Une nouvelle année débute pour la « Conti » Groupama-FDJ ; la cinquième de son histoire, dans la foulée d’un cru exceptionnel. En cette saison 2023, Eddy Le Huitouze fera figure « d’ancien », malgré ses 19 ans, mais aussi de locomotive. Ultra-performant depuis ses plus jeunes années, le Breton est appelé à jouer un rôle accru au sein de la formation basée à Besançon. Nous sommes partis à la découverte de l’actuel champion de France Espoirs du contre-la-montre.
Quand, à la naissance, on se voit attribuer le prénom du plus grand cycliste de l’histoire, il est probablement très complexe d’échapper à son destin. Lorsqu’Eddy Le Huitouze voit le jour le 3 avril 2003, le « Cannibale » a terminé sa carrière depuis presque vingt-cinq ans déjà, mais le souvenir du Belge est encore bien ancré au sein d’une famille passionnée de cyclisme. « Je sais l’origine de mon prénom depuis tout petit, débute le Breton. Avant même que je fasse du vélo, on allait sur les courses, on regardait les courses à la télé, et de par les discussions qu’il y avait, j’ai vite compris d’où mon prénom venait, et de qui il s’agissait ». Il n’empêche que le jeune homme s’essaie d’abord au football, une petite année, avant d’enfourcher la bicyclette. Encouragé et inspiré par son père et son oncle, tous deux solides coureurs amateurs dans la région, mais aussi par son cousin un peu plus âgé que lui, Eddy rejoint donc la tradition dès ses sept ans. « C’était presque une logique », dit-il aujourd’hui. Dès lors, aucun autre sport ne viendra interférer entre lui et le cyclisme. Surtout qu’il est aussi très vite à l’aise dans la discipline grâce aux conseils distillés par des proches connaisseurs. « Ça m’a aidé au début sur des trucs tout bêtes comme passer les vitesses au bon moment, bien freiner, prendre des trajectoires ou s’abriter derrière les autres, explique-t-il. Quand tu as 7-8 ans, ça ne vient pas naturellement si on ne te le dit pas ».
Plus de cent « victoires » dans les jeunes catégories et le goût du chrono
En avance sur ses compagnons de jeu à certains égards, Eddy Le Huitouze ne s’entraîne toutefois pas davantage qu’eux. Il se contente d’abord de la séance hebdomadaire, avant de plus tard partager des excursions d’une dizaine de kilomètres avant son père « le soir quand il rentrait du travail et que les beaux jours arrivaient ». Ce n’est qu’en benjamins (11-12 ans) qu’il réalise ses premières sorties « solitaires », et sa maturité aussi bien physique que technique lui permet de bien souvent dominer ses compères/adversaires. « Au début, c’était surtout du plaisir, même si quand tu participes à une compétition, petit, peu importe le sport, tu as forcément envie de gagner », sourit Eddy. Champion départemental et régional dès ses plus jeunes années, le Morbihannais goûte à la victoire très fréquemment jusque dans la catégorie minimes. Il les dénombre même pendant un certain temps, et s’approche ainsi de la centaine à son arrivée chez les cadets. « Mais les courses en école de cyclisme, ça n’a rien à voir avec celles des catégories supérieures », tempère-t-il aujourd’hui. Une chose est sûre, la barre des cent victoires – un chiffre « cannibalesque » – est franchie lors des années cadets. À quinze ans, le jeune homme fait son apparition sur la scène nationale, sur route, mais également sur piste. Pourtant, l’entraînement reste relativement sommaire. « Je roulais ‘’endurance’’ le mercredi, mais je n’avais pas d’exercices en particulier, à part sur piste où je faisais plus d’intensité, décrit-il. Sur route, je n’avais pas de capteur, ni même de cardio, tout se faisait en fonction des sensations ». Mais cela lui suffit pour s’illustrer.
C’est notamment le cas sur la compétition la plus réputée de l’hexagone dans cette catégorie d’âge, le Trophée Madiot. « En Cadets 1, j’avais disputé la première manche à Tours car j’avais gagné pas mal de courses en début d’année, explique Eddy. Je pensais y trouver un niveau terriblement supérieur à ce qu’il y avait en Bretagne. Au final, c’était bien sûr plus relevé, mais ce n’était pas non plus beaucoup plus dur. J’étais surpris d’arriver à être performant tout de suite, car je pensais être lâché direct, ou pas loin. Étant donné que je n’avais pas trop mal marché, on avait décidé d’aller faire les autres ». Quatrième lors de la seconde manche à Lannilis en ouverture du Tro Bro Leon, troisième du contre-la-montre à Chateaubriand, il s’impose un peu plus tard dans ce même exercice du chrono, sur les terres des frères Madiot, à Renazé même. « C’était ma première victoire dans un contre-la-montre à ce niveau », se remémore-t-il. Et c’est ainsi qu’une vocation nait en lui : « Chez les minimes, il n’y avait quasiment pas de chrono. C’est donc à partir de là que je me suis dit que ça pouvait devenir un vrai point fort ». Il le confirme en fin de saison avec une deuxième place au Chrono des Nations. Mais la route n’occupe donc qu’une partie du spectre. Durant l’été, Eddy Le Huitouze se présente ainsi aux championnats de France sur piste cadets, à Hyères, quelques mois seulement après avoir été initié à la discipline. Ses capacités d’endurance et de force font instantanément mouche.
« Devenir pro était forcément un rêve depuis tout petit »
À tout juste quinze ans, il rafle ses trois premiers maillots de champion de France, sur la poursuite individuelle, la course à élimination et la tempo race. « Quand tu es cadet, le championnat de France, ça fait rêver, reprend Eddy. C’était quand même une surprise de repartir avec trois titres. Je savais que je marchais bien, notamment au niveau régional, mais gagner au championnat de France, c’est autre chose… À ce moment-là, je voyais encore ça comme un truc exceptionnel ». Il va pourtant s’habituer aux titres et récompenses. Il est d’ailleurs nommé Vélo d’Or Cadets en 2018, et il assume pleinement son statut l’année suivante pour sa deuxième saison dans la catégorie. Le Breton s’adjuge le général du Trophée Madiot (après avoir terminé troisième l’année précédente), dont deux manches, et s’accapare quatre nouveaux maillots tricolores sur la piste. Il est fort logiquement désigné Vélo d’Or Cadets pour la deuxième année consécutive et se dirige vers les rangs juniors avec un capital confiance relativement important et des perspectives de plus en plus affirmées. « Devenir pro était forcément un rêve depuis tout petit, mais ce n’est qu’à partir de cadets que je me suis rendu compte que ça pouvait peut-être le faire, car il y avait des courses de niveau national où on pouvait se confronter aux autres, expose-t-il. Les victoires avaient plus de poids. Je me rendais aussi compte de l’ampleur que ça avait du fait du Vélo d’Or remis par Vélo Magazine, qui est sûrement le plus grand magazine de cyclisme en France ».
En intégrant la catégorie supérieure, Eddy Le Huitouze jouit donc déjà d’une renommée, et il bénéficie aussi d’un accompagnement de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ, qui lancera une année plus tard son « suivi juniors ». « En 2020, c’était davantage en récompense de ma victoire sur le Trophée Madiot, précise le jeune homme. On allait en stage avec la Conti à Calpe, on me prêtait des vélos et Benoit Vaugrenard m’entraînait. Dans l’idée, c’était la même chose que le suivi actuel, mais un peu moins poussé ». Sur les courses, il se rend compte assez vite qu’il est dans l’allure, mais la saison connaît un subit coup d’arrêt à la mi-mars en raison de la pandémie. Un épisode qui n’handicape pas tant le sociétaire de l’Étoile Cycliste Pluvignoise. « Au final ça m’a été à moitié bénéfique car ça allait bien à l’entraînement, même sur home-trainer, indique-t-il. En Bretagne, on a aussi repris assez tôt avec des contre-la-montre et j’avais signé de bonnes petites performances avec les Élites d’entrée ». Et c’est justement autour du chrono que sa fin de saison tourne. Le premier rendez-vous n’est pas bien loin : à Plouay. « Le championnat d’Europe était à trente kilomètres de la maison, donc c’était vraiment le gros objectif, rappelle-t-il. J’étais surmotivé, je l’avais bien préparé et j’avais gagné ma sélection. C’était une super expérience ». Elle se solde avec un joli top-10 (8e) pour sa première compétition à cette échelle. Fin octobre, il se présente en tant que favori au championnat de France de la discipline, et il ne rate pas la marche. Il s’impose devant Enzo Paleni, Pierre Gautherat et Romain Grégoire pour glaner son premier titre national sur route. « Je me suis rendu compte que c’était gros, ajoute-t-il. Quand on regarde les classements des championnats de France juniors, les mecs devant passent souvent pros derrière. C’est plus significatif que chez les cadets ou sur la piste ». Il fait malgré tout un détour par les vélodromes où il accroche une médaille de bronze européenne sur l’Omnium.
Performances sur la scène continentale et « exil » à la Conti
Sa deuxième année Juniors coïncide avec le lancement officiel du suivi de la Groupama-FDJ. Encore mieux encadré, le Morbihannais connaît toutefois des hauts et des bas. Il remporte certes le Trophée Sébaco en Bretagne début juin, mais s’en suivent deux revers. « Je me suis fait renverser par une voiture sur une manche de Coupe de France en Mayenne et j’ai subi un traumatisme crânien, relate-t-il. J’ai dû couper, puis je suis revenu, j’ai gagné le championnat de Bretagne sur route, mais je suis tombé bêtement la semaine suivante sur les championnats de Bretagne sur piste. Ça a suffi pour me fracturer la clavicule et louper les championnats de France sur route qui arrivaient derrière. Sur le moment, ça n’a pas été évident de gérer cet enchaînement de petites galères, même si ça fait partie de la vie d’un cycliste ». Il ne peut donc défendre son titre en contre-la-montre et revient à la compétition fin août, à l’occasion de la Course de la Paix, où il ne se rassure que moyennement quant à son niveau physique. Pourtant, à peine dix jours plus tard, il se flanque de la médaille de bronze lors du championnat d’Europe du chrono. « C’était plus ou moins ce que je visais, mais c’était loin d’être garanti au vu de ma préparation », dit-il. La confiance remonte néanmoins en flèche à deux semaines des Mondiaux, l’objectif ultime de la saison, où il s’octroie une très belle cinquième place. « Je ne suis pas passé loin du podium (quatre secondes, ndlr), ajoute-t-il. Sur le moment c’est quand même rageant d’être si proche, mais ça reste une très belle performance ». Frustré, c’est aussi son sentiment à l’issue de Paris-Roubaix, qu’il dispute pour la première fois. Dans la boue, il termine dixième malgré une crevaison. « J’aurais pu faire beaucoup mieux, regrette-t-il. C’est l’un de mes plus beaux souvenirs en Juniors. C’est le genre de course mythique, et avec la pluie cette année-là, c’était encore plus spécial ».
Une troisième place sur le Chrono des Nations pour clôturer l’année et le voilà lancé vers la saison 2022 et son entrée au sein de la « Conti », prévue de longue date. Une transition des plus fluides, qui s’accompagne néanmoins d’un changement de poids. Pour la première fois, le Breton se détache du domicile familial et s’en va prendre ses quartiers à Besançon, à l’extrême opposée de l’Hexagone. « Ce n’était pas vraiment un problème, assure-t-il. Je ne ressens pas le besoin d’être à la maison tout le temps, ça ne m’a pas trop perturbé. C’était sympa avec les gars de la Conti, on cohabitait bien, et ça permet d’avoir une meilleure cohésion que si on l’était tous chacun de son côté. Ça permet aussi de pouvoir apprendre l’Anglais car il y a pas mal d’étrangers dans l’équipe ». Quant à la structure de l’équipe, elle diffère copieusement de celle de son club local. Pour autant, Eddy Le Huitouze n’est pas surpris outre-mesure : « Contrairement à certains mecs venus de l’étranger, je savais où je mettais les pieds ». Il a en revanche beaucoup moins d’assurances quant à son niveau à cette échelle, pour sa première année chez les Espoirs. Il se fixe donc des objectifs raisonnables pour cette découverte du monde professionnel. « Je ne savais pas trop quoi attendre, confie-t-il. Le but pour moi était davantage de progresser un maximum, apprendre énormément et aider les mecs un peu plus âgés de la Conti plutôt que de performer d’entrée de jeu ».
« J’aimerais forcément être un peu plus qu’un rouleur contre-la-montre »
Un temps d’adaptation est bien nécessaire pour le coureur d’à peine 18 ans. « Je n’étais pas à la rue, mais les premiers mois n’ont pas été évidents, reconnait-il. Je ne jouais plus la gagne non plus, même si je participais aux succès de l’équipe ». Il se rassure malgré tout sur le Triptyque des Monts et Châteaux où il participe à une démonstration collective et obtient la septième place du contre-la-montre individuel. Dès le mois de mai, il se voit donner l’opportunité de courir avec les « grands » à travers le fameux système de promotions. « C’était top, surtout que c’était à la maison, sourit-il en référence au Grand Prix du Morbihan et au Tro Bro Leon. On se rend compte de la différence de niveau, mais aussi de la différence d’affluence ! Il y avait énormément de gens sur la route, dont beaucoup de fans de l’équipe, donc ça crée des attentes ». Pour lui, les véritables attentes débutent au mois de juin avec l’enchaînement des échéances chronométriques. Premier point de passage : le championnat de France Élites de l’exercice, qu’il termine à la 23e place. « Ce n’était pas glorieux, lance-t-il. J’aurais pu faire beaucoup mieux avec les jambes du jour mais j’ai mal géré mon effort car c’était la première fois que je faisais un chrono de près d’une heure ». Il répond en revanche admirablement présent lors du championnat d’Europe, où il accroche une nouvelle médaille de bronze bien que dans sa première année Espoirs. « Une belle surprise », dit-il.
La surprise est moindre au championnat de France le mois suivant, où il fait respecter son statut pour endosser le onzième maillot tricolore de sa jeune carrière. « L’objectif était clairement de gagner, même si ce n’était pas couru d’avance compte tenu du niveau, poursuit-il. Ça m’a aussi fait du bien car presque toute l’équipe avait gagné à ce moment-là. C’était super de le faire à mon tour et d’enfin m’exprimer à titre personnel ». Le plein de confiance, il s’envole plus tard pour les Mondiaux en Australie. Il y dispute trois épreuves, dont le contre-la-montre mixte (7e) mais surtout le chrono Espoirs. Il y obtient une septième place pleine de promesses. « Il y avait tous les meilleurs, raconte-t-il. C’était une performance logique, voire peut-être légèrement supérieure à ce que j’aurais pu espérer en tant qu’Espoir première année ». Sa première saison en tant que professionnel l’a quoi qu’il en soit conforté sur son point fort, qu’il veut continuer de perfectionner sans en oublier le reste. « J’aimerais forcément être un peu plus qu’un rouleur contre-la-montre, car être bon en chrono, c’est bien mais ça ne suffit pas pour faire une très grosse carrière, expose-t-il. Je veux être un rouleur qui profite à l’équipe ou à moi-même, aussi sur les courses dures. J’aime bien les Classiques, mais on n’a pas pu en faire beaucoup l’an passé. Sur le peu que j’ai vu, j’étais assez bien, et c’est un truc qui pourrait me plaire à l’avenir. On voit que les meilleurs mecs en chrono ne font pas que ça. Les Stefan Küng, Wout van Aert, c’est aussi très fort sur d’autres terrains. Pour le moment, je ne sais pas quel sera mon profil exact. 2023 devra m’aider à me connaitre davantage, à savoir ce que je peux valoir sur différents parcours ».
Dans quelques semaines, Eddy Le Huitouze débutera sa deuxième année au sein de la « Conti », dont il sera l’unique rescapé de la promotion 2022. Son rôle et ses responsabilités en seront forcément renforcés même si ce fan de Formule 1 n’oublie pas la piste et les Jeux Olympiques de 2024, qui s’approchent désormais sérieusement. « Pour l’instant, ce ne sera que de la route sur le début de saison, puis je verrai en fonction des disponibilités et des courses, énonce-t-il timidement. Ça peut forcément être un objectif, qui plus est à Paris, mais il faut voir ce que ça peut donner avec la route à côté, car la piste prend tout de même beaucoup de temps ».
1 commentaire
Fourcart f
Le 9 février 2023 à 21:29
La conti c’est l’avenir des jeunes la promotion de cette année est fabuleuse je vais continuer à les suivre