Dans quelques semaines, Enzo Paleni lancera officiellement sa carrière au plus haut-niveau mondial. Passé par la « Conti » ces deux dernières années, ce coureur polyvalent de 20 ans y a épaté tant par son apport au collectif que par des performances personnelles sur des épreuves phares du calendrier Espoirs. Nous sommes allés à sa découverte et avons remonté, avec lui, le fil de son parcours.
Lorsqu’on grandit coincé entre le col du Télégraphe et le col du Galibier, on est naturellement, d’emblée, pris en tenaille par le vélo. Originaire de Valloire, en plein cœur de la vallée de la Maurienne, Enzo Paleni semblait ainsi avoir un chemin tout tracé. En apparence, seulement. « Petit, je voyais souvent le Tour de France passer, et je me souviens avoir toujours dit à mon père que je voulais faire le Tour, se rappelle-t-il aujourd’hui. Sauf que quand on habite à Valloire, il est finalement compliqué de faire du vélo. Il n’y a pas de clubs aux alentours. Le premier était à Chambéry, à une heure et demie de là. Et il n’y a qu’une route : soit vers le Galibier, soit vers le Télégraphe. Quand tu es petit, ce n’est pas l’idéal. J’ai fait un peu de VTT, pendant une année, mais sans réellement accrocher ». C’est pourquoi, malgré quelques sorties fréquentes avec son père ou ses cousins, quasi-exclusivement en vélo tout-terrain, le jeune homme s’en va tâtonner d’autres disciplines : judo, tennis, ski et même snowboard, pratique qui lui vaut de participer à ses premiers championnats de France. Plus tard, la natation et la course à pied viennent compléter ce cursus sportif, mais c’est surtout le hockey sur glace qui retient son attention et attise sa passion au collège. Si bien qu’il intègre une section Sports-Études à Villard-de-Lans à son entrée en cinquième. Éloigné pour la première fois de la maison, il est logé dans une famille d’accueil pendant deux ans et redouble d’implication dans les patinoires. Jusqu’à un coup d’arrêt.
Le cyclisme, de genoux défaillants au déménagement
Ce sont la nature et la biologie qui, à 14 ans, viennent annoncer un revirement. Enzo Paleni est touché par un syndrome rotulien, et ce aux deux genoux. « Du fait de ma croissance, mes rotules ne tenaient plus, raconte-t-il. Parfois, j’étais simplement debout et il m’arrivait de tomber en arrière. Au moment de la rentrée, on m’a donc conseillé de faire du vélo ou de la natation en guise de rééducation. Je faisais déjà de la natation, alors je me suis dit ‘’pourquoi ne pas commencer le vélo ?’’ ». C’est à partir de cet instant précis qu’une nouvelle trajectoire se dessine. « L’été précédent la rentrée, j’étais allé chez mes grands-parents, cyclotouristes, et ma grand-mère m’avait prêté un vélo, poursuit-il. Pendant une semaine, j’allais rouler le matin et l’après-midi, et j’aimais trop ça ». Mais la question logistique se pose de nouveau. Valloire reste toujours aussi mal desservie en termes de structures cyclistes, alors le jeune adolescent mène son enquête sur internet et trouve alors des clubs dans la zone beauvaisienne, où réside sa mère. Malgré son jeune âge, sa volonté est claire et son choix est rapidement entériné. « J’ai déménagé pour faire du vélo, affirme-t-il. J’ai donc commencé en cadets 1, à mon entrée en troisième. Pour je ne sais quelle raison, ça m’était toujours paru inaccessible, alors quand l’opportunité s’est présentée, j’y suis allé à fond ». Il effectue donc un transfert de 800 kilomètres au Nord, abandonne Valloire, et par la même occasion, le hockey sur glace. Et il reconnaît aujourd’hui : « Sans mes syndromes rotuliens, je n’aurais jamais peut-être fait de vélo. C’est bien tombé, finalement ».
Néophyte bien que déjà « développé physiquement », Enzo Paleni découvre alors un tout autre environnement mais n’aspire qu’à une seule chose. « J’ai toujours fait du sport pour la compétition, pas pour le loisir », glisse-t-il. La première course ne tarde pas à se présenter, mais le natif d’Aix-en-Provence tombe de haut. « Je m’imaginais attaquer et gagner, rigole-t-il. Au bout de dix kilomètres, j’étais lâché du peloton. La voiture balai voulait que je m’arrête, moi je ne voulais pas, mais ils m’ont pris mon dossard et je suis arrivé vingt minutes après tout le monde. Je n’ai pas été classé, ils avaient tout rangé. Je me suis dit ‘comment je peux être aussi nul !’’ J’en avais pleuré ». Ce n’est qu’à la suite de ce premier revers qu’il réalise l’importance de l’entraînement, une notion qu’il sous-estimait jusqu’alors : « Au début, je ne roulais que le mercredi pour la sortie du club, et s’il pleuvait, on ne roulait pas. S’il n’y avait pas de courses le week-end, je ne roulais pas forcément. Au début, je ne m’entraînais quasiment pas. Je ne me rendais pas compte de ce qu’il fallait faire ». Une nouvelle fois, sa curiosité lui permet de résoudre le problème. À travers divers articles et vidéos sur internet, il en apprend davantage sur les exercices permettant de progresser. En premier lieu : le fractionné. « Pas loin de chez moi, il y avait un petit faux-plat, entre deux poteaux, et ça donnait un effort de 30 secondes, se remémore-t-il. Je faisais 30 secondes à bloc, je revenais, et je répétais ça plusieurs fois. À partir du moment où j’ai compris qu’il fallait s’entraîner pour être fort, tout a changé ». Malgré une science de la course à peaufiner, il termine cinquième de sa troisième compétition et la machine se met en marche.
« Ça n’a jamais été ‘’je fais du vélo pour faire du vélo’’ »
Les résultats deviennent réguliers, mais encore plus flagrants durant l’été, qu’il passe à Valloire. Il s’en va rouler dans le Galibier, disputer des courses dans la région, voire plus au sud, et commence à aligner les podiums et flirter avec la gagne. « Quand je suis rentré à Beauvais, un entraîneur du club m’avait dit ‘’il ne faut pas trop y croire, ce n’est pas le même niveau ici’’, raconte-t-il. Mais j’ai continué à faire des podiums ». En fin d’année, une nouvelle donnée vient s’ajouter à l’équation : le Trophée Madiot. Désireux de passer un cap, il se fixe un horizon pour sa deuxième saison chez les cadets. « J’en avais vaguement entendu parler, confie-t-il. J’ai regardé plus en détails qui avait gagné, et où allaient-ils ensuite. C’était souvent l’U19 Btwin Racing Team. Je me souviens avoir dit à mon père ‘’l’an prochain, je veux gagner le Trophée Madiot et intégrer la Btwin’’ ». Il ne faillit pas à joindre la parole aux actes. Accompagné de son père, il sillonne les différentes manches dans l’Ouest de la France et remporte le classement général à l’issue des huit épreuves au programme, cela grâce à plusieurs podiums. « Je me souviens avoir, une ou deux fois, dormi dans une tente la veille de course, sourit-il. Je n’ai pas l’impression de faire le même sport aujourd’hui ». Mais comme il l’espérait, son succès lui ouvre les portes de la structure juniors savoyarde. « Ça se faisait via dossiers de candidature, précise-t-il. J’étais dans la présélection, et j’étais déjà super content. Puis, on m’a appelé un jour en commençant par « Je suis désolé mais … on te prend dans l’équipe ». J’ai eu peur, mais c’était bon ! ». Une marche supérieure vers le haut-niveau était ainsi validée. « Dans tous les sports que j’ai faits, le but a toujours été d’être pro, assure Enzo. Quand j’ai commencé le vélo, c’était dans le but d’être le plus fort possible. C’était sérieux d’emblée. Pour moi, ça n’a jamais été ‘’je fais du vélo pour faire du vélo’’ ».
La démarche professionnalisante demeure embryonnaire, mais elle démarre bel et bien. En parallèle de son entrée dans la catégorie Juniors, Enzo Paleni poursuit d’ailleurs ses études en filière « S ». Sportivement, son entame est perturbée par une tendinite tenace. Il lui est alors difficile d’enclencher un vrai cycle de performances. « J’étais déçu de ce que je pouvais faire, explique-t-il. Ça allait beaucoup mieux en fin de saison, j’ai commencé à avoir des résultats. Grâce à cette équipe, j’ai pu faire plein de courses à l’international et ça m’a fait énormément progresser. Même si je ne gagnais pas, ça m’a fait engranger beaucoup d’expérience. Je sentais que j’avais le niveau, même si je n’avais pas forcément les résultats ». Point d’orgue de sa saison, le Chrono des Nations constitue aussi son meilleur résultat en 2019 : 7ème. Naturellement, il aspire à « beaucoup mieux » en démarrant sa seconde saison chez les Juniors. Mais encore une fois, sa mise en action est retardée. En stage, il chute contre une rambarde de sécurité en descente et s’ouvre la jambe. Dans son malheur, deux points de réussite : la coupure est dans le sens du muscle tout en étant peu profonde, et très vite, tout le monde est arrêté. « Avec le Covid, je n’ai pas loupé grand-chose, indique-t-il. Je n’ai pas pris de retard par rapport aux autres. Ça a finalement duré un peu plus longtemps que prévu. J’ai continué à bien m’entraîner pendant le confinement, j’ai été sérieux, et ça m’a permis d’être performant dès la reprise ». Dès le retour des courses en août, il termine deuxième des Boucles de l’Oise puis enchaîne avec une performance majeure sur la scène européenne avec une deuxième place sur le reconnu Grand Prix Rüebliland, en Suisse.
En recherche de professionnalisme, de repères et de résultats avec la « Conti »
Sa dynamique prend une autre dimension. « Même si je n’ai pas toujours eu les résultats espérés, j’ai toujours été confiant car je sais ce que je veux et je m’en donne les moyens, continue-t-il. Faire un gros résultat n’a jamais rien changé pour moi. Je le prends juste comme un point de passage pour aller plus loin ». Dans une saison à rallonge, il obtient la médaille d’argent au championnat de France du contre-la-montre fin octobre et a tout l’embarras du choix quant à sa destination pour 2021. Son choix se porte finalement sur La « Conti » Groupama-FDJ. « Je voulais quelque chose de haut-niveau en termes de professionnalisme, analyse-t-il avec lucidité. Je me souviens avoir envoyé un message sur Instagram à Kevin Geniets. Je ne le connaissais pas, je ne pensais même pas qu’il allait me répondre, mais il m’avait répondu et m’avait dit « si tu cherches un cadre professionnel, vas là-bas ». J’ai pas mal discuté avec mes proches. Je connaissais aussi un petit peu Arnaud [Démare], je l’avais eu au téléphone et il m’avait dit ‘’choisis ce que tu veux, tu fais du vélo pour toi, pas pour les autres’’. J’avais pas mal hésité, mais le projet de La Conti me plaisait plus que celui des autres ». Ses premiers pas à Besançon, durant l’intersaison, le confortent dans sa décision. « C’était même plus ce que j’attendais », insiste-t-il. Quelques semaines plus tard, il est tout aussi satisfait d’entrer dans un nouvel environnement, multiculturel. « J’ai toujours voulu partir à l’étranger pour le vélo, pour découvrir autre chose, confie-t-il. Le fait qu’il existait ici, c’était encore mieux ». C’est dans ce cadre qu’il lance sa carrière, à la fois chez les Espoirs… et chez les professionnels.
Malheureusement, la fluidité de l’engrenage est encore mise à mal. Une chute sur le Grand Prix Monseré en début de saison accouche d’une fissure du ménisque handicapante. « Toutes les deux semaines, mon genou gonflait et je devais m’arrêter quelques jours. Ça a été comme ça toute la saison », peste-t-il encore. Dans le dispositif de La « Conti », il occupe aussi très souvent le rôle d’équipier et participe à ce titre à quelques succès collectifs. « Si chacun courait pour soi, on ne gagnerait jamais », justifie-t-il. Il a en revanche l’opportunité de s’illustrer à titre individuel lors des contre-la-montre, et notamment lors du championnat de France qu’il conclut en deuxième position pour la deuxième année consécutive. « J’y allais pour gagner, mais Kévin Vauquelin était plus fort, raconte Enzo. C’était le seul objectif que je m’étais fixé de l’année et je l’avais plutôt bien réussi. Alors, je me suis dit qu’il fallait que je me fixe plus d’objectifs en abordant 2022 ». Il termine la saison avec une quatrième place au Chrono des Nations, malgré une lourde chute l’avant-veille, et avec quelques apparitions enrichissantes avec l’équipe WorldTour au compteur. C’est d’ailleurs avec les « grands » qu’il effectue sa reprise, sur le Tour de Valence, de façon assez inattendue. Cela s’avère néanmoins une belle rampe de lancement vers le printemps et son premier rendez-vous avec lui-même : le Triptyque des Monts et Châteaux. « Je savais que pour avoir ma carte à jouer, il fallait que je me crée l’opportunité, dit-il. C’était un parcours qui pouvait me convenir, surtout vis à vis du chrono qui pouvait me permettre de faire un bon classement général ». En prenant l’échappée le premier jour, Enzo Paleni favorise ses desseins, puis prend une réelle option le second jour en participant à la bordure initiée par l’équipe. Le dimanche matin, sa quatrième place dans le chrono le porte aux commandes du classement général, qu’il conserve l’après-midi dans un final accidenté. « Faire un résultat collectif, c’est super, mais avoir son résultat personnel, c’est toujours une fierté », convient-il.
« Être le meilleur Enzo Paleni possible » et entrée dans le WorldTour
Par la suite, le jeune homme se redéploie en équipier modèle et participe activement à la saison historique de La Conti. Régulier, il signe aussi quelques résultats en contre-la-montre, sur les Jeux Méditerranéens (2e), le championnat d’Europe (12e) ou le championnat de France Espoirs (4e). « Je n’ai pas réussi à faire ce que je souhaitais, nuance-t-il. Notamment aux Europes, où je n’avais pas mes affaires, ce qui est toujours gênant ». C’est toutefois sur une superbe note qu’il vient achever sa saison, à l’occasion de la difficile Ronde de l’Isard, où il obtient une troisième place complètement inattendue au classement général. « J’étais vachement motivé, affirme-t-il. Je suis allé une semaine chez mon père à Valloire pour me préparer. C’était dans l’optique d’être là pour Reuben et Lenny, je ne m’attendais pas à jouer ma carte personnelle. Mais comme l’an passé, j’ai pris l’échappée le premier jour et j’ai terminé troisième de l’étape. J’étais déçu de passer à côté de la victoire mais cela nous a permis de nous placer avec Reuben ». À partir de cet instant, il n’a plus lâché l’affaire. « J’étais protégé, j’avais perdu un peu de poids et mon état de forme était bon, ajoute-t-il. Je savais que je pouvais grimper. Pour moi, c’était juste une confirmation. Pour les autres, c’est plus une surprise ». En raison d’efforts superflus lors de l’étape reine vers Goulier Neige, il se contente finalement de la troisième place finale après avoir longtemps navigué à trente secondes du maillot jaune. « On n’est jamais complètement satisfaits, pointe-t-il. Mais c’est en tout cas motivant, et je suis content d’avoir pu montrer certaines qualités. L’équipe sait désormais de quoi je suis capable et pourra me faire confiance par la suite sur ce genre d’épreuves ».
S’il atteste avoir « progressé » et avoir « globalement atteint [ses] principaux objectifs » en 2022, Enzo Paleni demeure relativement ouvert quant à son profil exact. « C’est un avantage comme un défaut : je suis bon partout, mais je n’ai pas un domaine d’excellence, analyse-t-il à froid. Au vu de mes résultats, mon point fort semble être le chrono. Si je veux gagner une course, il faut que je prenne une échappée. Si j’attends le sprint ou la dernière montée, ce sera compliqué. Pour moi, il est aussi plus simple de gagner un général que de gagner une étape en ligne. Ma force, c’est d’être régulier tout le temps et de passer partout ». À 20 ans, il ne revendique d’ailleurs aucun modèle. Il admire en réalité « tous les coureurs », sachant à quel point il est « dur d’être cycliste professionnel ». Pour l’heure, il n’a qu’une obsession : « Je veux être le meilleur Enzo Paleni possible. On verra par la suite avec l’équipe et les entraineurs sur quel point je pourrai progresser et vers quoi je pourrai m’orienter ». Cette équipe, ce ne sera dorénavant plus La Conti, mais sa grande sœur. Car comme sept de ses coéquipiers du cru 2022, Enzo va effectivement emprunter la passerelle le menant à l’écurie WorldTour Groupama-FDJ. « En début de saison, je n’étais pas forcément dans les plans pour passer dès 2023, mais je me souviens que Marc avait dit qu’il serait capable de prendre six, sept, voire huit coureurs s’il le fallait, relate-t-il. J’étais assez apaisé vis-à-vis de tout ça, et j’avais encore deux ans en Espoirs derrière. Depuis que j’ai commencé le vélo, je me suis toujours vu « réussir », donc pour moi, ça devait être la suite logique de mon parcours, que ce soit cette année ou la prochaine ». Enzo Paleni entrera donc dans le grand bain dès janvier prochain, et il ne craint pas de se mouiller. « On va évidemment devoir encore apprendre, mais je pense que ces deux dernières années nous ont déjà vachement servies, assure-t-il. C’était également l’objectif de passer en WorldTour et d’être prêts et compétitifs d’entrée de jeu. L’équipe a déjà des attentes envers nous, nous donne des objectifs personnels, et c’est ce que j’attendais. Ça motive et ça donne envie de bien faire ».
3 commentaires
Refik Touli
Le 11 décembre 2022 à 11:20
Bonne chance pour ce nouveau challenge
Refik Touli
Le 7 décembre 2022 à 21:57
Beau portrait effectivement suspens on verra sur le world tour c’est le cran au dessus
en lui souhaitant le meilleur
Mouret
Le 2 décembre 2022 à 15:31
Beau portrait d’Enzo, discret, déterminé et ambitieux à juste titre. C’est très prometteur…