À peine arrivé au sein de « La Conti » Groupama-FDJ, Thibaud Gruel n’a pas tardé à s’affirmer comme un pion majeur du cru 2023. À bientôt 19 ans, le champion de France juniors du contre-la-montre a déjà eu l’occasion de faire étalage de ses qualités cette saison, apportant même sa première victoire à l’équipe. Nous sommes partis à sa découverte pour connaître davantage le coureur, et l’homme.
C’est dans la petite commune de Neuillé-Pont-Pierre, aux abords de Tours où il est né un 1er mai, que tout commence pour Thibaud Gruel. Il a tout juste neuf ans, s’est déjà essayé au football, au tennis, au hip-hop et même aux échecs, lorsqu’il erre dans les travées du forum des associations du coin. Présent ce jour-là, le « VSNPP », acronyme accrocheur – et bienvenu – désignant le club cycliste du village. Ses souvenirs demeurent fugaces. « Je ne me rappelle pas tellement du pourquoi, mais j’ai été convaincu, confie-t-il dix ans plus tard. C’était peut-être le fait de voir des vélos différents des VTT. J’avais envie d’essayer et d’avoir mon propre vélo. Je me suis inscrit, j’ai bien accroché et j’ai donc continué. C’est tout ce qu’il me fallait, ça me défoulait, ça m’amusait ». Quelques mois passent, et le cyclisme devient son unique activité sportive, tout relative. « C’était avant tout un loisir, assure-t-il. J’ai débuté en école de vélo, où on fait davantage des jeux d’adresses que des courses. C’était vraiment de l’amusement plus que du sport. On avait entraînement le mercredi après-midi et on se retrouvait sur une ancienne caserne de pompiers. Sur le parking, on slalomait entre les quilles. Un peu plus tard, on faisait du cyclo-cross dans le bois d’en face et quelques petits tours sur la route ». La compétition, elle, arrive très progressivement. « Au fur et à mesure qu’on grandit, on fait des courses un peu plus longues, dit-il, mais j’ai toujours eu l’esprit de compétition. Je voulais gagner même quand on faisait des slaloms ».
Éclosion chez les cadets, sport-étude et Thibaut Pinot
Chez les benjamins et les minimes, entre onze et quatorze ans, face à une adversité départementale, Thibaud Gruel trouve sa place, et de l’appétit. « Je n’ai jamais été le meilleur mais j’étais toujours dans le top-3, se remémore-t-il. Je n’étais pas trop mauvais ». À l’époque, il est aussi un touche-à-tout puisqu’il s’affaire aussi dans les sous-bois et les vélodromes. « Il n’y avait pas de piste dans mon village, mais mon club faisait des déplacements dans la ville de Descartes, précise-t-il. Je faisais du cyclo-cross et un peu de piste l’hiver, et surtout de la route l’été ». Polyvalent et toujours fiable en course, le jeune homme ne se sent pas pour autant « passer un cap particulier » durant la première partie de son adolescence. La véritable transformation se situe durant son passage chez les cadets, mais elle est encore fois linéaire. « En Cadets 1, je regardais les résultats et les vidéos du Trophée Madiot sur internet, glisse-t-il. Je voyais qu’Eddy [Le Huitouze] marchait très fort et j’avais envie d’être à ce niveau-là, faire les mêmes courses, mais je n’avais pas forcément encore le niveau. J’avais dû faire deux manches et j’avais fini deux fois dans le peloton. À l’époque, je m’en satisfaisais ». Mais il ne s’en contente pas bien longtemps. Désireux de progresser, il postule, et est admis, dans la section sport-étude du lycée Pasteur du Blanc, dans l’Indre.
Délocalisé à près de deux heures du domicile familial, il doit loger à l’internat durant la semaine, mais le choix est payant. « J’avais des vrais programmes d’entraînement et ça devenait plus sérieux, affirme-t-il. Ça ressemblait davantage à ce que j’ai maintenant, même si c’était beaucoup moins élaboré. En entrant à la section, j’ai passé un gros cap chez les cadets 2 et j’ai pu aller jouer sur le Trophée Madiot. Je commençais à faire du « vrai vélo » comme on dit ». Les feuilles de résultats sont en tous les cas plus à son avantage. D’abord sacré champion départemental, il termine par la suite au pied du podium à deux reprises sur le Trophée Madiot, à Plougastel sur la Sportbreizh Cadets et sur le contre-la-montre de Renazé. Mais surtout, il obtient la deuxième place du championnat de France de la catégorie en fin de saison. Un déclic certain. « Petit, dès que je commençais un sport, je voulais en faire mon métier, soutient-il. Quand je faisais du tennis, je voulais être Rafael Nadal. Quand j’ai commencé à faire du vélo, je voulais être Thibaut Pinot, comme on a en plus le même prénom. Au début, c’était plus un rêve qu’un objectif, mais j’ai toujours voulu devenir professionnel. C’est en cadets 2 que je me suis dit que ça pouvait être possible, même si je pensais surtout à mes années juniors car je savais qu’elles étaient très importantes ».
Le championnat de France du contre-la-montre : déclic puis consécration
Début 2021, c’est donc un tout nouveau chapitre qui s’ouvre à l’échelon supérieur. Encore inscrit à la section sportive du Blanc, il amorce aussi son entrée au Centre Régional d’Entraînement et de Formation des Pays de la Loire. Ses grosses échéances se situent en deuxième partie de saison, et fin juillet, il échoue à seulement neuf secondes du bronze sur le championnat de France du chrono. « En début de saison, je faisais des échappées avec les favoris et je voyais que ça tournait pas mal, rembobine-t-il. Mais le déclic, c’est vraiment ce championnat de France où je termine quatrième et premier Junior 1 derrière Romain Grégoire, Pierre Thierry et Lenny Martinez. C’est LE résultat qui m’a fait prendre conscience que ça jouait, que j’avais passé le cap ». À compter de cet instant, le jeune Tourangeau déroule. Il prend la troisième place de la Bernaudeau Junior, course UCI, remporte une étape du Tour du Léman, obtient deux tops-10 sur le Trofeo Saarland, épreuve de la Coupe des Nations, et s’impose enfin sur une étape de la réputée Philippe Gilbert Juniors. « Je ne m’attendais pas particulièrement à tous ces résultats, mais c’était ce que je voulais, et j’avais travaillé pour, confie-t-il. C’était une belle fin de saison. Ça m’a aussi fait quelque chose de recevoir ma première convocation avec l’équipe de France ».
Son admission au CREF est entérinée au moment d’entrer en Terminale, et c’est au sein de cette même structure qu’il prépare sa deuxième année chez les Juniors : « Je ne me suis pas du tout dit « il faut que je mette tout de mon côté pour en faire mon métier ». Je voulais avant toute chose faire une bonne saison de Junior 2 et je savais que le reste suivrait ». En attaquant 2022, le jeune homme de 17 ans est donc plus attendu, mais la pression l’effleure tout juste. Dès sa rentrée sur Kuurne-Bruxelles-Kuurne Juniors fin février, il signe un podium. Un podium mais aussi le premier de ses vingt-six (!) top-10 de la saison. Omniprésent, il est régulièrement très haut placé sur les manches de la Coupe des Nations, se classe même deuxième du Trofeo Saarland avant une nouvelle deuxième place (d’étape) sur l’Ain Bugey Valromey Tour. Il manque alors la dernière touche, qu’il vient finalement apposer au moment opportun. Un an après sa quatrième place « révélatrice » sur le championnat de France du chrono, il est cette fois, et largement, auréolé du titre. « Je l’avais beaucoup préparé, dit-il aujourd’hui. C’était un vrai objectif que je m’étais fixé, et j’aurais été très déçu de faire deuxième. Je m’étais mis de la pression, je me souviens que j’étais très stressé ce jour-là, mais j’avais tout fait correctement et j’étais aussi très fort. C’était une grosse journée d’émotions. C’est mon premier maillot de champion de France et beaucoup de souvenirs y sont imprégnés ».
« Je voulais rejoindre la Conti, donc quand j’ai reçu leur proposition… »
La boîte à souvenirs est pourtant encore sur le point de se garnir. Après deux nouveaux top-10 en Espagne, Thibaud Gruel prend la direction du Giro della Lunigiana, ultime rampe de lancement avant son envol pour l’Australie et les championnats du monde. « Je n’étais pas en forme du tout en arrivant, mais ça s’améliorait jour après jour, et j’avais déjà réussi à faire quatrième dans l’avant-dernière étape, resitue-t-il. Le lendemain, j’ai fait cinquante kilomètres tout seul, et j’ai gagné en solitaire. C’est un bon souvenir car je me suis rassuré, et c’était la meilleure chose à faire avant les Mondiaux que de lever les bras avec l’Équipe de France sur une belle course comme celle-là ». Avec son deuxième succès de l’année en poche, le jeune homme a la dynamique pour lui avant le rendez-vous le plus important de sa saison. À Wollongong, il termine dixième du contre-la-montre et septième de la course en ligne. « J’ai fait deux top-10, mais j’ai surtout ressenti un déclic, explique-t-il. J’avais préparé la course sur route et j’étais vraiment en forme ce jour-là. Tactiquement, ce n’était pas super, j’aurais pu faire mieux que septième, mais ça reste la partie de la saison qui m’a le plus marquée. C’était une sacrée expérience, en Australie, à l’autre bout du monde. J’ai aussi vu que quand je préparais un objectif et que je travaillais pour à l’entraînement, ça pouvait fonctionner. Je pense avoir passé un cap à cet égard sur ce championnat du monde ».
De retour sur le Vieux Continent, il s’octroie la troisième place finale sur la Philippe Gilbert Juniors, clôturant ainsi une année pleine, récompensée par le Vélo d’Or Juniors. « C’était une super saison, c’est sûr, conçoit-il. C’est ma deuxième saison déclic après celle de cadets 2. Je pense avoir réussi ce que je voulais faire. Ça répondait à mes attentes, même si j’aurais voulu gagner plus de courses. C’est le petit bémol de cette saison, mais je ne m’en plains pas. J’ai réussi à être constant tout au long de l’année et il est vrai que je ne suis pas beaucoup passé à côté sur les grosses courses ». Un classement officieux le place également, à l’issue de l’exercice 2022, au septième rang mondial dans sa catégorie d’âge. « Je pense que ce n’était pas trop loin de la vérité, abonde-t-il. Sur les Coupes des Nations, je n’étais jamais vraiment le meilleur, mais j’étais certainement dans le top-10 mondial ». Conséquence logique, les offres ne manquent pas pour le jeune homme tout juste majeur. Mais celle de « La Conti » Groupama-FDJ l’emporte très vite sur le reste. « L’un des objectifs abstraits de ma saison était de rejoindre une équipe continentale, détaille-t-il. Et si on m’avait demandé laquelle en début de l’année, j’aurais dit la Groupama-FDJ. J’ai eu d’autres propositions, mais j’ai fait en fonction de ce qui me semblait le mieux. Je voulais rejoindre la Conti, donc quand j’ai reçu leur proposition, le choix était assez clair. Tous les critères étaient réunis et ça m’a emballé direct ».
Débuts – presque – idéaux avec la Conti et attrait pour les Classiques
Fasciné comme tout un chacun par la saison 2023 de « La Conti », conscient du cadre offert et du professionnalisme de la structure, Thibaud Gruel n’est qui plus est aucunement refroidi par le déménagement à venir. Éloigné du domicile familial pendant trois ans, alors logé à l’internat ou dans un appartement individuel, il ne part pas en terres inconnues. « Ça n’a jamais été un frein, j’étais même plutôt content d’aller à Besançon, assure-t-il. J’ai pu développer mon autonomie ces dernières années, avec le vélo et ce que ça implique. J’étais déjà bien préparé ». Désormais, il vit dans une maison en compagnie de cinq coéquipiers, français et anglophones. « On apprend l’Anglais, on essaie de progresser le plus vite possible, sourit-il. Je m’entends bien avec tout le monde dans l’équipe ! Nouveau logement, nouvelles routes d’entraînements, nouvelle équipe : tout se passe super bien et je suis ravi d’être ici ». Cerise sur le gâteau, le jeune homme de 18 ans a démarré l’année 2023 en trombe avec deux podiums sur sa première semaine de course en Croatie et déjà une victoire, début avril, sur le Circuit des Ardennes. « C’est ce que j’espérais et je savais que c’était possible, confie-t-il. Même si Romain et Lenny sont des champions, d’autres coureurs ont déjà réussi à faire des bonnes saisons en Espoirs 1. Je me suis dit que je pouvais le faire aussi, avec du sérieux, de l’entraînement et de la motivation. C’est certes une année de découverte, mais pour découvrir, il faut jouer la gagne et faire la course. C’était ce que je voulais faire et j’ai vu que j’avais passé un beau cap cet hiver. Même si ça pouvait paraître ambitieux, c’était ce que j’espérais au plus profond de moi-même ».
De son début de saison convaincant demeurent deux frustrations. Celle d’abord d’avoir été malade et hors de forme lors de ses premières expériences avec l’équipe WorldTour, sur la Classic Loire Atlantique et Cholet-Pays de la Loire. « J’ai réussi à finir les deux courses et terminer dans le peloton, dit-il. C’était déjà vraiment bien, mais je n’ai pas pu vraiment profiter du week-end, aider l’équipe comme je le voulais et voir ce que je valais en pleine possession de mes moyens ». Celle ensuite d’avoir été écarté de la bataille finale sur Liège-Bastogne-Liège à la suite d’une erreur d’aiguillage. « J’étais déçu de passer à côté de mon premier objectif de la saison de cette façon, peste-t-il encore. Je pense qu’il y avait moyen de faire un gros résultat un an après Romain. Ça aurait été beau ». Trois semaines après une onzième place sur Gand-Wevelgem, le Tourangeau misait en effet beaucoup sur la « petite Doyenne ». Et pour cause, il s’agit de son exercice favori. « Je suis assez polyvalent pour le moment, se décrit-il. Peut-être que ça précisera plus à l’avenir, même si je n’espère pas, car ça me plait bien de me débrouiller sur tous les terrains. Ceci dit, je reste quand même un puncheur, qui affectionne les courses typées Flandriennes ou Ardennaises, avec des bosses relativement courtes et raides. J’apprécie les efforts brefs, de trente secondes, comme lors de ma victoire sur le Circuit des Ardennes, mais jusqu’à 4-5 minutes. Quand il faut monter vite avec de la puissance, ça me va bien ».
« Prendre mon ordi, travailler, suivre des cours, passer des contrôles, ça me change les idées »
S’il peut aujourd’hui jouer sur les deux types de Classiques, il se montre plus réservé sur le long terme. « En WorldTour, ce seront plutôt les Flandriennes, convient-il. On voit rarement un Van der Poel ou un Van Aert briller sur les Ardennaises, qui conviennent mieux aux grimpeurs, aux coureurs légers. En WorldTour, le niveau est tellement élevé que je me rapprocherai plus d’un Flandrien que d’un Ardennais ». Cela tombe bien, car s’il ne devait gagner qu’une seule épreuve au cours de sa carrière, il s’agirait du Tour des Flandres, « la plus belle après le Tour » selon lui. Il espère aussi conserver ses qualités contre-la-montre, non seulement car la discipline est devenue « primordiale pour viser des classements généraux » mais aussi car « si on se retrouve tout seul à vingt kilomètres de l’arrivée en tête et qu’on n’est pas capable de rouler seul contre soi-même, ce n’est pas pratique… » Quant à la haute-montagne, il attend de voir. « Sur l’Ain Bugey Valromey Tour en Juniors, je me débrouillais plutôt bien dans les cols, dit-il. J’ai fait des stages en montagne et ça allait, mais il est certain que plus c’est long, moins ça m’avantage. Je ne serai jamais un pur grimpeur ». Les mois et années futurs lui permettront d’encore mieux se connaître en tant qu’athlète, mais aussi de se forger un bagage en dehors. Thibaud Gruel est désormais engagé dans un BTS Management Commercial Opérationnel qu’il compte bien mener à son terme en parallèle de son activité sportive professionnelle. « Je ne voulais pas tout arrêter directement pour ne faire que du vélo, assume-t-il. Je n’oublie pas que je n’ai que 18 ans, que rien n’est fait et on n’est pas à l’abri d’une blessure ou de quoi que ce soit qui puisse m’empêcher de faire du vélo mon métier à long terme. C’est important d’avoir des diplômes et ça me permet aussi de ne pas penser qu’au vélo. Prendre mon ordi, travailler, suivre des cours, passer des contrôles, ça me change les idées. J’ai trouvé ma petite organisation. Et même si je fais des études, la priorité, ça reste le vélo ».
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