La diaspora helvète au sein de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ s’est encore confirmée cet hiver. Âgé de 28 ans, Matteo Badilatti est l’un des deux coureurs recrutés à l’extérieur même de la structure en prévision de l’année 2021. Arrivé au cyclisme sur le tard, le grimpeur suisse a, de ses propres mots, connu « un parcours atypique » jusqu’à son accession au WorldTour l’an passé. Sur le point de débuter sa quatrième année professionnelle, Matteo a accepté d’y revenir en détails mais aussi d’aborder ses ambitions avec sa nouvelle équipe.
Matteo, tout d’abord, j’ai cru comprendre que tu étais en stage.
Tout à fait. Je suis actuellement à Majorque, où nous sommes rassemblés avec l’équipe nationale suisse afin de préparer la saison à venir. Le beau temps n’est malheureusement pas vraiment au rendez-vous ces jours-ci, mais on essaie malgré tout de tirer le meilleur parti possible de la situation. Stefan [Küng] et Fabian [Lienhard] sont là également. On passe du bon temps et c’est une bonne manière de commencer à travailler ensemble et à mieux se connaître. Le programme de ce stage est principalement composé de sorties d’endurance, de quelques sprints et nous avons commencé par des exercices de puissance en bosse. Le but est surtout d’enchaîner les kilomètres et ça se passe bien jusque là. Nous sommes arrivés lundi, l’entraînement a commencé mardi et le stage se tiendra jusqu’au 14 janvier. C’est un bon bloc de 10 jours avant de rentrer à la maison puis de rejoindre la Groupama-FDJ pour le prochain stage.
« J’ai commencé le vélo à l’université, pour débrancher »
Avec Groupama-FDJ, tu t’apprêtes à entamer ta quatrième saison professionnelle, à 28 ans. Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours ?
J’ai en effet un parcours cycliste assez atypique. J’ai grandi dans une région très orientée sur les sports d’hiver et je suis issu d’une famille sportive. J’ai donc un bagage sportif assez conséquent et j’ai essayé de nombreux sports plus petit, principalement pour le plaisir, comme c’est généralement le cas quand on est jeune. De différentes manières, le sport a toujours fait partie de ma vie. J’ai surtout fait du ski de fond plus jeune, mais quand je suis entré à l’université, je savais que ce ne serait pas possible de continuer en raison de la logistique et de la ville où je m’étais installé. Du coup, pendant l’université, j’ai commencé le vélo pour me détendre après les cours et les révisions, juste pour me faire plaisir et pour débrancher. J’ai immédiatement adoré ça, et notamment la sensation de liberté que ça procure. J’ai découvert une nouvelle passion et cette passion m’a conduit là où je suis aujourd’hui. Avant ça, je n’étais pas vraiment familier avec ce sport. Je le suivais simplement comme tout fan de sport suit chaque discipline. Parfois, le Giro passait aussi tout près de ma ville natale. Michael Albasini vivait également pas loin de chez nous et on pouvait voir des pros dans la région en été, mais je ne connaissais pour autant pas grand chose au vélo. C’était un nouveau monde pour moi.
Avais-tu une quelconque expérience du cyclisme sur route avant l’université ?
Non, je suis quasiment parti de zéro. Je me souviens juste qu’un ami de la famille m’avait prêté un vélo de route un été, et j’avais vraiment aimé rouler dans la vallée. Mais c’est tout. Enfant, on fait plutôt du VTT, pour s’amuser, ou on va à l’école en vélo. Le cyclisme a toujours fait partie de ma vie, mais je n’avais jamais imaginé devenir cycliste. Quand j’ai commencé, je ne m’entraînais pas trop. Jusqu’à ces dernières saisons, je roulais moins de 10 000 kilomètres par an. Ce n’est que lorsque je suis passé pro avec le Team Vorarlberg en 2018 que j’ai commencé à m’entraîner correctement, et avec un objectif.
Quand et comment as-tu compris que tu avais des capacités ?
Je pense que c’était plutôt un processus. Progressivement, on va un peu plus vite, un peu plus loin, puis on commence à faire des petites courses, chez les amateurs. On aime ça et on constate qu’on ne souffre pas tant que ça. En fait, on se voit progresser, et à la fin de l’année, on regarde dans le rétro et on se dit : « Eh bien, en débutant la saison, je ne pensais pas que j’aurais pu faire ça ». Ainsi, on grimpe constamment les marches et puis on commence à découvrir l’entraînement et tout ce qui touche au monde du cyclisme, comme la nutrition, la récupération. C’est comme un voyage où on passe d’un lieu à un autre en apprenant quelque chose de particulier à chaque fois. C’est comme sauter dans la rivière et réaliser que l’eau est bonne. Je me suis concentré sur le cyclisme uniquement pendant et après l’université, mais j’ai pu progresser chaque année.
« Je suis encore motivé comme un coureur de 20 ans »
Le profil grimpeur s’est-il imposé rapidement ?
Je dirais que oui, car même quand je faisais de la course à pied ou du VTT avant, pour le plaisir, j’ai toujours aimé monter, et monter vite. Pour je ne sais quelle raison, c’est un truc qui me plaisait, et plus c’était raide et long, plus j’aimais ça. C’est donc venu naturellement. Je suis également fait pour ça physiquement parlant, mais l’environnement dans lequel on grandit joue évidemment un rôle important. Je viens d’une région très montagneuse (il est né à Poschiavo, ndlr). Le pied du Mortirolo est à moins de vingt kilomètres de la maison. Tout autour, ça ne fait que monter et descendre. Dans ma vallée, on peut faire 3000 mètres de dénivelé en moins de 50 kilomètres ! On ne peut pas y échapper ! Cela fait partie du jeu.
À quel moment as-tu pensé faire du vélo ton métier?
Pour moi, l’école et les études ont toujours été une priorité. C’était clair dans mon esprit : « d’abord tu finis l’école, tu te fais un bagage, et ensuite tu pourras penser au reste si ça te fait plaisir et que tu as le temps ». J’avais même des idées et des emplois rêvés dans le secteur de l’économie. Je n’ai jamais pensé à quitter les études pour me concentrer sur le cyclisme. C’était plus un cheminement. Plus je faisais du vélo, plus j’aimais ça et plus j’étais passionné. Alors quand j’ai obtenu mon diplôme (Bachelor en Business Administration, ndlr), j’ai décidé de tenter ma chance dans le vélo. Je ne suis pas sûr que j’aurais pu passer pro avant. Mon parcours est tel qu’il est, et tout est arrivé au bon moment. J’ai eu la chance de devenir cycliste professionnel, ce qui est un privilège et j’en suis très honoré, mais ça a toujours été un processus progressif. Il est évidemment important de croire en soi. Sur certaines courses ou à l’entraînement, on peut remarquer qu’on a le potentiel pour, mais cela ne vaut pas grand-chose s’il n’y a pas le travail derrière. Je ne pense pas qu’il y ait eu de véritable tournant. Sur certaines courses, on montre simplement ce qu’on sait faire et les gens du milieu vous remarquent. Mais ça ne dépend pas que de soi, ça dépend aussi des personnes autour de soi, de la famille, des personnes qu’on rencontre tout au long de son parcours. Bien évidemment qu’en tant qu’athlète, on a son rôle à jouer, mais toutes les personnes autour sont vraiment importantes et c’est ce qui, selon moi, fait la différence.
Regrettes-tu parfois de ne pas t’être concentré sur le vélo plus tôt ?
C’est sûr qu’on peut passer pro à 20 ans, mais on peut aussi perdre sa motivation quand on en atteint 28 car on a fait ça toute sa vie. Je suis passé pro tard, mais je suis encore motivé comme un coureur de 20 ans. Il y a aussi la question du volume d’entraînement. Certains qui sont passés pros à 20 ans ont fait de gros volumes dans leurs jeunes années, ce qui n’a pas été mon cas. J’ai 28 ans, mais je suis encore jeune dans le métier et il me reste encore beaucoup à apprendre. Ce qui m’a le plus surpris au début, c’est le côté technique du vélo. Si vous en faites depuis junior, tout vient naturellement. C’est presque automatique. Quand on démarre tard, il faut tout apprendre : rouler en peloton, rouler en descente. Il n’y a pas que la partie physique, mais aussi les aspects techniques et tactiques. C’était et c’est toujours pour moi un point d’apprentissage.
« Tout était nouveau pour moi »
Depuis ton passage chez les pros en 2018, tu as sans cesse grimpé de niveau, jusqu’au WorldTour l’an passé. Comment évalues-tu tes trois premières saisons dans l’élite ?
La première année, j’étais juste heureux de pouvoir rouler à ce niveau. Il y avait un bon environnement, et quand tout va bien, on « performe ». J’ai eu quelques résultats mais ce n’était pas une grosse surprise, plutôt une belle surprise. C’était simplement le fruit de mon travail. Je dois aussi saluer l’équipe nationale suisse pour le travail fantastique qu’elle accomplit pour nous coureurs suisses, jeunes et moins jeunes. Ils s’occupent superbement de leurs athlètes et nous offrent de grandes opportunités de nous montrer. Cela a aussi beaucoup joué. Quand j’ai rejoint Israel Cycling Academy en 2019, j’étais encore nouveau dans ce monde et il me restait encore beaucoup à découvrir : comment récupérer, économiser son énergie, prendre son propre rythme. Tout ça était encore nouveau pour moi et j’ai dû l’apprendre tout en évoluant au plus haut niveau du sport, et dans un court laps de temps. Pour presque tous les autres coureurs, naviguer dans le peloton, c’est une routine. Ce n’était pas mon cas et j’avais besoin de beaucoup plus d’énergie que les autres simplement pour me focaliser là-dessus. Je suis en tout cas très reconnaissant de l’opportunité que j’ai eue, qui m’a permis d’acquérir de l’expérience et combler cette lacune. Aussi, avant d’arriver au plus haut niveau, on ne voit les coureurs qu’à la télé. Et parfois on les soutient. Ils nous impressionnent, on aimerait devenir l’un d’eux. Et un jour, plus vite qu’on ne l’aurait pensé, on est là, à côté d’eux. C’est quelque chose qu’il faut réaliser, et j’étais vraiment respectueux de ce monde quand je suis arrivé. Lorsqu’on découvre cet univers, on essaie de voir de quoi on est capable, ce qu’on veut faire et ce qu’on peut accomplir. Ensuite, on essaie juste de faire de son mieux, de toutes les manières possibles. En fin d’année, j’ai pu me dire « c’était une bonne année, je suis vraiment fier » mais pour moi le plus important est de se dire « je suis encore plus motivé pour l’année suivante ». Je préfère toujours me projeter que de regarder derrière.
Tu as disputé ton premier Grand Tour avec la Vuelta en 2020. Qu’en as-tu retiré ?
C’était une belle expérience et c’était super d’être là. On avait Dan Martin comme leader, c’était donc pour moi un vrai apprentissage et je suis reconnaissant de cette opportunité. On a passé un bon moment sur cette Vuelta. D’un point de vue personnel néanmoins, je suis malheureusement tombé malade en première semaine. Ça n’a ensuite pas été une partie de plaisir mais j’ai essayé de surmonter tout cela et de terminer la course. Je n’ai pas pu aider énormément en raison de la maladie, car mon niveau d’énergie était vraiment faible, mais je suis sûr que cette expérience s’avérera utile à l’avenir. Parfois, quand on passe un sale moment ou qu’on est malade, il est important de continuer à aller de l’avant et à se battre. Ce sera source d’enseignements pour la prochaine fois.
Le fait d’être encore relativement neuf dans le vélo te donne-t-il certains avantages ?
J’ai 28 ans mais je pense que j’ai encore une vraie marge de progression. J’ai commencé tard, donc tout arrive un peu plus tard. C’est aussi pourquoi je suis si heureux de l’opportunité d’avoir rejoint Groupama-FDJ. Je suis vraiment fier d’être ici. Je sais qu’ils travaillent très bien et je suis certain que je vais beaucoup progresser ici. Naturellement, quand on arrive au plus haut niveau tard, comme moi, on peut aussi parfois montrer un peu trop de respect envers les autres. On pouvait être fan de certains coureurs avant, et maintenant qu’on les affronte, on pourrait parfois être trop gentil, trop respectueux. Pourtant, quand on est en course, il faut se concentrer, se battre pour sa place et oublier tout ça. Il faut juste prendre cette habitude. Je ne sais pas si l’équipe a pris contact avec moi parce qu’elle a vu mon potentiel, mais je suis sûr qu’ils ont perçu ma motivation. Lorsque vous êtes prêt à travailler dur, à vous donner à 100% et que vous êtes toujours motivé, l’âge importe peu. Il faut juste être passionné et aimer ce qu’on fait.
« J’ai toujours rêvé de faire partie de cette équipe »
Signer chez Groupama-FDJ a-t-il été un choix évident?
J’ai toujours rêvé de faire partie de cette équipe et de rouler pour eux. J’étais vraiment ravi d’obtenir cette opportunité. C’était vraiment un honneur pour moi, et j’ai vraiment hâte de commencer à courir avec eux. Quand j’ai découvert l’esprit de l’équipe, ça correspondait exactement à l’image que je m’en faisais. C’était aussi tout à fait en adéquation avec mes idées et à ma façon de penser. Pour moi, il n’y a absolument eu aucun doute et c’était une évidence de les rejoindre. Même de l’extérieur, on ressent cet esprit familial. On voit clairement qu’ils sont heureux de travailler ensemble, dans le même sens, et que chacun donne le meilleur de lui-même. C’est un environnement harmonique qui a fait ses preuves. Lorsque vous voyez un orchestre jouer, vous devez penser à toutes les personnes en arrière-plan qui travaillent dur pour rendre le résultat final excellent. C’est ce qu’on pouvait penser de l’extérieur, et c’est exactement ça.
Qu’est-ce qui t’a plu dans le défi proposé par Groupama-FDJ?
Faire partie de cette équipe, pouvoir faire mon travail, atteindre les objectifs de l’équipe et donner de grandes émotions à nos partenaires et à toutes les personnes qui travaillent pour nous en coulisses. Je me vois aider autant que possible dans les ascensions, et j’espère pouvoir réaliser de grandes choses avec l’équipe. Je suis grimpeur, c’est donc dans ce rôle que l’équipe m’attend et que je m’attends moi-même. Je veux également continuer à m’améliorer et à franchir les caps progressivement. Je serais également heureux de jeter un œil sur la saison écoulée en étant fier de ce que nous avons accompli ensemble, mais j’aimerais surtout continuer à regarder vers l’avant, motivé à faire encore mieux. Je donnerai le maximum à chaque fois. Nous verrons quels seront les objectifs et la composition de l’équipe pour chaque course, mais il est évident que les courses par étapes aux parcours difficiles sont ce qui me convient le mieux.
Dernière question pour la route. Comment est ton français?
Il s’améliore (rires). L’équipe m’a donné la formidable opportunité de prendre des cours pour apprendre la langue. Je comprends maintenant presque tout, mais parler avec la bonne prononciation est encore un peu délicat. Je peux parler, et j’ai une idée de ce que je dis, mais parfois je ne suis pas sûr que ce soit aussi clair pour les autres (rires). Comprendre n’est pas un gros problème pour moi s’ils ne parlent pas trop vite, mais parler prend évidemment un peu plus de temps et demande plus de travail. Ceci étant dit, je suis sûr que tout ira bien. La prochaine interview, on la fera en français !
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