Dans quelques semaines, Lorenzo Germani lancera sa deuxième saison au sein de la « Conti » Groupama-FDJ. Après une transition prometteuse dans les rangs Espoirs en 2021, le Transalpin de 19 ans veut continuer à confirmer ses qualités étalées dans la « botte » dans les jeunes catégories et passer à la vitesse supérieure. Nous sommes partis à sa découverte.
« Choisis d’entrer dans la mer par les petits ruisseaux », écrivait Saint Thomas d’Aquin. Originaire de Roccasecca (Latium), là-même où le célèbre homme d’église, théologien et philosophe a vu le jour, Lorenzo Germani a désormais la mer en vue. Mais c’est bien par de petits ruisseaux que son parcours s’est dessiné depuis une dizaine d’années. Pour remonter jusqu’à la source, il nous faut retrouver le Transalpin à ses neuf ans, lorsqu’il décide d’arrêter le football. « Je n’étais pas un champion, explique-t-il. Je n’étais pas très bon, ce n’était pas pour moi, alors j’ai pensé qu’il était mieux de changer de sport ». Il s’essaie notamment à la natation, mais l’élément déclencheur est son père, à peine licencié dans le club de la commune. « Il avait commencé à faire du vélo depuis quelques mois quand il m’a proposé d’en faire avec lui, reprend Lorenzo. Il n’a fait que très peu de courses amateures, car il en faisait surtout pour le plaisir. En plus, j’ai aussi rapidement eu des compétitions le week-end et on ne pouvait pas être à deux endroits à la fois. Du moment où j’ai pris le vélo, je ne l’ai plus lâché et je me suis concentré sur ça car je prenais énormément de plaisir à en faire. Le foot, ensuite, c’était juste quelques matchs entre potes ». Pour ce qui est du cyclisme, son apprentissage passe par les traditionnels slaloms, petits parcours et mini-sprints entre enfants du club, par ailleurs relativement peu nombreux du fait que le vélo ne soit pas extrêmement populaire dans cette région d’Italie. Les choses se précisent davantage à son entrée dans la catégorie minimes, en 2015.
Éclosion nationale chez les cadets
Après avoir récolté ses tous premiers bouquets autour de chez lui, Lorenzo Germani intègre l’A.S.D. Civitavecchiese et se voit dès lors offrir l’opportunité de courir dans un périmètre bien plus large et sur des épreuves aussi plus significatives. « Chez les Minimes, les parcours étaient un peu longs, entre trente et quarante kilomètres, et c’était déjà plus sympa, raconte-t-il. Quand les courses ont commencé à être plus longues, et plus dures, j’ai aussi commencé à avoir des résultats et à gagner un peu plus de courses. J’ai progressé petit à petit, tranquillement ». À travers le Latium, l’Ombrie et les Abruzzes, le jeune homme collecte alors pas moins de dix succès à l’occasion de ses deux années dans la catégorie. Son potentiel devient évident et une véritable dynamique l’accompagne à son arrivée parmi les Cadets. Avec le Velosport Ferentino, club situé dans sa Province d’origine, il continue d’épater, et cette fois-ci en Toscane, dans les Marches, dans le Molise ou bien même en Campanie. « La première année j’ai gagné sept fois, et la deuxième seize fois, détaille-t-il. Je courais un peu partout en Italie et c’est vrai que je marchais bien. Je n’étais pas si fort que ça au début, mais avec le temps, j’ai aussi réussi à gagner des courses dans le Nord. En Italie, il faut distinguer le Nord et le Centre-Nord du reste. Les courses les plus importantes et les plus difficiles sont là-bas. Mais paradoxalement, pour moi, il était plus difficile de gagner chez moi car tout le monde m’observait. C’était moins le cas dans le Nord. À cet âge-là, j’étais performant mais sans être trop entraîné. J’étais surtout intelligent en course et c’est ce qui me permettait également de gagner beaucoup ».
Ce n’est toutefois grâce ni à l’opportunisme, ni à l’intelligence, mais bien à ses jambes qu’il décroche en fin d’année 2018 le plus prestigieux succès de sa jeune carrière. À Villadose, en Vénétie, il est couronné champion d’Italie du contre-la-montre. Autre témoin éclatant de son évolution, il termine deuxième du classement général des cadets en Italie, et premier Transalpin derrière le Tchèque Mathias Vacek. Son passage dans la catégorie est une réussite totale, et il la ponctue aux Herbiers mi-octobre avec une troisième place sur le Chrono des Nations, sa toute première compétition à l’étranger. « C’était vraiment super et intéressant, se remémore-t-il. Le résultat n’était pas mal non plus étant donné que j’ai souffert de crampes sur les deux derniers kilomètres. J’étais premier à l’intermédiaire, mais j’ai perdu un peu de temps dans la deuxième partie. Pour l’anecdote, on avait fait l’échauffement au bus Groupama-FDJ car notre directeur sportif connaissait du monde dans l’équipe, notamment car Samuele Manfredi était sur le point de rejoindre la Conti. Je ne sais pas si c’était un signe, mais pour un cadet, c’est une grosse émotion de se retrouver dans un environnement professionnel ». Et ce n’est pas la seule anecdote de cette journée. Au terme de l’exercice solitaire, il concède en effet la deuxième place pour seulement une demi-seconde à … Eddy Le Huitouze, qu’il retrouvera en 2022 sous les couleurs de la Conti. À cet instant-là, et malgré un Curriculum Vitae déjà bien garni, Lorenzo Germani se veut les pieds sur terre. Pour lui, le chemin est encore long avant d’atteindre la mer.
Éloignement « indispensable » et saisons tronquées
« En réalité, je pense que j’ai eu l’objectif de passer professionnel dès l’instant où j’ai débuté le vélo, avance-t-il. Quand je commence quelque chose, je veux toujours viser le plus haut. Or dans ce sport, le plus haut, c’est passer pro. Plus jeune, je suivais aussi le vélo sur internet, à la télé, et j’étais vraiment fasciné par le monde professionnel. J’avais envie d’être à leur place. En cela, les années cadets n’ont donc rien changé dans mon esprit, car on est encore très jeune et on ne sait pas comment ça peut évoluer. C’est à partir des Juniors que ça devient plus révélateur. Moi, j’étais juste concentré à faire du mieux possible, à faire les choses bien, sans trop m’entraîner et faire des choses trop poussées pour autant. Je crois qu’à cet âge, il est très important de garder la notion de divertissement ». Ce qui n’empêche pas le jeune Transalpin d’être ambitieux, et de savoir ce qu’il veut. Pour atteindre son objectif, il doit donc changer de cours d’eau. Plus concrètement, il s’exile à cinq-cents kilomètres au Nord en rejoignant l’équipe Juniors du Work Service Romagnano à Massa, en Toscane. Lui y voit alors surtout une chance. « C’était indispensable, car comme je l’ai déjà dit, le cyclisme n’est pas un sport très développé dans ma région, justifie-t-il. J’ai préféré rejoindre ce club, changer de ville et continuer à progresser. Le calendrier et l’organisation de l’équipe étaient parfaits pour mon développement ». Âgé d’à peine 16 ans, il se retrouve éloigné de ses parents et de ses proches. Il concède quelques périodes « difficiles », mais témoigne aussi de sa gratitude envers les dirigeants du club, constamment à son soutien, et décrit « une expérience de vie importante ».
Son projet sportif connaît néanmoins un contretemps dès son entrée dans la catégorie Juniors. Le 9 janvier 2019, Lorenzo chute lourdement lors d’une sortie d’entraînement et subit une fracture du fémur droit. Il rate de fait les premiers mois de compétition et ne parvient pas à retrouver sa meilleure forme à son retour, bien que victorieux à trois reprises en deuxième partie de saison. « J’ai aussi souffert d’une lésion à l’autre jambe et ça m’a posé beaucoup de problèmes pendant la saison, ajoute-t-il. Je n’ai jamais réussi à marcher fort. J’ai pu faire quelques résultats en fin d’année, mais sans plus. Ce n’est pas ce que j’avais espéré en démarrant la saison ». Un grand souvenir demeure néanmoins. Le 9 juin, cinq mois jour pour jour après son accident, il signe son retour au premier plan avec un succès sur la Ciociarissima, sur ses terres et devant les siens. Cette année-là, il revêt aussi pour la première fois le maillot de la Squadra Azzura à l’occasion du LMV Saarland Trofeo, en Allemagne, et termine huitième du champion d’Italie du chrono. Cela étant, c’est bien un état d’esprit revanchard qui l’anime à l’aube de la saison 2020, durant laquelle il vise à confirmer son potentiel affiché précédemment. « J’étais vraiment motivé pour ma deuxième année junior, j’avais fait une belle préparation, pointue, mais au moment de démarrer la saison, le Covid est arrivé, rapporte-t-il. Psychologiquement, ça a été difficile pour moi, surtout après ma première saison tronquée. J’étais démotivé, énervé, mais j’ai continué à m’entraîner sur le home trainer. Quand on a pu reprendre, j’étais tellement heureux ».
« Quand je suis venu pour la première fois à Besançon, j’ai été vraiment impressionné »
Heureux, et remotivé. Lors de la petite poignée de mois de compétition restante, Lorenzo Germani s’octroie deux victoires mais se démontre également très performant lors des rendez-vous au maillot « tricolore ». Il achève le contre-la-montre à une honorable cinquième place, mais passe surtout très proche du titre lors de la course en ligne, simplement battu dans un sprint à deux pour la gagne. « J’étais dégoûté, se souvient-il, amer. Le championnat était organisé par mon équipe, je connaissais bien le parcours, et si la bosse avait été un peu plus longue, j’aurais sans doute pu faire mieux… Enfin, ce n’était quand même pas mal ». Se profile alors 2020, et la catégorie Espoirs. Ayant terminé le lycée, l’Italien aspire à une expérience à l’étranger pour continuer à gravir les échelons. Cependant, la très courte saison et l’annulation de nombreux événements internationaux n’ont pas permis à tous les jeunes de pouvoir démontrer leurs qualités. « En plus, la première année Juniors n’avait pas été simple pour moi personnellement, rappelle-t-il. Au final, on a réussi à trouver une place dans la Conti et je suis vraiment heureux que ça ait pu se concrétiser ». Et dès le mois d’octobre, il se familiarise avec son nouvel environnement. « C’était incroyable, confie-t-il. Quand je suis venu pour la première fois à Besançon, j’ai été vraiment impressionné par la structure, l’organisation, le matériel… Par tout, en fait ! Je n’aurais jamais imaginé ça. Il n’existe pas de telles structures en Italie, et j’étais forcément très content de mon choix. Ici, tu n’es certes pas en WorldTour, mais je ne pense pas qu’il n’y ait beaucoup d’équipes comme la nôtre. C’est une chance d’en être ».
Fort d’une première aventure loin du foyer familial, et malgré un déménagement cette fois-ci au-delà de ses frontières, le Transalpin de 18 ans connaît une adaptation relativement douce en Franche-Comté et au sein d’une équipe au caractère international. Son Anglais et son Français sont certes imparfaits, mais les progrès sont rapides et flagrants – au point qu’il retrace aujourd’hui son parcours dans la langue de Molière. « Au début, c’était à la fois cool et difficile, mais c’était surtout cool, sourit-il. Je prenais du plaisir à apprendre des autres, mais aussi à apprendre des cours que nous proposait l’équipe. Et puis m’entraîner avec mes coéquipiers, aller sur les courses, c’était juste génial ». Les courses, précisément. En tant que première année Espoirs, Lorenzo s’y présente la majeure partie du temps en tant qu’équipier, tantôt pour les sprinteurs, tantôt pour les grimpeurs. Cela s’inscrit aussi parfaitement dans sa propre volonté d’apprentissage. « En démarrant la saison, mon objectif était de progresser, je ne voulais pas trop regarder mes résultats, décrit-il. Je n’avais qu’une idée en tête : progresser, travailler, et faire ce que l’équipe me demandait. C’est aussi mon travail. Au début, ça n’a pas été simple. L’année précédente, on avait peu couru, et sur des distances assez courtes. Cette année, j’ai commencé à faire des courses plus longues, plus difficiles, par étapes, et je l’ai payé à la fin du mois de mai. J’étais vraiment fatigué au point que j’en étais parfois nul. Mais j’ai réussi à récupérer, j’ai suivi les conseils de mon entraîneur et j’ai fait une bonne deuxième partie de saison pour ma première année Espoirs ».
L’attaque pour credo
L’Italien parvient même à obtenir des résultats personnels significatifs à l’occasion du Tour du Pays de Montbéliard, non loin du siège de l’équipe. Onzième du prologue, offensif et deuxième du seconde acte, leader virtuel durant la troisième et dernière étape, il se classe au bout du compte deuxième du classement général, signant ainsi ses premiers faits d’armes à ce niveau. « J’étais vraiment en forme et motivé, resitue-t-il. Il était possible de gagner mais ça n’a pas tourné en ma faveur cette fois-ci. C’est toujours important d’avoir des résultats, pas seulement pour moi-même, mais pour remercier toute l’équipe de ce qu’elle fait pour moi : je parle des coureurs, mais aussi du staff tout entier. J’ai beaucoup appris cette année et ça a été une étape très importante pour ma progression. Je pense qu’avec l’expérience, je pourrai aussi éviter certaines erreurs à l’avenir. La transition s’est bien passée et je suis content de moi, de ce que j’ai fait. Je n’ai pas réalisé beaucoup de résultats à titre personnel, mais je pense que j’ai été un mec important pour l’équipe ». Avec un regret de poids néanmoins dans ce premier exercice avec la Conti. « J’étais encore plus en forme pour les dernières courses de la saison, mais malheureusement, j’ai été blessé dans un accident à l’entraînement à la mi-septembre, regrette-t-il. J’étais extrêmement motivé pour faire des résultats, et au moment où j’arrivais au top de ma forme, j’ai été stoppé net. C’est vraiment dommage ».
Depuis ce malheureux événement, le jeune homme a repris l’entraînement, qu’il effectue de temps à autres avec sa petite-amie, également membre d’une équipe de développement. Il se fait désormais une hâte de démarrer la future saison. « Je n’ai pas d’objectifs précis, mais je veux faire des résultats, me découvrir encore un peu davantage et continuer à progresser, avance-t-il. Et s’il y a encore du travail à effectuer, je continuerai à le faire ». Il espère également connaître de nouvelles expériences avec l’équipe WorldTour, ayant déjà pu participer à la Mont Ventoux Dénivelé Challenge cette année, et cerner encore un peu plus précisément son profil. « Il y a un an, il m’était encore difficile de répondre à cette question mais je pense que c’est devenu un peu plus clair cette saison, dit-il. J’aime bien les parcours vallonnés, avec des finals difficiles. J’aime les bosses, mais pas trop longues, même si je peux bien grimper quand je suis en forme. En 2021, ce n’était pas extraordinaire au niveau du chrono (10e du championnat d’Italie, ndlr), mais je pense que je peux progresser à ce niveau-là car c’est une discipline que j’aimais beaucoup chez les cadets et chez les juniors ». Sa philosophie, quoi qu’il soit, demeure l’attaque. Cela se traduit notamment par son hashtag préféré sur les réseaux sociaux, #StayAggressivo (Reste offensif), et par son affection pour des coureurs comme Tim Wellens et Thomas De Gendt. « Ils ne calculent pas, soutient celui qui rêve du Tour des Flandres et du Giro. Sinon, je n’ai pas de coureur préféré. J’admire tous les coureurs car je sais à quel point le cyclisme est difficile ». Et que chacun d’eux a effectué, comme lui, ce long trajet de la source jusqu’à la mer. À travers les petits ruisseaux.
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