S’il a échappé de peu à la quarantaine sur l’UAE Tour, Miles Scotson n’a évidemment pu éviter le confinement qui s’est propagé en Europe ces dernières semaines. Auteur d’un solide début de saison pour sa deuxième année au sein de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ, le champion d’Australie 2017 est désormais, comme ses collègues, coincé chez lui et impatient de renouer avec son quotidien de cycliste professionnel. En attendant, il s’est posé pendant une bonne demi-heure pour nous livrer un long entretien.
Miles, comment as-tu vécu ces dernières semaines ?
Je suis en Andorre depuis la mi-mars et les règles de confinement sont similaires ici à ce qu’on observe en France, Espagne, Italie… Concrètement, je fais du home-trainer, je m’attache à respecter les consignes et j’essaie de rester productif. Pour un sportif de haut-niveau, ça peut vite devenir ennuyeux car nous avons l’habitude de nous entraîner en extérieur, de voyager. On ne reste probablement jamais aussi longtemps chez nous. J’essaie donc de rester actif et ça passe finalement assez vite. Si tout se déroule bien, on reprendra notre routine en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
« Le home trainer, plutôt un moyen de rester en forme »
De quelle manière essaies-tu de rester productif ?
On est maintenant autorisé à sortir pour se promener. Ils ont légèrement assoupli les règles et je pense que c’est important pour la santé mentale. Mon entraîneur m’a d’ailleurs programmé des courses et marches en extérieur, et je pense que c’est une bonne chose pour l’esprit. De manière générale, l’équipe a parfaitement saisi la particularité de ce moment. L’heure n’est pas à l’entraînement, mais plutôt à rester positif et prendre soin de son mental car être isolé si longtemps relève de l’exceptionnel. À part ça, je travaille mon français, l’équipe m’a programmé quelques leçons. Cela me permet de rester productif en dehors du vélo. Et puis je suis évidemment en contact avec mes amis et ma famille.
As-tu envisagé de retourner en Australie ?
Quand tout a commencé, il y avait bien plus d’incertitude, on ne connaissait pas l’ampleur de la situation. Mes parents étant un peu vieux, j’avais peur que la situation vienne à se dégrader en Australie, qu’ils tombent malades… Mais il fallait prendre une décision et j’ai décidé de rester ici. Je ne pense pas que prendre l’avion, aller à l’aéroport, lorsque cette situation a éclaté, était la chose la plus prudente à faire. En tout cas, je prends régulièrement des nouvelles de mes proches qui sont au pays.
Quel est ton rapport au home trainer ?
Ça ne m’a jamais vraiment convaincu, mais tous les coureurs sont différents de ce point de vue. Certains aiment bien observer leurs données sur le capteur et fournir les efforts en conséquence. Personnellement, je ne vois pas ça comme un sérieux entraînement pour les courses à venir, mais plutôt comme un moyen de rester en forme, en bonne santé, et c’est de toute façon bon pour la tête de faire de l’exercice. L’équipe l’a bien compris et mon entraîneur Anthony Bouillod m’a envoyé un programme qui comprend une séance d’une heure par jour et quelques activités annexes. Je l’applique et c’est très bien en l’état.
« Je sens que je fais partie intégrante de l’équipe »
As-tu ressenti le soutien de l’équipe ces dernières semaines ?
Complètement, et j’en suis très heureux. J’ai parlé avec des coureurs d’autres équipes par rapport à la situation du moment, c’est bien sûr une période stressante pour le cyclisme. C’est pourquoi je me sens personnellement très chanceux de faire partie de cette équipe où la direction, les sponsors et les partenaires sont derrière nous. Et au-delà de ça, la communication est vraiment bonne avec mon coach et mon directeur sportif référent, Jussi Veikkanen, avec qui je suis régulièrement en contact. Maintenant, on attend juste de voir comment ça se passe, mais en termes de communication, je ne peux pas me plaindre.
De manière plus générale, comment as-tu jugé ton adaptation au sein de l’équipe ?
Sur les courses, je pense que je me suis plutôt bien intégré. Beaucoup d’entres elles se sont parfaitement déroulées lors de la première année. Signer dans une équipe française sans vivre en France et sans parler la langue, c’était forcément une sacrée marche à gravir, mais je me suis malgré tout senti à l’aise dès le début, notamment car l’équipe attache beaucoup d’importance à l’accompagnement. Je continue de travailler sur mon français et j’espère que cela facilitera la tâche de tout le monde à l’avenir. Mais même en tant qu’étranger, on ressent cette ambiance familiale, c’est une équipe très unie. Je venais d’une équipe qui était davantage une addition de coureurs qu’un véritable groupe. Ici, même en tant qu’étranger, je sens que je fais partie intégrante de l’équipe et c’est quelque chose d’agréable.
La barrière de la langue a-t-elle été un vrai problème ?
J’ai eu la chance de souvent courir dans un groupe où la majorité des gars parlent un peu anglais. Pour les briefings et ce genre de choses, on finit par comprendre ce qui se dit. Au début, c’était plus difficile, mais j’avais la chance d’avoir toujours des collègues pour me traduire ou m’aider à comprendre. Je pense que tout s’est bien passé jusqu’à présent. C’était un vrai défi, surtout que je ne parlais pas un mot de français quand je suis arrivé, mais je pense que l’équipe devient également de plus en plus internationale. Jacopo, Ramon, Ignatas m’aident souvent mais ils me donnent aussi des coups de pied au cul pour que j’améliore mon français afin qu’ils n’aient plus à traduire. J’essaie de le travailler en ce moment, mais pas forcément pour l’aspect sportif. Plus je pourrai communiquer avec mes coéquipiers et le staff, mieux ce sera. Une fois que je pourrai parler davantage, je pourrai mieux connaître beaucoup de Français qui ne parlent pas anglais. Quand il y a la barrière de la langue, il est plus compliqué d’apprendre à connaître quelqu’un, et c’est ce qui me motive à progresser.
« Je manquais d’un cap dans ma carrière »
Malgré cette barrière de la langue, tu as décidé de rejoindre l’équipe en 2019. Pourquoi ?
Mon premier contact avec l’équipe s’est fait par l’intermédiaire de Frédéric Grappe, je crois. Il m’a expliqué simplement et clairement ce qu’ils faisaient dans l’équipe, ce qu’ils essayaient d’améliorer, comment l’équipe travaillait sur le plan sportif avec la direction et le personnel médical. C’était une explication très complète, et après ces premiers échanges, je me suis dit : « ça pourrait être une bonne option pour l’avenir ». L’équipe était très enthousiaste. C’était certainement une grande marche à franchir que de signer dans une équipe française, mais leur infrastructure et leur façon de travailler me semblaient être ce dont j’avais besoin. L’année précédente, je manquais d’un cap dans ma carrière, et j’ai donc décidé de prendre la place que m’offrait Groupama-FDJ.
L’année dernière, il a fallu s’adapter à une équipe française. Mais il y a quelques années, il t’a fallu t’acclimater à un nouveau continent…
Pendant mes années Espoirs, j’ai passé beaucoup de temps en Italie, mais c’était avec la sélection australienne. J’ai vécu six mois en Europe, peut-être un peu plus. Puis, lorsque je suis passé pro chez BMC, je suis allé vivre seul en Belgique. Ça n’a pas marché pour moi. La première année en Europe n’est vraiment pas simple. J’ai vu d’autres Espoirs Australiens faire leurs valises et retourner en Australie alors que nous espérions tous passer professionnels. Il est difficile de vivre à l’autre bout du monde et de ne pas parler la langue. Lorsqu’on passe pro, on s’éloigne pour un temps beaucoup plus long, on quitte ses amis et sa famille. Mes premières années pro ont sans aucun doute été difficiles, mais j’ai ensuite déménagé en Espagne. Je me sentais un peu plus chez moi là-bas qu’en Belgique, la météo aidant. Maintenant je vis en Andorre et je m’y plais. D’autres Australiens vivent dans le coin et je partage un appartement avec mon frère depuis un an. Pour l’instant, je ne connais qu’un petit peu d’espagnol. J’ai eu une petite amie espagnole pendant un certain temps mais ça n’a pas suffi, aussi parce que j’essayais d’apprendre le français et je ne voulais m’emmêler les pinceaux. J’espère l’apprendre un jour, ça rendrait la vie plus simple, mais bizarrement, j’ai toujours réussi à m’en sortir en parlant anglais. En tout cas, je me suis pratiquement fait au style de vie, même si on perd beaucoup… Je ne vois mes amis et ma famille en Australie qu’à la période de Noël, pendant un mois, puis je retourne en Europe. On finit par s’habituer mais la marche est haute. Maintenant, c’est presque étrange de revenir en Australie, d’entendre à nouveau l’accent australien, et c’est une toute autre façon de vivre là-bas.
Qu’est-ce qui te faisait avancer lors de ces premières années compliquées ?
En discutant avec des gens à l’époque, j’ai simplement compris que les premières années étaient de loin les plus difficiles quand on arrive en Europe. Je pense en fait qu’elles sont les plus difficiles pour tout néo-pro car il y a une vraie marche entre les Espoirs et les pros, mais c’est encore plus dur lorsque vous vivez seul dans un pays étranger. Je pense qu’il faut simplement rester positif quand on traverse cette période et savoir qu’on en sortira plus fort. Personnellement, je suis arrivé à un point où je me posais des questions : « Est-ce vraiment la carrière que je veux mener ? Faire tout ça, vivre en Europe ? » Le cyclisme tel que nous le connaissons actuellement n’offre pas la meilleure sécurité de l’emploi. Nous sommes constamment à la recherche d’un nouveau contrat. Il y a beaucoup d’incertitude dans notre sport, avec les chutes, les blessures. En Espoirs, j’adorais faire du vélo et mon rêve avait toujours été d’arriver au plus haut niveau et de passer pro. C’est ce qui m’a fait avancer, et maintenant que nous sommes confinés, le style de vie de cycliste professionnel que je remettais en question il y a quelques années me manque.
« Ma solide saison 2019 m’a mis sur de bons rails »
Quel bilan tires-tu de ta première saison avec l’équipe ?
Ça a probablement été la saison la plus régulière de ma carrière. Au cours de mes deux premières années professionnelles, j’ai eu de très bons résultats mais j’ai aussi eu de gros passages à vide et je ne courais pas assez. L’année dernière, l’équipe et les directeurs sportifs m’ont concocté un très bon programme avec beaucoup plus de jours de course que je n’en avais eus pendant mes deux premières années, et cela incluait un Grand Tour. J’en étais vraiment reconnaissant. Ma priorité en début d’année dernière était de m’adapter à la manière de courir de l’équipe, de travailler peu importe le rôle qu’on me donnait et de faire de mon mieux. Je n’avais pas vraiment d’objectifs personnels l’année dernière, j’espérais surtout avoir cette régularité et trouver ma place dans l’équipe. J’ai arrêté ma saison un peu tôt, fin août, pour une opération du genou. Sur le plan sportif, ça s’est en tout cas très bien passé. J’étais vraiment content de cette première saison et j’espérais qu’elle me lance bien pour cette année. J’étais davantage à l’affût d’opportunités cette saison, mais la situation a évidemment un peu évolué.
Les directeurs sportifs ont vanté tes performances sur le début de saison.
Il a probablement été meilleur que ce à quoi je m’attendais. J’ai subi une opération du genou début septembre et mi-octobre j’étais en rééducation pour retrouver le coup de pédale. J’ai dû attendre fin novembre avant de revenir sur la route. En gros, je n’ai eu que décembre et début janvier pour me préparer, donc je ne pense pas que mon bon début de saison soit dû à mon entraînement. Il est plutôt dû au bon programme de course de l’année dernière avec le Grand Tour emmagasiné. Ma solide saison 2019 m’a mis sur les bons rails et quand j’ai repris, malgré plusieurs mois d’absence, je me suis de suite senti assez bien. Je suis malheureusement tombé malade après la première étape de l’UAE Tour mais j’avais malgré tout eu le sentiment d’avoir franchi un nouveau palier. Ça a été un très bon début de saison.
On t’a également vu travailler dans les trains des sprinteurs …
L’année dernière, j’avais un rôle légèrement différent pour Arnaud, je roulais plus en début d’étape. Je n’avais pris part au final qu’à 2-3 reprises. Je sais que ses deux derniers hommes sont Jacopo Guarnieri et Ramon Sinkeldam, et ils ont besoin d’un mec en plus devant eux pour le dernier kilomètre. Au Tour Down Under, j’ai fait du bon travail aux côtés de Jacopo pour Marc Sarreau. C’est en fait ce travail qui leur a fait comprendre que ça pouvait très bien marcher dans le train d’Arnaud. À l’UAE Tour, j’arrivais derrière Kono mais devant Ramon, Jacopo et Arnaud. Lors de la première étape, nous n’avons pas obtenu de résultat probant mais le train avait été super bon, uni et solide, c’était agréable d’en faire partie. Le sentiment était très bon ce jour-là. Si les courses reprennent en fin de saison, je suis impatient de jouer à nouveau ce rôle. Je pense que c’est la même chose pour tout le monde dans le groupe d’Arnaud, car pour une première cette saison, c’était parfait.
« J’aimerais porter à nouveau les couleurs de champion d’Australie »
Conserves-tu des ambitions personnelles ?
Sur une course plate, quand on a un coureur comme Arnaud ou Marc, je n’ai pas d’ambition personnelle, pas plus sur une difficile étape de montagne. Dans ces cas précis, je veux juste apporter mon soutien à celui qui a le plus de chances dans l’équipe. Avec mon expérience en poursuite par équipe et en chrono, je pense que je suis capable d’offrir une aide de qualité. Quand je vais sur une course, c’est ma première priorité. Mais bien sûr, si je suis en pleine forme et confiant, j’ai aussi l’espoir de lever les bras. Auquel cas, les chronos et les étapes pour opportunistes sont mes meilleures chances. Mais comme je l’ai dit, si le profil ne me convient pas et qu’un coéquipier a besoin de mon aide, je veux me donner à 100% pour lui.
À désormais 26 ans, es-tu fixé sur le type de coureur que tu es ?
Je me considère assez polyvalent. Je pense que je peux travailler dans les trains de sprinteurs mais également aider à faire le rythme sur une étape accidentée. Si je suis en forme, je peux aussi viser les chronos, les prologues et saisir ma chance. Je ne veux pas m’orienter sur un registre particulier, car j’aime avoir toujours un objectif. Je ne veux pas seulement attendre le contre-la-montre ou le sprint pour m’exprimer. Je préfère avoir un rôle tous les jours. Sur toutes les courses par étapes difficiles avec des chronos, il faut normalement être un coureur de classement général, et je n’entre pas dans ce registre. Mais le Tour du Poitou-Charentes, par exemple, pourrait être un bel objectif pour moi. J’ai fait quatrième l’année dernière grâce au chrono, et j’ai reçu du soutien de l’équipe pour essayer de garder ma position et remporter le classement des jeunes. L’équipe est super pour ça : donner sa chance à chacun. Si vous êtes en forme, elle vous aidera à obtenir un résultat. Dans les prochaines années, j’aimerais aussi viser un nouveau titre national. J’ai remporté les deux titres en Espoirs et la course sur route en élite. Si j’ai l’occasion de continuer ma carrière pro en Europe, je serais ravi de porter à nouveau les couleurs de champion d’Australie. C’est probablement l’un de mes principaux objectifs pour l’avenir. En dehors de cela, je ne nourris pas de réelles d’ambitions si ce n’est aider les grands leaders de notre équipe.
À quoi t’attends-tu si la saison reprend ?
Quand j’y pense, ce sera probablement fou et imprévisible. Il y a de nombreux coureurs très nerveux car très incertains quant à leur futur. Beaucoup d’entre nous, moi compris, courons pour un nouveau contrat, et puis il y a des gars dont l’avenir de leur équipe est également flou. Si on reprend, les courses seront intéressantes car très rapides, folles, et la récupération sera très courte entre chacune. Ça annonce une fin de saison très difficile. Ce sera d’autre part imprévisible car il faudra voir comment chacun sort de cette période. Certains s’entraînent à l’extérieur, d’autres à l’intérieur et tout le monde a probablement un niveau de motivation différent à l’heure actuelle. Les trois Grands Tours restent d’actualité, donc j’espère pouvoir courir le Giro ou la Vuelta, s’ils sont maintenus. J’aimerais retravailler avec les trains de sprinteurs, faire quelques courses d’un jour, viser des contre-la-montre… Si on reprend, il y aura beaucoup d’objectifs pour l’équipe et à coup sûr beaucoup de motivation après une si longue pause.
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