Deuxième coureur le plus jeune de l’effectif de la Conti Groupama-FDJ en 2020, Hugo Page est aussi le premier Français dont nous partons À la découverte dans cette rubrique éponyme. Champion de France Juniors du contre-la-montre la saison passée, le jeune homme de 18 ans s’est imposé comme l’un des meilleurs Français de sa génération depuis les rangs cadets, quand il remportait alors … le Trophée Madiot. Loin d’être une coïncidence. Dans l’attente, impatiente, de poursuivre son apprentissage, il retrace aujourd’hui son parcours.
La France est en pleine euphorie du ballon rond lorsqu’Hugo Page voit le jour, un an après le succès à l’Euro 2000 lui-même consécutif au sacre du Mondial 98. Le cyclisme, dans le même temps, éprouve toutes les difficultés à se relever et se crédibiliser. Comme nombre des enfants de sa génération, c’est donc plutôt à travers le foot qu’il initie sa pratique sportive quelques années plus tard. « Mais je n’étais pas très fort, même pas fort du tout », s’en amuse-t-il aujourd’hui. À neuf ans, il abandonne donc les crampons et, sous la houlette de son père, ancien coureur amateur de première catégorie, saute sur un vélo de route. « On a fait une sortie ensemble, avec mon grand-père, et j’ai simplement continué depuis ». Le jeune garçon originaire de Chartres intègre un club dès ses années pupilles (9-10 ans) et son appétit pour la compétition grandit rapidement. « Dès le début, je voulais faire la course avec mon père à l’entraînement. Et dès mes premières courses, je voulais essayer de gagner ».
Cannibale en minimes, tourné vers le Trophée Madiot en cadets
Cet état d’esprit, et déjà une certaine rigueur à l’entraînement, l’animent durant ces premières années de pratique. Elles le conduisent aussi à sur-dominer le circuit régional lors de sa deuxième année chez les minimes. À 14 ans, il remporte 30 des 31 courses auxquelles il prend part. « Je pense que j’avais déjà des qualités. Je ne m’entraînais pas forcément beaucoup mais suffisamment pour ma catégorie d’âge, relate-t-il. Je pense que j’étais déjà assez développé physiquement pour un minime, ça a pu m’avantager. Et puis, une fois que tu gagnes 4-5 courses, tu as également un avantage psychologique sur les autres au départ ». Aussi affolantes soient-elles, de telles statistiques ne sauraient garantir un avenir dans le cyclisme, particulièrement à un âge si peu avancé. Elles apportent en revanche certainement une dose de motivation supplémentaire. « Déjà à ce moment-là, certains me parlaient d’un futur dans le vélo, mais avec ma famille, on était juste content que ça se passe bien. Je ne me projetais pas vraiment vers l’avenir, je profitais simplement du moment et j’avais juste hâte d’être au prochain week-end, j’avais juste envie de courir tout le temps », complète Hugo.
Plutôt que de préfigurer de son cas, l’Eurélien profite donc sobrement de sa passion – les succès aidant, il faut bien le dire. Il n’empêche, le jeune homme a bien conscience de son potentiel, et celui-ci n’échappe pas non plus à sa famille, alors « à bloc » derrière lui, et qui prend certes « du plaisir » mais aussi le temps de l’accompagner un peu partout. Chose d’autant plus vraie à son entrée chez les cadets ; « une toute autre histoire », glisse-t-il. Il doit désormais sortir fréquemment de son territoire afin de rencontrer une adversité plus dense et nationale. Le Trophée Madiot apparaît comme la plateforme idéale. « J’avais envie de participer aux plus grandes épreuves de France chez les Cadets. Et la plus grande épreuve, c’est le Trophée Madiot, soutient-il. En Cadets 1, j’ai participé à quelques manches pour prendre de l’expérience et faire quelques résultats, mais en Cadets 2, c’était mon réel objectif de l’année. Cela me tenait d’autant plus à cœur car, qui dit Madiot dit Groupama-FDJ (FDJ à l’époque, ndlr), et c’était déjà mon équipe préférée ». En 2016, pour sa saison « de chauffe », il obtient déjà quatre top 10 et se classe dixième du général. Plus conquérant et surtout plus fort l’année suivante, il s’adjuge les deux chronos au programme de la compétition et réalise deux tops 10 avant d’aborder la huitième et dernière manche dans la position de leader.
Les mots d’Yvon et la confirmation
Dans les rues de Laval, il prend pourtant lui-même l’initiative, donnant un peu plus d’aplomb à un adage bien éculé. Il se classe deuxième de la course et récolte non seulement le trophée du général mais aussi quelques louanges d’un acteur bien particulier. « Yvon [Madiot] avait tenu des propos qui m’avaient marqué après ma victoire finale, se souvient-il. Il était satisfait de mon attitude. Il disait que je m’étais comporté en patron, que je méritais cette victoire et qu’il espérait me revoir prochainement plus haut. Franchement, je pense que c’est ce qui m’a donné envie de faire les choses encore plus sérieusement, de continuer à faire des efforts pour un jour essayer d’intégrer son équipe. C’était hyper motivant à l’époque, mais aujourd’hui encore, il m’arrive parfois de regarder la vidéo, et ça me motive toujours ». Ce sacre dans le Trophée Madiot fait aussi office de tournant. « Je commence à me dire qu’il est possible de faire quelque chose dans le vélo, confesse Hugo, alors âgé de 16 ans. D’autant plus que j’avais aussi réalisé quelques tests physiques à l’hôpital, et qu’ils avaient été bons. Tout ça m’a permis d’intégrer la BTWIN U19 en juniors 1, qui était encore appuyée par la FDJ quand je me suis engagé avec eux. À ce moment là, j’ai pris conscience que ça commençait à être sérieux ».
Sérieux, il l’a en tout cas toujours été à l’entraînement. « Je n’en sautais pas un, aussi car j’aimais ça », rappelle-t-il. Toutefois, la nouvelle marche à franchir avec l’accès à la catégorie juniors l’a logiquement conduit à quelques ajustements dans sa vie quotidienne. « C’est le moment où j’ai commencé à faire bien plus attention à la nutrition, à la récupération et tout le reste. Avant ça, je m’amusais avant tout. Là, il fallait davantage cadrer les choses ». Tout en menant ses études de front pour s’assurer d’obtenir son bac ES in fine, Hugo Page se professionnalise dans cette nouvelle partie de ‘’carrière’’. Il court certes « n’importe comment », « comme en cadets », lors de sa première sortie chez les juniors, mais remporte dans les semaines qui suivent La Bernaudeau, le Tour des Portes du Pays d’Othe ainsi qu’une étape du Tour du Pays de Vaud, soit trois épreuves UCI. « Ça m’a mis d’emblée dans la bonne dynamique, relate-t-il. J’ai pris conscience que même en sortant de cadets je pouvais avoir le niveau et espérer de belles choses chez les juniors, y compris sur des courses internationales ». Sur le plan national, il est tout près de la médaille lors du championnat de France du contre-la-montre. En fin de saison, toujours dans l’exercice chronométré, il achève en dixième position un Chrono des Nations archi-dominé par un certain Remco Evenepoel.
2019, entre dominations et hésitations
Il clôture ainsi une première saison Juniors de très bonne facture et se dirige vers l’année 2019 avec des ambitions conformes à son statut. « Je voulais faire au moins aussi bien, c’est à dire gagner à l’international. Je dois dire que je me suis mis un peu de pression, à cause de ça, mais aussi car j’avais l’objectif d’intégrer la Conti Groupama-FDJ, expose-t-il. Au niveau international, ça me poussait un peu à l’erreur, je n’arrivais pas à concrétiser et c’était pénible. J’étais trop attentiste. J’avais peur d’aller de l’avant. En Juniors 1, je ne réfléchissais pas. Quand je voulais attaquer, je le faisais. En Juniors 2, j’étais plus dans la réflexion, à me demander si ça pouvait le faire, s’il valait mieux attendre, etc… J’avais peut-être aussi un peu perdu l’habitude de faire la course, car habituellement, en France, je devais plutôt essayer de la contrôler. Au niveau national, j’étais satisfait de moi. J’arrivais à gagner les chronos et je devais ensuite gérer sur les étapes en ligne pour remporter le général. C’était aussi une bonne expérience ». S’il n’a pas été aussi productif qu’il l’espérait dans les épreuves UCI – 5 top 10 et un podium malgré tout -, il s’est allégrement vengé sur le calendrier français avec pas moins de 14 succès ; huit chronos, quatre classements généraux, une Classique … et le championnat de France du contre-la-montre comme apothéose.
« Honnêtement, je n’avais jamais ressenti autant de pression, se remémore-t-il parfaitement. Tu as beau avoir remporté tous les chronos précédents, c’est celui-ci qu’il faut gagner pour avoir le maillot. J’étais tellement stressé que je n’avais pas de bonnes jambes. Pendant le chrono, je ne pensais même pas à mon effort comme je le fais d’habitude, je pensais seulement au résultat ». En fin de compte, il parvient bel et bien à faire respecter son statut et à se parer de la tunique tricolore. Tunique qu’il exhibe d’ailleurs de la meilleure des manières, sur une course UCI qui plus est, en remportant le Chrono des Nations de sa catégorie pour clôturer sa saison. « C’était un grand moment pour terminer mes années juniors, dit-il. En plus de ça, on venait de faire quelques réglages avec l’équipe Groupama-FDJ, avec qui je venais de m’engager. J’ai un bras légèrement plus grand que l’autre, une jambe plus grande que l’autre, et ça me désavantage un peu. On avait effectué quelques modifications au niveau de mes chaussures et du guidon, et ça avait payé. J’avais hâte de refaire un chrono cette année… » En raison de la pandémie de Covid-19 et de la trêve cycliste qui en résulte, la mise en pratique concrète de cette affection pour la discipline se retrouve en suspend. Mais Hugo Page préfère clarifier : malgré ses antécédents et son pedigree, il n’est pas, et ne veut pas nécessairement être, un « simple » rouleur.
« On m’a catégorisé comme spécialiste du chrono mais … »
« Je ne sais pas si je me suis dirigé de moi-même vers le chrono ou si on m’a un peu poussé vers cette direction au vu de mes capacités, expose-t-il. Je ne l’ai pas forcément choisi, en réalité. Je pense que le chrono est venu naturellement à moi après les différents tests que j’ai pu effectuer, lorsqu’on a vu que j’étais capable de rouler assez vite et longtemps. J’ai aussi eu des vélos de chrono en prêt par des équipes pros lors de mes années juniors, et ça m’a forcément incité à m’entraîner un peu plus dans ce domaine pour espérer faire de bons résultats ». Qui sont arrivés. Mais ses prédispositions dans l’épreuve chronométrée ne sont pas seulement physiques. « Je n’ai pas forcément besoin d’avoir quelqu’un à côté de moi pour pouvoir me mettre à bloc, souligne-t-il. Je peux le faire tout seul. C’est peut-être aussi de là que vient cette affection pour la discipline ». Si la confrontation directe ne lui est pas toujours essentielle, elle peut par moments lui manquer. Ce fut notamment le cas en fin de saison passée. Bien que davantage motivé par la course en ligne des Mondiaux d’Harrogate que par le contre-la-montre, son statut et son profil eurent raison de ses velléités. C’est aussi pourquoi, aujourd’hui, le jeune homme tente simplement de sortir d’une case dans laquelle certains l’ont inconsciemment enfermé : « Je ne me connais sans doute pas assez pour savoir si je suis vraiment un pur rouleur. On m’a catégorisé comme spécialiste du chrono mais j’espère bien m’exprimer également sur les courses en ligne ».
Sur ce format, plusieurs pistes se dégagent d’ores et déjà, du fait notamment de ses expériences « bonnes ou mauvaises » à l’international chez les juniors. « J’ai une pointe de vitesse (La Bernaudeau, Tour du Pays de Vaud, ndlr), mais elle ne me permet pas d’être parmi les tous meilleurs sprinteurs. Je grimpe bien, mais que je ne suis pas non plus parmi les meilleurs grimpeurs. En revanche, j’affectionne énormément les efforts de 30 secondes à 5 minutes, autant que le contre-la-montre à vrai dire. Je pense que des courses usantes, de puncheurs, assez difficiles mais sans longues ascensions, où il faut surtout de l’explosivité, peuvent me plaire », décrit-il. Au plus haut-niveau, il évoque tout naturellement les Ardennaises, Liège-Bastogne-Liège en tête, mais aussi les Flandriennes et leurs bergs. Il ne ferme pas non plus la porte à quelques courses par étapes d’une semaine, aussi car y figurent bien souvent des contre-la-montre. « Les Grands Tours et le Tour en particulier font évidemment rêver, reprend-il, mais je pense qu’avec mon physique, je serai trop juste en montagne. Et puis il faudra bien faire des choix ». C’est là toute la mission de la Conti-Groupama-FDJ, qu’il a rejoint cette année après avoir entretenu des contacts très réguliers en 2019. « Une évidence », martèle-t-il en rappelant être devenu un fan inconditionnel de l’équipe et de Thibaut Pinot une journée de juillet 2012, à 10 ans à peine.
« On n’a aucune excuse, il ne nous manque rien »
Contrairement à certains de ses actuels coéquipiers, Hugo Page a donc posé ses valises à la Conti dès sa première année Espoirs, ce qui lui laissera d’autant plus de temps pour se développer. « Cette équipe est idéale pour apprendre à se connaître, assure-t-il. On est encore jeune et on n’a pas assez d’expérience pour décider de notre profil en tant que coureur. Je pense que personne ne se connait complètement à 18 ans. Il ne faut pas se mettre de limites, il faut toucher un peu à tout. C’est justement ce que l’on a l’occasion de faire ici au vu du programme. Et puis avec ces infrastructures, le matériel, les entraîneurs, je pense que l’on n’a rien à envier à une équipe WorldTour. On a tout pour être performant, on n’a aucune excuse, il ne nous manque rien ». À Besançon, siège de la Conti, il en profite pour devenir « autonome », « prendre [son] envol ». Il y loge avec son compère Paul Penhoët, qu’il adore « battre à Fortnite ou Fifa », glisse-t-il dans un sourire, mais il trouve aussi une aire de jeu parfaite pour s’entraîner. « Il y a tous les types de terrains, à part des cols de 20 kilomètres ». Désormais, il n’a donc qu’une hâte : retrouver tout cela. « Lors des stages, on a senti qu’il y avait déjà un vrai esprit d’équipe, une bonne dynamique et une bonne cohésion alors qu’on ne s’était même pas encore retrouvé tous ensemble à Besançon, conclut-il. On commençait à construire un joli truc ensemble et on a été un peu stoppé dans notre élan, mais c’est pour tout le monde pareil. D’un point de vue personnel, j’ai en tout cas senti qu’on est tous déjà prêts à se sacrifier les uns pour les autres. Tout ça alors qu’on n’avait partagé que très peu de moments, et pour ma part une seule course, ensemble. »
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