Thibaud, nous sommes à la veille du championnat du monde Espoirs. Comment te sens-tu ?

Très bien. Je suis plutôt en forme dans cette deuxième partie de saison et j’espère vraiment bien faire sur ce championnat du monde. Je ne l’ai disputé qu’à une reprise, c’était en junior, en Australie. C’est une course que j’apprécie, avec l’atmosphère équipe de France, la conquête du maillot arc-en-ciel… Physiquement, ça allait bien à l’entraînement, et ça allait plutôt bien aussi sur les dernières courses difficiles que j’ai pu disputer. Je ne pense pas que les Mondiaux peuvent être plus durs que le Grand Prix de Montréal (sourires). C’était forcément une bonne préparation et ça ne pourra que m’aider ce vendredi.

Qu’attends-tu de cette course ?

On a un groupe homogène avec beaucoup de densité en équipe de France. On a plusieurs cartes à jouer, ce qui peut nous permettre d’être présents dans tous les scénarios possibles. On sait aussi que chez les Espoirs, ça ne court pas forcément de la même manière qu’en WorldTour, et ce n’est pas toujours le plus fort qui gagne. J’aimerais pouvoir jouer ma carte, mais on verra à quel moment j’entrerai en action en fonction de la stratégie du sélectionneur. Si j’ai l’opportunité de jouer le titre, je ne m’en priverai pas. Je ne me fixe pas de limites, même s’il y aura un sacré niveau avec certains coureurs WorldTour qui redescendent faire les Mondiaux Espoirs. Il y a notamment les UAE Team Emirates avec qui j’ai eu l’habitude de courir en juniors : Antonio Morgado, Jan Christen, Isaac Del Toro. Mais il y a aussi d’autres coureurs très forts qui ne sont pas en WorldTour comme Joseph Blackmore qui a gagné le Tour de l’Avenir.

C’est d’ailleurs la dernière fois que les coureurs de WorldTeams et ProTeams pourront participer aux Mondiaux Espoirs. Que penses-tu de cette nouvelle règle ?

Je la trouve plutôt logique à vrai dire. Je trouve que c’est plutôt bien que les coureurs qui se font la guerre toute la saison dans les courses de Classes 2 et Espoirs se retrouvent de nouveau face à face sur les Mondiaux, sans que des coureurs WorldTour redescendent se mêler à tout ça. Je dis ça alors que je le fais moi-même cette année, mais j’ai commencé la saison en pensant que j’allais être en continentale. J’avais très tôt cette course en tête, et j’en avais même parlé avec le sélectionneur. Même si la réglementation n’avait pas évolué, je pense que ça aurait été mon dernier championnat du monde Espoirs. Une fois que tu rejoins le WorldTour, tu as d’autres objectifs…

Faisons un saut dans le temps. Début mars, on t’annonce que tu vas intégrer l’équipe WorldTour avec effet immédiat, à 19 ans. Peux-tu nous raconter ce moment ?

C’était une vraie surprise. J’ai vu mon téléphone sonner et le nom de Marc Madiot s’est affiché. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Il m’a alors dit qu’ils envisageaient de me faire passer dans la WorldTour dès le mois de mars. Il a été honnête avec moi, en m’expliquant que l’équipe comptait de nombreux coureurs blessés. Mais j’avais aussi fait 100% du début de saison avec l’équipe WorldTour, et il m’a dit que j’avais donné entière satisfaction, que l’équipe était contente de mon travail, de ce que je faisais, et qu’elle avait confiance en moi. C’était une surprise, mais aussi une super nouvelle. Ça s’est fait relativement vite, mais en prenant le temps de m’expliquer pourquoi, comment ça allait se passer et comment mon programme allait être modifié.

Y a-t-il un peu d’appréhension quand on te dit que tu vas franchir le palier plus tôt que ce qui était prévu, à savoir 2025 ?

En réalité, je craignais surtout que tout mon calendrier soit chamboulé, mais on a finalement réussi à bien jongler avec les courses que j’avais envie de faire et les objectifs que je m’étais fixés avec La Conti. Les interrogations ont vite été levées. Je n’ai pas ressenti d’appréhension concernant les courses en elles-mêmes. Au contraire, j’allais les découvrir et je n’avais vraiment rien à perdre puisque c’était une transition anticipée. Ce n’était que de l’excitation. Je ne m’attendais pas à être le plus fort sur les courses dès cette année. Je savais très bien qu’au niveau WorldTour, notamment, je ferais face à des coureurs plus forts que moi. Je ne me suis pas posé ce genre de questions. Je me suis simplement dit que j’irais sur les courses et ferais ce qu’on me demande du mieux possible. Je me suis aussi dit que si l’équipe m’avait fait confiance, c’est que j’avais le niveau requis. Je n’avais pas trop de craintes à ce niveau-là. En plus, grâce aux échanges entre Conti et WorldTour, j’avais déjà eu l’occasion de faire plusieurs courses en amont, et ça m’avait permis de voir que je pouvais m’en sortir. J’étais assez serein. Et si je ne l’avais pas été, tout le monde aurait été là pour m’aider. Au fond, ça reste du vélo. Dans un peloton, on est tous des humains avec deux bras et deux jambes.

Avant de véritablement rejoindre l’équipe WorldTour, tu as terminé ton aventure avec « La Conti » en lui offrant sa première victoire de l’année. C’est un beau symbole.

C’est clair, en gagnant sur le Circuit des Ardennes, comme l’année précédente, sur une arrivée similaire. Ça donnait l’impression de boucler la boucle, et je suis vraiment content d’avoir pu remporter une course avec « La Conti » pour le peu de fois que j’ai couru avec eux cette saison. J’avais encore des objectifs derrière avec Liège-Bastogne-Liège Espoirs, puis sur le Giro NextGen, où on n’a malheureusement pas été invités. Malgré tout, j’ai pu continuer de jouer la gagne sur certaines courses, et ça a aussi permis à la transition d’être plus douce.  

Comment ton quotidien a-t-il évolué avec le passage de « La Conti » à la WorldTeam ?

J’étais déjà installé à Besançon étant donné que j’étais supposé faire toute l’année à « La Conti ». J’ai préféré y rester et finir cette saison plutôt que de retourner chez moi à Tours où le terrain est un peu moins vallonné. Il y a quand même un beau terrain de jeu à Besançon. Donc là aussi, la transition a été progressive. En restant là-bas, mon train de vie est resté à peu près le même. J’étais avec les copains de « La Conti », on allait rouler ensemble de temps en temps, et l’avantage, c’était que je pouvais aussi profiter des installations du Centre de Performance, des massages, de la cryothérapie, des mécaniciens du service course. Il y avait également mon entraîneur sur place, ce qui me permettait parfois de faire des séances derrière scooter. Je ne regrette pas du tout d’être resté à Besançon. Il y avait beaucoup de bénéfices.

En avril, le Tour de Romandie marque tes débuts dans le WorldTour. Qu’est-ce qui te frappe de prime abord ?

Ce qui m’a marqué, avant même de prendre le départ, c’est la densité et le niveau global. Il n’y avait que des WorldTeams, ou presque, et que des coureurs forts, que je connais très bien pour les avoir vus à la télé. Ensuite, la manière de courir est différente, ce sont des courses plus organisées qu’en Classe 2. Mais une fois que ça se met en route, ça ne s’arrête plus et c’est le fameux rouleau compresseur. En Classe 2, quand tu es à fond et que tu te retournes, il n’y a plus que vingt mecs. En Romandie, je me retournais et il y avait encore tout le monde ! On réalise tout simplement que c’est ça, le haut-niveau. Ça ne m’a pas inquiété plus que ça car c’était du WorldTour, et il fallait que je m’adapte. J’ai quand même pu faire deux top-10 durant la semaine, ce qui était déjà très bien, d’autant que ce n’était pas forcément le but.J’ai simplement saisi des opportunités au sprint quand j’en avais l’occasion, unefois que j’avais effectué mon travail d’équipier pour Lenny et David.

Comment as-tu vécu ces premiers mois avec l’équipe WorldTour, plus globalement ?

En termes d’intégration, ça n’a pas du tout été un souci. J’avais déjà fait les stages hivernaux et couru pas mal avec eux précédemment. J’étais bien intégré. D’un point de vue sportif, j’ai coupé après le Tour de Romandie et j’ai mis un peu de temps à remettre en route. Je voulais être dans le match sur les championnats de France, mais je n’ai pas retrouvé une très grande forme avant l’été. Avoir enchaîné la Polynormande, le Tour du Limousin et le Tour du Poitou-Charentes m’a vraiment relancé pour la fin de saison avec la Bretagne Classic et les Classiques canadiennes notamment, où j’ai retrouvé de très bonnes sensations. J’ai simplement eu un petit creux en milieu de saison mais je n’ai pas la sensation d’avoir dû digérer la transition. Au contraire, j’ai même l’impression d’avoir disputé une seule et unique saison, sans vraie rupture.

Tu as aussi majoritairement occupé le rôle d’équipier alors que tu étais souvent protégé chez les Espoirs. Était-ce facile de passer de l’un à l’autre ?

Ça dépend de la mentalité de chacun. Ce n’est ni facile, ni difficile. Parfois c’est un peu frustrant, mais en course, tu fais ce que tu as à faire quand il faut le faire. Et il faut être honnête : tu sais aussi que les leaders sont plus forts que toi, et que tu ne pourrais pas faire ce qu’ils font. J’ai beaucoup fait l’équipier, mais j’ai bien conscience que j’étais là pour apprendre et que c’était normal pour ma première saison. Ça ne me posait aucun problème de le faire, mais je ne me suis pas dit non plus que je voulais faire ça toute ma carrière (sourires). Quand tu as souvent été leader, ça permet aussi de se rendre compte de ce que c’est. Ça te fait ouvrir les yeux sur certains détails, et tu réalises d’autant plus ce que les autres font pour toi quand tu es leader. C’est intéressant d’avoir ce point de vue.

Quand as-tu commencé à te sentir vraiment à l’aise en course chez les « grands » ?

Comme dans toute saison, il y a des périodes où tu te sens plus ou moins bien. Dans les périodes où je me sentais vraiment bien, je me sentais capable d’être plus ou moins acteur de certaines courses, ou du moins d’être là quand ça devenait dur. Ça me donne de l’espoir pour l’avenir. Il y a aussi des moments où j’ai pensé : « il y a un monde d’écart, je suis loin du compte », mais c’était surtout quand je n’étais pas très en forme. En fait, j’ai eu ce sentiment de pouvoir peser à l’échelon supérieur avant même mon passage dans la WorldTour. J’ai en tête Paris-Camembert. J’étais dans le match dans toutes les bosses, mais j’ai fait une stupide erreur de placement dans la dernière côte et j’ai basculé dans un deuxième groupe alors que j’avais largement la capacité d’être devant. J’aurais pu faire un bien meilleur résultat ce jour-là (14e, ndlr). J’étais dégoûté du résultat mais après la course, je m’étais dit : il y a moyen de peser de temps en temps.

Fin août, tu termines huitième de la Bretagne Classic chez les pros, un an après avoir terminé huitième de la course amateurs. Ça donne une idée du chemin parcouru ?

C’est vrai que, symboliquement, ça veut dire quelque chose. Il y avait 260 kilomètres, 6h15 de course, et j’ai pris le départ excité à l’idée de disputer une Classique aussi longue. Je n’avais pas vraiment peur, j’étais juste impatient de voir comment ça allait se passer et ce que ça pouvait donner. Au final, je me sentais vraiment super bien, j’étais assez bien placé pendant toute la course et j’ai suivi le premier groupe. C’était ma première fois sur une telle Classique, donc je ne savais pas à quel point me faire confiance et jusqu’où mon corps serait capable de réagir. Je n’ai pas osé faire trop la course, je me suis contenté de suivre et de faire le sprint à la fin. Mais être encore là au bout de 6h15, 260 bornes, pouvoir sortir la tête de l’eau et ne pas subir complètement, c’était vraiment bien. Ça reste un beau souvenir de cette saison.

On t’a également vu plutôt à l’aise aussi à Hambourg puis au Canada dans la foulée.

Je me sentais très bien sur ces courses-là. À Hambourg, c’était un peu particulier car la course avait été raccourcie et Paul avait été éliminé sur chute. Il y avait un mur à passer trois fois dans le final, et qui me correspondait très bien car c’était un effort d’une minute trente. J’étais bien placé au dernier passage, personne n’avait vraiment attaqué, donc je me suis dit que j’allais y aller moi-même car je n’allais pas battre Olav Kooij au sprint. Au Canada, je n’ai pas fait de résultats, mais les sensations étaient bonnes. J’ai seulement perdu un peu d’énergie à certains moments pour des détails, mais on avait de toute façon de gros leaders et je les ai aidés au maximum. À Montréal en particulier, c’était vraiment très dur, et quand ça a commencé à péter, j’étais encore bien placé et j’ai pu aider Romain, Val et Rudy jusqu’à tard dans la course. C’était clairement positif et ça m’a donné de la confiance de pouvoir faire ça sur des courses de très haut niveau.

Avant les tous derniers rendez-vous, comment juges-tu ta saison ?

C’est plutôt une bonne saison. Déjà, j’ai une victoire, et c’est toujours ça de pris ! J’ai aussi trois top-10 en WorldTour, dont un sur une Classique, ce qui n’est pas anodin mine de rien. Ce qui me permet de me dire que c’est plutôt une réussite, c’est que si on m’avait dit que je ferais ça au 1er janvier, je ne l’aurais même pas cru ! Je ne pensais même pas courir en WorldTour avant 2025. J’ai bien évolué, et à 20 ans, c’est quand même ce qu’il y a de plus important. Je suis assez satisfait de la transition de « La Conti » à la WorldTour. On m’a quand même fait confiance sur pas mal de courses de haut-niveau, et je voulais prouver qu’on pouvait me faire confiance et que j’avais le niveau pour disputer ces courses-là. Je suis assez satisfait globalement, et j’espère que l’équipe l’est aussi.

Compte tenu de cette fin de saison, te sens-tu déjà prêt à assumer plus de responsabilités ou estimes-tu qu’il te faut encore du temps ?

À 20 ans, on est toujours excité, et on a envie de jouer la gagne tout de suite, comme on avait l’habitude de le faire chez les Espoirs. L’équipe est là aussi pour me dire quand je peux jouer ma carte ou quand je dois faire équipier. Mais être leader et essayer de gagner des courses, je ne demande que ça ! Ça se décide aussi en fonction de la forme et de l’effectif sur la course. Pour l’instant, je ne l’ai pas beaucoup été, ce qui est normal car je suis rentré en cours de saison dans l’équipe. Tout ne peut pas venir d’un coup, ce serait trop rapide. Il faut apprendre, mais je sens que l’équipe me fait confiance quand je suis en forme. Tout le monde voit que je progresse, à mon rythme, et qu’il y aura possibilité de me faire donner des responsabilités au fur et à mesure, mais sans griller les étapes. Je sais que si je continue de progresser, cela viendra naturellement. En attendant, j’apprends aussi en côtoyant les leaders, en voyant comment ils se comportent. Tu te rends compte aussi que c’est bien plus dur d’être leader. Quand tout le monde a mal aux jambes, les équipiers peuvent s’écarter après avoir fait leur travail. Les leaders, eux, doivent être là jusqu’au bout. C’est plus dur mentalement, physiquement, et il faut aussi avoir les nerfs solides.  

Quel sera ton programme après les Mondiaux ?

Normalement, je partirai sur la campagne des Classiques italiennes, mais on aura un groupe élargi là-bas, donc je ne sais pas encore exactement lesquelles je disputerai.  

Aucun commentaire