19 000 kilomètres. C’est à vol d’oiseau la distance approximative qui sépare la ville natale de Laurence Pithie, Christchurch, et sa ville d’adoption pour les deux prochaines saisons, Besançon. À tout juste 18 ans, l’ancien double champion du monde Juniors sur piste a ainsi fait le choix audacieux de traverser le globe pour assouvir son rêve de professionnalisme, et ce par le biais de la « Conti ». Dans l’optique de le connaître davantage, nous sommes partis à sa découverte.
Un destin se joue parfois à peu de choses. Laurence Pithie peut en être témoin. Aujourd’hui cycliste professionnel au sein de la « Conti » Groupama-FDJ, le Néo-Zélandais de 18 ans ne se prédestinait pourtant pas, originellement, à un avenir sur deux roues. Dans ses plus jeunes années, rythmées par une pratique sportive diversifiée et quasi-quotidienne, sa préférence allait plutôt à la course à pied. Plus précisément, le natif de Christchurch (île sud du pays) était un coureur de cross accompli sur les épreuves de demi-fond. « J’ai commencé à courir étant petit, et j’ai toujours aimé ça », amorce-t-il. En 2014, il doit pourtant temporairement mettre ses baskets au placard en raison d’une blessure au genou. « Mon frère et mon père faisaient tous les deux du vélo, alors j’ai commencé à en faire également, explique Laurence. À la base, c’était simplement pour rester en forme et m’occuper en attendant de pouvoir reprendre la course ». Il livre ainsi cette confession : « S’il n’y avait pas eu cette blessure, je ne me serais probablement pas essayé au vélo ». Cela malgré un contexte visiblement favorable au sein du cercle familial. « Le cyclisme a toujours été là, en arrière plan, assure-t-il, mais ça n’a été mon sport préféré que bien plus tard. Mon père était un vrai cycliste, il faisait de grandes sorties après le travail ou le week-end. Si on re-visionne des vidéos de mon anniversaire – qui est en juillet -, pendant que je déballe mes cadeaux, on peut entendre en fond les commentateurs du Tour de France ».
De champion pluridisciplinaire à cycliste à part entière
De temps à autre, le jeune garçon se poste lui aussi devant l’écran, sans pour autant que cela ne l’enthousiasme. « Je trouvais ça ennuyeux à regarder, ce qui est une réflexion intéressante à la lumière de ma position actuelle », plaisante-t-il. En revanche, sa passion pour la pratique se renforce elle de mois en mois, et il note rapidement ses capacités à l’échelon local. Ce qui le pousse à poursuivre le cyclisme, même une fois sa blessure au genou soignée et mise de côté. Il prend notamment part au « School Cycling » le mercredi après-midi à compter de 2015. « J’ai débuté du plus bas niveau, mais j’ai vite grimpé les paliers, se remémore-t-il. Dès 2016, je me retrouvais à affronter des gars 3-4 ans plus vieux que moi, car les groupes sont établis par niveau, pas par âge. Je courais par exemple contre mon frère. Cette année-là, justement, j’ai réussi à remporter le trophée de l’école pour deux points devant lui. C’est un peu comme ça que tout a commencé ». Comme tout bon « Kiwi » qui se respecte, il s’essaie aussi très vite à la piste. Dès la catégorie minime, il participe ainsi à un programme régional de six semaines « qui a produit de nombreux champions du monde ». Il y apprend les rudiments de la discipline, découvre une nouvelle facette du cyclisme et se montre là aussi performant dès ses premières compétitions. « C’est intéressant, remarque-t-il. À l’époque, j’étais assez doué dans la mesure où je n’avais pas vraiment besoin de m’entraîner beaucoup ou spécifiquement pour une discipline. Je me présentais le Jour J pour faire mon truc, et ça marchait plutôt bien ».
L’année 2016 s’avère être une illustration éclatante des capacités naturelles du jeune homme. Dans sa catégorie d’âge (il a alors 14 ans), Laurence Pithie devient champion de Nouvelle-Zélande en … cross, cyclisme sur piste, cyclisme sur route, triathlon et duathlon. « C’était une très belle année pour moi », dit-il humblement. Bien qu’extrêmement fructueuse, cette saison amorce aussi un tournant pour le jeune homme. Fin 2016, il met de côté son premier amour, la course à pied, pour se dédier au cyclisme. « Il y a à Christchurch un très bon entraîneur du nom d’Andrew Williams, expose-t-il. Il a vu mon potentiel mais il voulait que j’arrête de courir, pour éviter un surentraînement. C’était la condition si je voulais qu’il me coache, et j’en avais vraiment envie. J’avais aussi besoin de discipline et d’une routine. Je n’ai donc plus couru depuis, si ce n’est en 2017 lorsque j’ai disputé le championnat national qui se tenait dans ma ville natale. J’ai terminé huitième sans entraînement, et c’est tout ». Dès sa première année « à plein temps » sur le vélo, Laurence Pithie est conforté dans sa décision. Il signe ainsi plusieurs succès sur piste mais se distingue également très nettement sur route, face à une concurrence plus relevée chez les cadets. En cours d’année, il devient vice-champion de Nouvelle-Zélande du chrono dans la catégorie. « C’est à ce moment que j’ai vraiment été remarqué », estime-t-il. L’année suivante, il fait encore mieux, accrochant la médaille d’or dans la discipline. Quelques mois plus tard, cela lui vaut d’obtenir une place au sein de la Team Skoda-Fruzio.
Le « tournant » des titres mondiaux
« J’ai eu l’opportunité de rejoindre la meilleure équipe sur route de Nouvelle-Zélande, relate Laurence, et c’est à ce moment-là que j’ai réalisé qu’il y avait quelque chose à faire dans le cyclisme. Je suis passé d’un gamin qui faisait des courses à l’école à un coureur qui participait aux plus grandes courses du pays. Cette équipe a formé des coureurs WorldTour comme Patrick Bevin ou Robert Stannard. Si tu rejoins cette structure, c’est généralement que tu as du potentiel. Je suis vraiment passé au niveau supérieur et j’ai commencé à avoir un aperçu du « vrai » cyclisme en affrontant des Elites et des Espoirs, alors que je n’étais que Junior. Dès lors, il n’y avait plus de retour en arrière possible ». Bien au contraire, le jeune homme continue d’avancer, et de se faire un nom dans le paysage cycliste néo-zélandais. Profitant dès lors d’un matériel, d’une logistique et d’un accompagnement renforcés, Laurence Pithie réalise en 2019 une saison en tout point accomplie. Sur route, il est à la fois vice-champion de Nouvelle-Zélande et d’Océanie du contre-la-montre, mais aussi champion national du Critérium. Sur piste, il est couronné sur l’Omnium à l’échelon national mais surtout, sacré champion du monde dans l’Omnium et l’Américaine en fin d’année, à Berlin. « J’ai toujours envie de gagner, et je cours pour ça, mais venant de ma petite île et n’ayant jamais couru en Europe auparavant, je n’avais aucune idée de ce que je valais face à une concurrence internationale, rappelle-t-il. C’était une grande surprise de repartir avec deux titres. C’était incroyable de revenir de l’autre côté du globe, de dire « j’ai été le meilleur au monde » et d’avoir des médailles et des maillots pour le prouver. C’était un vrai tournant, car honnêtement, je ne m’y attendais pas ».
Quelques semaines plus tard, il exhibe ses bandes irisées sur les championnats d’Océanie et fait honneur à son statut en s’adjugeant l’or sur l’Omnium, mais en s’emparant aussi du titre sur la Course Scratch. Au cours de cet hiver 2019-2020 (l’été chez lui), il complète sa collection de titres nationaux sur piste puis s’envole pour l’Europe en mars, théoriquement pour trois mois, afin de se tester sur les courses sur route du Vieux Continent. À peine arrivé aux Pays-Bas, il doit pourtant rebrousser chemin. La crise du Covid-19 débute à peine, et la saison cycliste est temporairement suspendue. « Je suis rentré en Nouvelle-Zélande et on est entré en confinement, explique le jeune homme. Les Mondiaux sur piste, qui étaient mon objectif de l’année, ont été annulés, et même chose pour les Mondiaux sur route. Avec le recul, j’aurais finalement pu continuer l’école une année de plus, mais j’avais déjà pris la décision de tout donner pour essayer de rejoindre le niveau supérieur ». À ce titre, 2020 n’a d’ailleurs pas été une année complètement vaine. Durant le confinement, son agent Manuel Quinziato engage en effet des pourparlers poussés avec certaines formations. « Parmi elles, il y avait la Conti, poursuit Laurence. Nous avons pris tous les paramètres en compte pour savoir quel environnement serait le plus propice à ma progression, et notre choix s’est porté sur la Groupama-FDJ. Jens m’a appelé, m’a parlé de l’équipe et tout avait l’air génial. L’équipe a un beau calendrier et a prouvé qu’elle savait développer les jeunes. C’était une super opportunité pour moi de la rejoindre. Mon objectif est d’atteindre le WorldTour et je suis convaincu que je peux y parvenir en passant par la Conti ».
« Moi aussi je déménage, mais à l’autre bout du monde »
Avant de reprendre la direction de l’Europe, pour de bon cette fois-ci, Laurence Pithie achève d’abord cette année 2020 très spéciale avec une médaille de bronze sur son championnat national du contre-la-montre et une neuvième place (3e meilleur U23) sur le Tour of Southland. Deux mois plus tard, il reprend lors de la New Zealand Cycle Classic (2.2), sous ses couleurs nationales, et décroche trois top-10 à titre personnel et un succès collectif lors du chrono par équipes d’ouverture. S’ensuit une apparition pas à la hauteur de ses espérances sur son championnat national, puis … le temps des « au revoir ». « Quand tu viens de Nouvelle-Zélande et que tu veux faire du vélo ta vie, il faut quitter la maison, soutient Laurence. Il n’y a pas d’autres options C’est évidemment un grand changement dans une vie, surtout si jeune, mais dans ce sport, c’est un sacrifice qu’il faut faire pour devenir meilleur et atteindre le plus haut niveau. C’est difficile de s’éloigner de ses proches, mais je crois que tout le monde doit y passer un jour ou l’autre. Certains déménagent en Nouvelle-Zélande. Moi aussi je déménage, mais à l’autre bout du monde. C’est la façon dont je vois les choses ». C’est toutefois avec un visage familier, celui de Reuben Thompson, lui aussi recrue de la Conti, qu’il effectue cette transition. « Cela a clairement facilité les choses, reconnaît-il. Ça fait du bien d’avoir quelqu’un avec le même accent, et ça aurait forcément été plus délicat sans un compatriote Kiwi ».
Son premier contact tangible avec la Conti s’opère finalement en Italie, à l’occasion du stage de début de saison. Et le Néo-Zélandais est immédiatement saisi. « J’ai passé la douane, je suis sorti de l’aéroport, j’ai vu le van de l’équipe avec les logos et ça m’est paru surréaliste, raconte-t-il. Ça a toujours été un rêve de rejoindre une équipe comme celle-ci. En Nouvelle-Zélande, on ne voit ce maillot et ces logos qu’à la télé… Arriver en Italie, rencontrer tout le monde, recevoir le vélo et les tenues de l’équipe, c’était tout simplement incroyable. Je me suis senti extrêmement privilégié ». Il en profite naturellement pour faire plus ample connaissance avec ses coéquipiers, dans des conversations qui mêlent Anglais et … Français. « Je l’ai un peu étudié à l’école, précise-t-il. Je peux le lire et l’écrire. La difficulté est davantage de comprendre quand les coureurs et le staff parlent vite. J’ai encore un peu de mal avec ma prononciation sur certains mots, mais le fait d’être immergé dans la culture et de suivre les cours organisés par l’équipe va forcément me faire progresser ». Après quelques semaines sur le sol hexagonal, le jeune homme soutient d’ailleurs que « l’intégration s’est vraiment faite en douceur » et que la « structure de l’équipe, professionnelle et de haute qualité » lui a « rendu la tâche facile ».
Passionné par les Classiques, prime à la polyvalence
S’il est ravi de découvrir un nouvel environnement et de se forger une expérience personnelle, Laurence Pithie n’en oublie pas son objectif premier. En rejoignant la Conti, il s’est ouvert la voie à un avenir dans le cyclisme professionnel, quitte à mettre de côté la piste. « Pour attirer l’œil d’équipes comme Groupama-FDJ quand on vient de Nouvelle-Zélande, il faut briller par des résultats sur piste, assure-t-il. Mais la piste a toujours été pour moi un moyen de me montrer, de me frayer un chemin. Mon objectif ultime a toujours été de rejoindre une équipe WorldTour et pour le moment, j’ai entièrement mis l’accent sur la route. C’est aussi là où je me sens le plus à l’aise désormais ». Son passage par les vélodromes lui sert pourtant encore aujourd’hui dans son profil de routier, étant doté d’une bonne pointe de vitesse et à l’aise dans l’exercice du contre-la-montre. S’il exclut pour l’heure la case « grimpeur », Laurence Pithie revendique une affection pour les bosses « punchy » mais souhaite surtout garder un champ des possibles le plus large qui soit. « Je pense que cette année sera déjà un bon indicateur de mon réel profil, dit-il. J’espère participer à différents types de courses, je ne veux pas me limiter. On voit de nos jours que les coureurs sont très polyvalents. C’est toujours une bonne chose d’avoir un bel éventail de qualités, et c’est ce vers quoi j’aimerais tendre ».
En tant qu’admirateur de Tom Boonen et de son « style offensif », le Néo-Zélandais doit toutefois reconnaître un attrait tout particulier pour les Classiques. « Ce sont les courses les plus excitantes, celles que je préfère regarder par rapport à des étapes de Grands Tours souvent plus ennuyeuses, sourit-il. Quand on est devant les Strade Bianche, on est accroché à son siège, on ne sait jamais ce qui va se passer. C’est ce type de courses que j’aime regarder et auxquelles j’aimerais prendre part à l’avenir ». D’une certaine manière, il y a déjà goûté. C’est en effet par deux semi-Classiques en Belgique, à savoir Le Samyn et le Grand Prix Monseré, que le natif de Christchurch a disputé ses premières courses avec la Conti. Deux épreuves de Classe 1, bien loin des standards auxquels il était jusque-là habitué. « En Nouvelle-Zélande, un gros peloton consiste en 80 coureurs, note-t-il. Au Samyn, il y en avait presque 200, et sur des petites routes ! C’était une expérience vraiment nouvelle pour moi, et une sacrée course pour mes débuts en Europe. J’avais du mal à me placer, mais j’ai déjà eu la sensation de m’améliorer sur le Grand Prix Monséré ». À cette occasion, il a ainsi contribué à la solide dixième place de Rait Ärm, mais a également subi une grosse chute dans la dernière ligne droite, s’en tirant sans grands dommages bien heureusement.
« C’était en tout cas impressionnant de s’aligner contre des coureurs du WorldTour, reprend-t-il. Ça roulait beaucoup plus fort que tout ce que j’avais connu par le passé. C’était un beau morceau pour commencer, mais c’est ce qui permet aussi de progresser. On apprend énormément en affrontant des coureurs plus âgés et plus expérimentés. J’ai fait quelques erreurs sur ces courses, mais l’essentiel est d’en tirer les leçons et de les corriger à l’avenir ». Trois semaines plus tard, il n’en a d’ailleurs commis aucune dans le final du Grand Prix Adria Mobil, mettant parfaitement en orbite son coéquipier Marijn van den Berg pour ouvrir le compteur de la Conti, et accrochant lui-même la quatrième place de l’épreuve. Son premier résultat notable sous ses nouvelles couleurs. Sans doute pas le dernier.
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