En débarquant au sein de la « Conti » Groupama-FDJ à l’hiver 2018, en provenance de son Angleterre natale, Jake Stewart a fait un pari qui a d’abord installé le doute parmi ses proches et quelques observateurs. Un an plus tard, tout s’apparente à un pari gagnant tant le jeune homme de 20 ans a réussi à s’imposer comme l’une des pièces maîtresse de l’équipe dirigée par Jens Blatter. À l’entame de sa saison 2020, nous l’avons rencontré pour en apprendre davantage sur lui, son parcours et ses aspirations futures.
C’est dans l’appartement de son compatriote et nouveau coéquipier Lewis Askey (avec qui il n’est pas contraint d’échanger en « broken english ») que la rencontre s’est effectuée. Nul doute que si elle avait eu lieu chez lui, Jake Stewart, pour l’occasion paré d’une boisson énergétique, aurait invité à déguster la spécialité maison. « J’ai une vraie passion pour le café, comme la plupart des cyclistes, nous a-t-il confié. J’ai ma propre machine, j’aime faire du café et je passe aussi beaucoup de temps à en boire. Cela vient probablement de mon père, qui avait aussi cet intérêt fort, mais j’ai également passé un an en Italie, et le café italien est évidemment le meilleur café du monde. Ça a commencé ainsi puis ça s’est développé progressivement ». Si bien qu’il est devenu exigeant en la matière. « Trouver un bon café en France, ce n’est pas simple… Café noir, expresso, ça va encore, mais mieux vaut ne pas demander un ‘’Flat White’’. On vous regarde comme si vous étiez fou. Vous ne savez pas ce qu’est un bon café avec du lait (sourires) ».
Son (seul) point fort en triathlon
Ce gentil tacle essuyé, Jake Stewart retrouve un ton bien plus déterminé au moment de nous raconter ses premiers pas dans le vélo. Il amorce : « Je pense que j’ai toujours voulu être coureur professionnel ». Tout du moins dès l’instant où il s’est rendu compte de ses aptitudes pour ce sport, qu’il a d’abord connu par l’intermédiaire du triathlon, dont son père et son oncle étaient des adeptes assidus. « J’ai commencé le vélo comme ça puis je me suis aperçu que j’étais nul en natation et en course à pied, que la partie vélo était la seule où je gagnais du temps, donc je me suis focalisé sur ça », résume le Britannique en toute simplicité. Débute alors son vrai cursus cycliste du côté de Solihull, dans la périphérie de Birmingham, deuxième ville la plus peuplée du Royaume-Uni et centre névralgiques des Midlands de l’Ouest. « C’est à 14-15 ans que je me suis mis en tête de prendre le cyclisme très au sérieux et d’essayer de devenir le meilleur coureur possible », se remémore-t-il. Au niveau régional, puis bientôt au plan national, Jake fait ses preuves et attire inévitablement l’œil de l’omniprésente institution British Cycling, en perpétuelle quête de talents, particulièrement dans l’optique de la piste et des Jeux Olympiques.
« J’ai intégré le programme de développement mis en place par la fédération dans un premier temps puis j’ai disputé ma première année Espoirs avec British Cycling, où l’accent était tant sur la route que sur la piste », décrit Jake. Lui-même à l’aise dans les vélodromes, et médaillé à l’échelle nationale et européenne dans les jeunes catégories, sur l’américaine ou en poursuite par équipes, Jake décide pourtant à 18 ans de s’éloigner progressivement de la piste. « En vue des Jeux Olympiques, il y avait des mecs beaucoup plus rapides que moi, le niveau est extrêmement élevé en Grande-Bretagne, justifie-t-il. Ce n’était pas impossible mais quand même très compliqué d’être sélectionné. Alors au lieu de me battre pour une place de cinquième homme pour la poursuite, je préférerais tenter d’aller rejoindre le WorldTour. Je pense que, de toute manière, j’ai toujours été plus attiré par la route ».
« Ma signature chez Groupama-FDJ a fait parler en Grande-Bretagne »
D’autant que ses ambitions sont suivies de résultats. Après une dernière année Junior conclue par une cinquième place aux Mondiaux de Bergen, le jeune Anglais démarre son aventure chez les Espoirs de manière tonitruante avec une deuxième place sur Gand-Wevelgem et une troisième sur le Trofeo Piva, deux épreuves d’envergure dans le calendrier de la catégorie : « Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai compris que je pourrais peut-être faire une carrière. C’est aussi à ce moment là que j’ai attiré l’attention de plusieurs équipes, dont Groupama-FDJ ». Confortablement installé au sein du cocon British Cycling, où il envisageait d’abord de poursuivre l’aventure au moins une année supplémentaire avant de postuler dans des équipes continentales britanniques, Jake Stewart a alors pris un certain risque, de l’avis de certains, en choisissant de tenter l’expérience française.
« La Groupama-FDJ m’a contacté dès le mois de mars et m’a présenté son projet, mais je n’ai finalement signé qu’en octobre car il fallait que j’évalue ce qui était le mieux pour moi, souligne Jake. Ma signature avec l’équipe a d’ailleurs fait parler chez British Cycling, dans la presse ou parmi les gens qui suivent simplement le vélo en Grande-Bretagne. Non seulement je rejoignais une toute nouvelle équipe, mais en plus une structure française. Et en Grande-Bretagne, beaucoup pensent que les équipes françaises et nous, coureurs britanniques, ne sommes pas compatibles. Mais personnellement, j’étais très content de cette décision, je voulais me détourner un peu de la scène britannique. Je serais resté confiné dans ma bulle, et derrière, si j’avais rejoint une Conti du pays, il aurait été plus difficile de me hisser en WorldTour derrière, surtout au vu du calendrier de course en Grande-Bretagne. C’était une vraie opportunité que celle proposée par Groupama-FDJ, de faire partie de l’équipe réserve d’une WorldTeam, d’être entièrement pris en charge et d’avoir une chance, à la fin de son contrat, de rejoindre le WorldTour ».
La principale condition imposée pour rejoindre la Conti, à savoir habiter à Besançon, en France, et donc se familiariser à une nouvelle culture et un nouvel environnement, n’était pour lui qu’une formalité. Ayant déjà transité par Manchester, l’Italie et la Belgique lors de son année avec British Cycling, Jake Stewart savait par le fait à quoi s’attendre et comment gérer une telle situation. « À vrai dire, vivre loin de la maison et l’indépendance que ça induit, ça me plait. La seule barrière au départ, c’est la langue, mais à partir du moment où essaie de s’y mettre, ça rend le reste plus simple ». Arrivé avec quelques bases, plutôt sommaires, lointains souvenirs de classes d’école, Stewart certifie que son français s’est aujourd’hui amélioré. « En tout cas, je me mets en situation pour l’apprendre, et de toute façon, on n’a parfois pas le choix, glisse-t-il. Si je fais des erreurs, ce n’est pas bien grave, et je trouverai toujours quelqu’un pour me corriger ». Ses coéquipiers de la Conti, par exemple.
Progresser en même temps que la « Conti »
En leur compagnie, il a l’an passé réalisé une première saison de belle facture, s’octroyant à titre personnel quelques podiums lors d’évènements particulièrement importants du calendrier espoirs, à l’instar d’Eschborn-Frankfurt ou du Triptyque des Monts et Châteaux. « Personne ne savait vraiment à quoi s’attendre car c’était l’année 1, mais je crois qu’on a été à la hauteur, estime Jake. Malgré des différences de nationalités, de cultures et dans notre vision du cyclisme, on a bien fonctionné ensemble et on a rendu compte de vrais résultats à la fin de la saison. C’était une bonne saison pour nous, et pour moi également ». S’il a aussi accroché une remarquable troisième place lors du Tour des Flandres Espoirs avec sa sélection nationale, Jake Stewart soulignait avant tout le travail déjà la pointe infusé au sein de la Conti au cours des premiers mois de son existence. « On se serait cru dans une WorldTeam, soutient-il. On était entouré à tout moment. Le staff de la WorldTeam transmet son savoir à celui de la Conti, qui essaie de répliquer le modèle pour nous en faire profiter, c’est un bénéfice énorme ». Avec les acquis de la saison passée et les nouvelles recrues, Jake prédit alors une saison encore plus fructueuse en 2020.
« Je pense qu’on a une très grosse équipe cette année, peut-être même plus forte que l’an passé, analyse le jeune Britannique. On a de très bons grimpeurs, de solides rouleurs et quelques cartes pour le sprint. L’idée est d’entretenir la dynamique de l’an passé, mais d’essayer de gagner plus. Je sais que l’équipe aspire à être reconnue comme l’une des meilleures écuries de « développement ». On ne l’a pas complètement montré l’an passé, certaines étaient meilleures que nous, mais je suis certain qu’on est capable de faire une grande saison à partir du moment où tout le monde tire dans le même sens. En tout cas, on s’entend à merveille et chacun est prêt à faire les sacrifices pour l’équipe ». Cette saison 2020, Jake Stewart l’effectuera essentiellement avec la Conti, mais la partagera aussi avec la WorldTeam, qui lui a d’ailleurs remis le pied à l’étrier mi-février sur le Tour d’Algarve, profitant de la nouvelle régulation de l’UCI permettant aux équipes mères d’emprunter des jeunes de leur pépinière. « Ça permet aux WorldTeams de voir par elles-mêmes quel coureur vous êtes et comment vous vous comportez plutôt que de l’entendra via le staff de la Conti, estime Jake. C’est en tout cas une opportunité pour les jeunes d’apprendre énormément ».
Un penchant pour les Classiques
Lui n’était pas étranger à ce type d’expérience, ayant eu l’occasion de disputer le Tour de Yorkshire (2018) et le Tour de Grande-Bretagne (2019) avec sa sélection nationale par le passé, mais son séjour lusitanien lui a de nouveau permis d’estimer la hauteur de la marche à gravir. « C’était ma première course de l’année et je n’étais pas donc au top de ma forme, rappelle-t-il néanmoins. Je voulais surtout aider l’équipe quand je le pouvais, mais évidemment, on a toujours envie de savoir où on se situe. Pour moi, c’était dans les sprints. J’ai malheureusement crevé le premier jour, et lors de la troisième étape, je me suis retrouvé en mauvaise position. La principale leçon que j’en ai retirée, c’est que dans une course de ce calibre, tout doit être précis et parfait. Si je produis cette même erreur chez les espoirs, ça n’aura pas autant d’incidence, je saurai toujours la rattraper. Mais dans le WorldTour, tout va tellement vite, le niveau est tellement élevé, qu’une erreur, même à cinq kilomètres de l’arrivée, peut vous coûter un bon résultat ».
Pour autant, ce ne sont pas les sprints massifs qui ont la faveur de Jake Stewart sur le long terme. Et s’il a bien acquis ses meilleurs résultats grâce à sa pointe de vitesse, il se voit évoluer vers un registre un peu plus spécifique. « Je ne suis en aucun cas un pur sprinteur, tranche-t-il. Je ne suis pas en mesure de rivaliser avec des gars comme Jakobsen, Groenewegen. Je sais que je ne suis pas assez rapide. Je pense que ma force s’exprime après une course difficile. Si ça se termine en petit groupe ou si la journée a été vraiment dure, j’ai encore la puissance pour faire un bon sprint. C’est sur les Classiques où je pense avoir mes meilleures opportunités. Je l’ai démontré à Gand-Wevelgem, au Tour des Flandres, sur Eschborn-Frankfurt. J’ai prouvé que je pouvais exceller sur ce genre de courses d’un jour. À l’avenir, c’est ce type de coureur que je veux essayer de devenir. En attendant, pour cette année, je vais essayer de confirmer ma saison 2019 et viser des ‘Classiques’ . J’aimerais être au départ en bonne condition et essayer de faire un bon résultat. Plus tard, il y aura aussi des courses comme le Tour de Normandie et le Tour de Bretagne, qui présentent des parcours difficiles et où j’aimerais aussi obtenir de bons résultats, au sprint notamment ». Enfin, il retrouvera par moments la WorldTeam, notamment courant avril, mais plus encore il l’espère cet été. Les occasions de faire ses preuves ne risquent donc pas de manquer.
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