrivée très tard. J’y pensais depuis un bout de temps. Quand je regardais le bord des routes, ça me dégoûtait de rouler dans ces décors pas agréables à l’œil. Or, rouler c’est mon job, c’est ce que je fais tous les jours. Pendant longtemps, comme la plupart des gens, je me plaignais mais je n’agissais pas. Beaucoup disent que c’est horrible, inadmissible. Je le disais aussi, mais je ne m’arrêtais pour autant ramasser un papier et le mettre à la poubelle.
Quel a été le déclic ?
Pendant un moment, je ne cessais de voir la même bouteille au même endroit. C’était une bouteille de bière, en verre. Je l’ai vue une fois, deux fois, trois fois… Le cerveau s’y habitue presque. Quand je passais devant, je regardais instinctivement si elle y était encore. Et à chaque fois je me disais : « mais elle est encore là ?! » À un moment donné, je me suis dit « au lieu de te faire la réflexion, ramasse-la, et demain elle n’y sera plus ». C’est parti comme ça. Je l’ai mise dans ma poche et j’étais bien content qu’elle n’y soit plus le lendemain. Ensuite, j’ai réfléchi à l’idée de prendre un sac de temps en temps, quand les sorties ne sont pas importantes, et de me lancer le défi de rendre mon parcours le plus propre possible. Mon fils est aussi devenu adepte de cette pratique. Il était tout heureux de ramasser les déchets quand nous faisions une promenade ensemble. Voir un fils fier de son papa m’a encore plus motivé.
« Si tout le monde avait son parcours propre, tout serait propre »
Ce souci pour la nature est-il récent ?
Non, j’ai toujours baigné dedans. Par exemple, j’ai toujours fait ce genre de geste en mer. J’ai toujours adoré le fond marin, été conscient de l’impact du plastique pour les dauphins, les tortues. Ça m’intéressait déjà petit. Mon père était pompier mais aussi plongeur. Je me souviens que lorsqu’on allait nager ensemble, il avait déjà ce geste de ramasser des trucs dans l’eau et de les ramener. J’ai été initié très jeune et j’ai donc toujours eu cette démarche en mer. Je le faisais aussi sur le bord des plages. Dès que je suis descendu vivre avec ma copine ici, on nettoyait les criques l’hiver afin qu’elles soient encore plus belles pour y mettre la serviette au printemps ou à l’été. Malgré ça, je n’ai jamais eu ce réflexe sur les routes. Je pensais que c’était difficile. Sur le vélo, le visuel est rapide. On s’attarde moins que sur une plage. À vélo, on se demande où le mettre, alors que ça peut être très simple. Mais je n’y pensais pas. Ça me dérangeait, mais ce n’est pas pour autant que je faisais quelque chose, bien qu’ayant l’esprit adéquat.
Comment as-tu eu l’idée de partager ton initiative ?
Ça a été un engrenage assez naturel. Je me suis dit : « pourquoi ne pas viser un peu plus haut ? » J’avais un compte Twitter qui dormait un peu, n’étant pas franchement adepte des réseaux sociaux. J’étais à deux doigts de le fermer, mais je me suis dit qu’il valait mieux le transformer, en faire quelque chose. Je me suis aussi rapproché de la Mairie de Bormes-les-Mimosas en début d’année. Ils avaient également un projet dans les tuyaux et ça correspondait bien. Ça les intéressait aussi d’utiliser mon image. De mon côté, ça me permettait de rendre la chose transparente pour la Mairie, mais aussi d’avoir un point d’appui, notamment pour réaliser une vidéo. Cela me paraissait aussi logique dans la mesure où le parcours que je souhaitais nettoyer se situait principalement sur la commune. Malheureusement, je suis tombé début mars. Le projet a donc pris un peu de retard. Ça s’est finalement mis en place dans le courant de l’été. C’est finalement assez récent. Mais désormais, il y a une marque sur les réseaux sociaux et j’essaie d’alimenter la chose de temps en temps. Je ne suis pas extrêmement régulier, mais je ne le fais pour être connu. Le but du jeu est qu’en me voyant mettre la main la pâte, les gens s’y mettent aussi.
Peux-tu détailler le concept de ton initiative et l’objectif recherché ?
Il y a beaucoup de choses qu’il est possible de faire vis à vis de l’environnement, mais je me rends compte que beaucoup ne se font pas. Évidemment, la finalité serait de ne pas jeter. Si on ne jette pas, il n’y a pas à ramasser. Malheureusement, des gens jettent, c’est comme ça. Certaines associations se retrouvent parfois pour des journées de collecte, mais ce n’est qu’une minorité. De mon côté, je voulais simplement utiliser le biais du sport, de l’activité physique, pour apporter ma pierre à l’édifice. Le but est très simple. Il s’agit de créer son parcours, à vélo ou à pied, et de le rendre le plus propre possible. Je me dis simplement que si tout le monde avait son parcours propre, tout serait propre. J’ai créé le mien, qui est celui que je fais en sortie de récupération. Ça me dérangeait de le voir sale, et je me suis lancé le défi de le « nettoyer ». Au final, c’est comme si chacun était responsable de son parcours, du parcours qu’il a dessiné et choisi. Ça peut être une fois par semaine, une fois par mois, tout est bon à prendre. Un joggeur perdra peut-être quinze minutes sur un footing d’une heure, mais son parcours sera propre le lendemain. De même pour un couple ou une famille qui va se promener le dimanche. Ça peut même influencer positivement les enfants. Tu imagines le nombre de chemins et de routes propres si tout le monde sur terre prenait soin de son petit parcours ? Pourtant, ça part de rien. Mon parcours fait soixante bornes. Si je prends mon sac et que je ramasse les déchets, je vais perdre trente minutes, soit quasiment rien sur une journée. Au contraire, c’est un beau geste qui te sera automatiquement rendu.
« Il ne faut pas se décourager »
Justement, n’est-ce pas l’aspect pratique de l’action qui décourage les gens ?
J’avoue moi-même que je m’y suis mis tard car je pensais que c’était une contrainte. On vit tellement dans la facilité aujourd’hui que ramasser un papier devient compliqué. On se dit aussi : « Les gens n’avaient qu’à pas le jeter, ce n’est pas à moi de le ramasser ». Ou bien « quelqu’un d’autre va le faire ». Alors qu’on sait très bien que ça ne sera jamais ramassé, selon où il se trouve. C’est facile de dire : « Le mec est bête de l’avoir jeté ». Oui, mais quelque part, t’es bête aussi de ne pas le ramasser. Ce n’est pas parce que quelqu’un a fait une faute que tu ne peux pas la réparer. Évidemment, rouler deux heures avec un sac sur le dos, ce n’est pas super agréable. Certains veulent aussi être beaux sur leur vélo, ça va donc les ennuyer. Il faut s’arrêter, déclipser, ramasser, mettre dans le sac. Mais par exemple, c’était tellement sale en septembre que je faisais parfois demi-tour au bout de cinq kilomètres. Je n’ai jamais fini mon tour sans que le sac ne soit plein. Le temps de ramassage n’est finalement pas si long car il y a tellement de déchets qu’on ne s’arrête pas cinquante fois. Ce n’est pas si embêtant, au final, et je ne dis pas de le faire toutes les semaines. Mais quand tu le fais et que tu rentres chez toi, tu es content et tu te dis que tu n’as pas perdu ton temps. Moralement, ça fait du bien également.
As-tu une idée du nombre de sorties que tu as effectuées, sac sur le dos ?
Je n’ai pas compté. Ça fait donc environ un an, mais je ne l’ai pas fait chaque semaine car j’étais parfois en course ou en stage. Je pense que je dois en être à une vingtaine de sorties. Avec un sac de vingt litres, ça doit donc donner entre 400 et 500 litres de déchets depuis le début. Maintenant, j’aimerais pousser ça davantage avec la Mairie et créer des journées complètes de collecte, à vélo ou à pied. Il y aurait moyen de faire un sacré nettoyage. Ce serait génial d’en arriver là.
As-tu noté l’impact de ton propre nettoyage ces derniers mois ?
Par périodes seulement. Je notais la différence avant l’été, mais je n’ai pas trop été à la maison entre juillet et septembre. Alors, quand je m’y suis remis au retour de la Vuelta, je me suis dit que tout ce que j’avais fait avant n’avait servi à rien. Si on veut voir le verre à moitié plein, on peut se dire que ça aurait été deux fois pire. C’est un travail sans fin, c’est malheureux mais ça ne me démoralise pas. Le but du jeu est justement de ne pas se décourager. Il ne faut pas que j’agisse comme je le faisais avant et dire que ça ne sert à rien. Si on réfléchit comme ça, ça n’avancera jamais.
« Tu le fais aussi pour toi-même »
Est-ce que ton initiative a pris auprès du public, de quelques suiveurs ?
Pas autant que j’aurais pu l’imaginer. Je m’aperçois que les gens me soutiennent beaucoup, mais qu’il n’y en a pas tant qui agissent. Or, c’est plutôt ça, le but. Quand j’ai fait le jeu concours pour le maillot sur Twitter, c’est aussi car on arrivait dans une période de l’année où les gens commençaient à me demander s’il me restait des fringues. J’ai préféré le faire gagner. J’ai même ajouté un dossard de la Vuelta. Mais finalement, très peu de gens ont joué le jeu, j’ai à peine eu dix réponses. Ça m’a un peu attristé de voir qu’il y avait du monde pour demander un maillot, mais pas autant quand il s’agissait de ramasser des papiers et m’envoyer une vidéo pour l’obtenir. Ce qui me motive, en revanche, c’est que beaucoup de jeunes ont répondu à l’appel. Ça m’a fait plaisir. Le point négatif est que l’engouement n’est pas celui que j’imaginais. Le point positif est que la jeune génération est motivée. Je m’étais peut-être enflammé… Sur le coup, ça m’a un peu chagriné, mais ce n’est pas pour autant que je vais m’arrêter. Je le fais d’abord pour moi et pour la nature. Si j’en parle, c’est pour faire bouger un peu les choses et utiliser ma petite image pour inciter les gens à faire un geste. Beaucoup se plaignent mais n’agissent pas. Sur l’écologie, comme sur d’autres sujets, beaucoup aboient pour dire que ça ne va pas du tout. Mais qui agit vraiment ?
Chaque petit geste est bon à prendre, c’est le message que tu veux faire passer ?
Absolument. Moi-même, j’ai maintenant des petits tics. Quand j’emmène les enfants à l’école, si je vois un papier sur le bord de la route, je le ramasse et le mets dans la poubelle d’à-côté. Je ne suis pas maniaque, mais je me dis simplement que c’est bête de ne pas le faire si ça ne me coûte rien. Et même si je ne fais que ça dans la journée, c’est déjà ça. Et si tout le monde faisait ça ? Moi, j’incite aux petits gestes. Je sais qu’il est compliqué d’opérer de grandes manoeuvres comme d’autres. J’appelle plutôt à ce que chacun fasse un petit truc tous les jours. Etant donné que nous sommes dans une société plutôt individualiste, le projet avait du sens selon moi. Car en nettoyant ton parcours, ça rend ton propre parcours visuellement intéressant et agréable. En somme, tu le fais aussi pour toi-même, en dehors de l’écologie. C’est aussi dans ton propre intérêt. On est aussi beaucoup dans l’apparence désormais. De plus en plus de monde roule avec du beau matos, de beaux vêtements… Si tu as envie d’être classe en faisant du sport, pourquoi n’aurais-tu pas envie de faire du sport dans un environnement classe, donc propre ? C’est bénéfique pour tout le monde, au final.
Pour faire le lien, en conclusion, que penses-tu du nouveau système de collecte mis en place dans le cyclisme professionnel ?
Honnêtement, c’est très bien fait. Je suis convaincu. Ce n’est encore que le début, et certaines fois, on ne sait pas trop où les zones se trouvent et quand on peut jeter nos papiers. Sur certaines courses, je ne savais pas trop où j’en étais alors je me fiais aux autres. Parfois, c’est un petit panneau qui annonce la zone verte et on a vite fait de la louper. Il faudrait peut-être installer des signaux plus clairs visuellement. Mais au-delà de ça, c’est un vrai pas en avant. C’est marrant, aussi, de voir des mecs qui jouent devant, qui jouent la gagne, avec une canette de coca dans la poche pendant quarante kilomètres. Je trouve que le peloton joue le jeu, et de toute façon, on est bien surveillés. Je me suis moi-même pris deux amendes sur la Vuelta, alors que je fais très gaffe. Je ne savais pas trop où était la zone, quand je pouvais jeter. Ça change aussi parfois d’une course à l’autre. Je n’ai pas honte de dire que je me suis fait avoir deux fois sur la Vuelta, mais par contre, j’étais dégoûté. J’ai pris un coup, vraiment. D’un autre côté, j’étais content car ça prouve aussi que c’est pris au sérieux. On est sur la bonne voie.
1 commentaire
Bruno DREMIERE
Le 27 novembre 2021 à 18:33
Voici une initiative remarquable Monsieur Roux.
On pourrait rêver à des actions menées en coopération avec l’éducation Nationale ?..