Cet hiver, l’effectif de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ n’est pas le seul à connaître des changements. Le pôle sport traverse également une vraie mutation. Deux nouveaux directeurs sportifs rejoignent ainsi les rangs de la structure WorldTour, qui observe par ailleurs les départs de Franck Pineau et Sébastien Joly. À la tête du pôle, Yvon Madiot, en partance à la retraite, laisse les rênes à Philippe Mauduit, qui s’exprime sur son nouveau rôle et cette réorganisation à l’occasion de cet entretien.
Philippe, peux-tu d’abord nous faire un récapitulatif de la réorganisation du pôle sport ?
Avec le départ en retraite d’Yvon et de Franck, l’équipe a choisi d’anticiper les changements des prochaines années. Il fallait donc trouver un successeur à Yvon à la direction du pôle sport, et j’ai été choisi. C’est un nouveau rôle pour moi dans l’équipe mais c’est quelque chose que j’avais envie de faire. Il y a d’autres changements car Julien prend la succession de Fred Grappe à la direction des entraîneurs, et Fred s’oriente plus encore vers la recherche et le développement. Cela représente trois changements importants dans le management de l’équipe et ça apporte une petite cure de jouvence. Si on parle seulement du groupe des directeurs sportifs, la moyenne d’âge passe de 52 à 46 ans en un hiver. On va essayer, non pas de faire une révolution, mais d’amenerdes petits changements qui puissent apporter du renouveau, qui puissent redynamiser le groupe des directeurs sportifs, mais aussi l’équipe de manière générale. On va faire en sorte que ce soit un peu différent de ce qui se faisait depuis quelques années, sans toutefois opérer de révolution car c’est une équipe qui a presque trois décennies d’âge, qui a sa propre culture, sa propre identité, et il ne faut pas perdre ça.
« J’ai vraiment la volonté d’être un facilitateur »
Peux-tu nous rappeler en quoi consiste le rôle de directeur du pôle sport ?
Il s’agit avant tout de mettre en œuvre la stratégie sportive, et les feuilles de route vers les objectifs sportifs. Mon rôle est aussi de recruter, d’organiser, de mesurer, ainsi que de construire les programmes de courses et les sélections des coureurs en vue d’atteindre les objectifs fixés. Tout cela se fait en étroite collaboration avec les différentes directions du COMEX. Mon rôle est aussi d’optimiser les échanges et la préparation des courses avec des réunions préparatoires en amont, et d’organiser tout le fonctionnement du plan sportif. Je suis aussi responsable du management en course qui sera opéré par les directeurs sportifs eux-mêmes. J’ai un rôle de coordinateur des équipes. Mon but est de tout faire en amont des courses pour que les équipes puissent bien travailler, dans la sérénité. Je ne vais pas forcément faire plus qu’avant, je vais faire différemment. C’est un rôle qui doit être source d’énergie, producteur d’idées et qui doit accompagner les directeurs sportifs dans leurs missions quotidiennes et leur préparation.
En pratique, cela se traduira-t-il par moins de courses te concernant ?
Si je regarde le calendrier, je ferai à peu près le même nombre de jours de course que les années passées. En revanche, je ne prendrai pas très souvent les commandes. Ce sont plutôt les collègues qui dirigeront les courses. Je serai plus en retrait, en observateur ou en facilitateur d’action. Je vais surtout suivre les projets, essayer d’insuffler une bonne dynamique, et quand ce sera possible, apporter de la nouveauté. Je m’attache aussi à ce que les directeurs sportifs aient une grande liberté d’action, car ils ont eux aussi des idées, et on a besoin de cet engagement pour aller plus vite, plus loin, plus haut.
Qu’aimerais-tu apporter dans ta position actuelle ?
J’ai vraiment la volonté d’être un facilitateur dans la mise en œuvre des projets. J’ai envie de faire en sorte que les directeurs sportifs aient la liberté de penser, de s’exprimer et d’agir. Le tout dans un cadre tout de même défini en amont par le haut management, et dans la perspective des objectifs fixés. J’ai vraiment envie qu’ils puissent s’exprimer, car quelle que soit leur expérience, on se rend compte, en bossant avec eux tous les après-midi, qu’ils ont tous des belles idées. Il faut juste faire en sorte qu’ils puissent les mettre en application. Dans une entreprise de 120 personnes, il n’est pas facile de changer les choses. Et puis il ne faut pas changer juste pour changer. On cherche vraiment à apporter des petites touches qui permettent à tout le monde de mieux fonctionner et d’être plus performants.
« Si on veut arriver à l’heure, il faut monter dans le train tout de suite »
Te fixes-tu des objectifs en tant que directeur du pôle sport ?
C’est une évidence qu’on a des objectifs de résultats, des impératifs de réussite sportive, car c’est l’essence même d’une équipe professionnelle. On est là pour gagner des courses et s’afficher dans les hauteurs du classement WorldTour. N’oublions pas qu’on a terminé septièmes cette année et remporté dix-neuf victoires. On compte aussi une trentaine de podiums, dont une dizaine dans le WorldTour. L’objectif est d’aller gagner des courses, encore et encore. Transformer un petit tiers des podiums en victoires, ce serait plutôt chouette. Les objectifs sportifs sont donc bien définis, mais on a des objectifs autres en termes de restructuration d’équipe. C’est une mission qui est aussi importante pour moi parce qu’il faut accompagner le changement, car le cyclisme évolue, la réglementation évolue, les équipes adverses évoluent, et il vaut mieux avoir un train d’avance qu’un train de retard. Si on veut arriver à l’heure, il faut monter dans le train tout de suite.
Peux-tu nous parler du groupe des directeurs sportifs, luiaussi renouvelé avec deux nouveaux arrivants ?
D’abord, on va continuer de s’appuyer sur l’expérience de Thierry, qui est maintenant notre directeur sportif le plus expérimenté. Fred, Jussi et Benoît connaissent parfaitement l’équipe également, car ils y ont couru plus d’une décennie et sont directeurs sportifs depuis plusieurs années maintenant. Ils ont envie, justement grâce à toutes les connaissances qu’ils ont de l’équipe, d’apporter leur petite touche, leur énergie. À ces quatre piliers, on ajoute donc deux petits nouveaux. Le premier d’entre eux est Yvon Caër. C’est quelqu’un qui possède un gros bagage technique, et pas seulement dans le vélo. Il a aussi une faculté à pouvoir discuter, échanger, mettre des projets en place et les accompagner. On sent que son expérience d’enseignant dans une zone difficile pendant plus de quinze ans a développé des facultés que nous, autres directeurs sportifs, n’avons pas. Tout ça couplé à l’expérience qu’il a vécu chez Arkéa-Samsic fait de lui un profil très complémentaire à celui des autres directeurs sportifs. L’autre petit nouveau est William Green, un jeune Néo-Zélandais. Son arrivée émane d’un souhait de tous, aussi bien du hautmanagement que de la direction sportive. Un souhait d’ouverture, l’envie de bénéficier d’un regard extérieur. Sans changer la culture de l’équipe, c’est une envie d’apporter d’autres éléments culturels, d’autres connaissances, un regard différent qui va nous obliger à répondre à ses questions, ses interrogations, et quelques fois à s’engager sur les pistes qu’il va nous suggérer. On a un chouette groupe de directeurs sportifs, qui a déjà mis plein de choses en place sur le stage de Calpe.
« L’opportunité était belle de pouvoir apporter du changement »
Qu’est-ce qui a poussé l’équipe à s’orienter vers ces profils singuliers ?
Rien ni personne ne nous a poussé dans ce sens. C’était vraiment une volonté en interne d’élargir le groupe à des compétences, qu’elles soient culturelles ou sportives, qu’on n’avait pas forcément, d’apporter une complémentarité, de nous obliger à nous poser des questions. Cette équipe a presque trois décennies d’âge, des habitudes ont été prises, et les changements ne sont pas souvent évidents à mettre en place dans le sport, même quand il est de haut-niveau. On faitsouvent les choses par habitude sans même plus se poser de questions. Ce dont on avait envie, c’était de se poser des questions. « Pourquoi on fait comme ça ? » La réponse est souvent la même. « Car on a toujours fait comme ça, et que ça marche ». « Mais est-ce qu’on ne peut pas faire différemment pour que ça marche encore mieux ? » C’était un peu ça l’idée. En outre, au-delà de l’aspect culturel, de sa jeunesse, et de son cursus un peu différent car il a fait des études en sciences du sport, l’idée en recrutant William était aussi d’avoir quelqu’un qui puisse communiquer dans la langue de Shakespeare. Le tout pour avoir encore plus de proximité avec tous nos coureurs anglo-saxons, et étrangers de manière générale. Même si beaucoup d’entre eux parlent maintenant un Français bien développé, quand tu peux t’exprimer sur des sujets difficiles dans la langue maternelle du coureur, c’est un vrai plus en termes de relationnel, de confiance et de subtilité du langage. On avait vraiment envie de faire cet effort, car on a maintenant plusieurs coureurs anglo-saxons, on est attachés à eux et on espère les avoir longtemps à nos côtés.
Ces deux arrivées externes sont une première dans le groupe des directeurs sportifs depuis toi-même, en 2019. Qu’est-ce cela change en termes de stabilité ?
Marc [Madiot] et David [Le Bourdiec] sont des dirigeants d’entreprise qui s’inscrivent dans la durée, dans la fidélité, qui font confiance à l’humain, et c’est peut-être aussi pour cela qu’il n’y a pas beaucoup de turnovers. Pour apporter du changement, il a finalement fallu attendre le départ à la retraite de Martial, Yvon et Franck. Mais je crois aussi qu’ils ont bien conscience que le monde change, vite, et qu’il faut s’adapter, se renouveler. L’opportunité était belle de pouvoir apporter du changement avec tous ces départs en « grandes vacances ». L’équipe se veut fidèle envers les hommes qui la composent. Maintenant, c’est à nous aussi d’honorer cette confiance. Du coup, l’arrivée des deux nouveaux doit aussis’inscrire dans la durée. On ne sait pas de quoi nos lendemains sont faits, mais on a un groupe très rajeuni. Avec 46 ans de moyenne d’âge, je pense qu’on doit être parmi les plus jeunesau niveau WorldTour, un peu comme on l’est avec les coureurs.
« Yvon me transmet un beau relais »
Souhaitais-tu partager quelques mots à l’égard d’Yvon et Franck, désormais retraités ?
J’ai déjà eu l’occasion de dire à Yvon ce que j’avais à lui dire. Je ne répéterai pas tout ici. En tout cas, j’ai eu la chance de travailler avec une belle personne, un passionné, qui a toujours fait de son mieux pour accompagner l’équipe au plus haut-niveau. Si l’équipe en est là au bout de vingt-sept ans d’histoire, c’est aussi et surtout grâce à tout le travail qu’il a accompli dans l’ombre. Yvon est quelqu’un d’humble, qui n’aime pas s’afficher, mais il me transmet un beau relais pour aller boucler ce relais éprouvant du 4x400m. Il m’a bien lancé et je le remercie pour ça. Franck, comme Yvon, va beaucoup nous manquer. Même s’il arrivait à l’âge de la retraite, il apportait de la fraîcheur, de l’envie, parfois de l’insouciance, et il avait toujours les mots justes quand les moments étaient difficiles. Sa joie de vivre va nous manquer. La nature a horreur du vide, et les vides sont toujours comblés, mais àtitre personnel, c’était chouette d’avoir pu travailler avec ces deux personnes dans ma vie de directeur sportif.
Qu’est-ce que le directeur du pôle sport attend de 2024 ?
J’attends la confirmation de l’éclosion de nos jeunes talents, et j’espère que je serai à la hauteur de la confiance qui m’a été donnée par Marc et David. Pour reprendre une phrase éminemment célèbre de Marc, j’attends qu’on fasse tourner le compteur, et qu’on le fasse tourner vite.
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